Coronavirus : au Sénégal, les confréries religieuses au cœur de la solidarité

Le gouvernement a distribué des aides alimentaires à un million de foyers à travers le pays mais nombreux sont aussi les Sénégalais, à 95 % musulmans, à se tourner vers les confréries religieuses pour obtenir une aide matérielle.

Habillée d’un boubou rose et bleu, une femme entre dans la daara, école coranique du quartier populaire de Thiaroye, en banlieue de Dakar. Elle frappe discrètement à la porte du salon où est installé Insa Seck, guide religieux qui gère les lieux. Elle s’adresse à lui en wolof, tout en triturant une ordonnance entre ses mains. Insa Seck lui tend 10 000 francs CFA (15 euros) sans poser de question. « Cette dame habite dans le quartier, elle n’a pas de quoi payer ses médicaments, indique M. Seck. Toute la journée, beaucoup de personnes dans le besoin me contactent, surtout en ce moment à cause du coronavirus. »

Le Sénégal comptait 1 492 cas de Covid-19 dont 13 décès au 7 mai. La propagation du virus s’accélère ces derniers jours, malgré les mesures de prévention comme le port du masque obligatoire ou le couvre-feu de 20 heures à 6 heures du matin. L’impact du coronavirus touche plusieurs secteurs comme le tourisme, les transports ou la pêche. Pour faire face à cette crise économique, le gouvernement a distribué des aides alimentaires à un million de foyers à travers le pays, qui compte 16 millions d’habitants. En parallèle, nombreux sont les Sénégalais, à 95 % musulmans, à se tourner vers les confréries religieuses, sur lesquelles repose la société sénégalaise.

« Sortir les coffres-forts »

 

« Les daaras traditionnelles sont un cadre pour l’éducation des enfants, les talibés, à la fois religieuse mais aussi citoyenne, avec l’apprentissage de valeurs comme le partage. Mais des dérives sont apparues depuis qu’elles sont implantées dans les villes. Des enfants ont commencé à mendier dans les rues et à être parfois exploités », explique Mamadou Mané, historien. Dans la daara de Thiaroye, liée à la confrérie Tijaniyya, les talibés ne sortent pas mendier. Toute la journée, ils apprennent par cœur les versets du Coran dans une salle sur le toit-terrasse, assis sur des tapis à même le sol.

« Mon travail est d’éduquer les enfants, mais aussi de nourrir et aider les gens, surtout pendant cette pandémie. Je distribue de l’argent par transfert mobile pour éviter tout contact. Cela va de 10 000 francs CFA (15 euros) jusqu’à 400 000 francs CFA (600 euros) quand j’ai les moyens. C’est un travail social primordial », décrit M. Seck, héritier d’une famille qui gère des daaras « depuis des siècles ».

Son rôle de chef religieux va plus loin. Il incite les personnes les plus riches à « sortir leurs coffres-forts ». Il prend l’exemple du calife général de la confrérie mouride, Serigne Mountakha Mbacké, qui a donné 200 millions de francs CFA (300.000 euros) à l’Etat du Sénégal, dans le cadre de l’appel aux dons pour le fonds de riposte et de solidarité contre les effets du Covid-19, lancé par le président Macky Sall. « Grâce à lui, tout le monde va vouloir donner », se réjouit M. Seck. « Les Etats africains n’ont pas les mêmes moyens qu’en Europe », constate Firas Esreb, chef d’entreprise installé en Suisse qui envoie des dons depuis quinze ans « pour soutenir les familles dépendantes des daaras ».

« Mutualiser les moyens »

 

Les Sénégalais en difficulté se tournent aussi vers une autre structure religieuse : les dahiras, que l’on retrouve dans les universités, les entreprises ou les quartiers. « Ce sont des structures associatives, créées par les différentes confréries musulmanes pour développer l’esprit d’entraide et de solidarité. Les fidèles se regroupent, prient ensemble et mutualisent leurs moyens pour faire face en cas de crise », détaille M. Mané.

A Guédiawaye, dans la région de Dakar, un dahira regroupe des fidèles mourides qui cotisent au minimum 2 000 francs CFA (3 euros) chaque mois. « Cette somme permet d’acheter des denrées alimentaires. Nous avons aussi un référent que peuvent appeler les fidèles quand ils ont des soucis financiers ou de santé, pour que nous puissions nous mobiliser et les aider », raconte Khadim Wade, instituteur et membre de ce dahira.

En plus du discours religieux, le dahira relaie les recommandations du gouvernement de prévention de lutte contre le coronavirus. « Ces associations ont un fort impact sur les communautés et sont un moyen pour les confréries d’exercer leur influence », analyse M. Mané.

Théa ollivier

(Dakar)

 

Source : Le Monde (Le 08 mai 2020)

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