
Alors que les pays occidentaux demandent une enquête indépendante sur l’origine du Sars-Cov-2, la Chine a lancé une contre-offensive en accusant les Etats-Unis d’avoir apporté le virus en Chine. Une thèse non étayée, mais qui convainc beaucoup de Chinois.
A peine sommes-nous arrêté devant le marché de Huanan, où ont été découverts la plupart des premiers cas de Covid-19 à Wuhan, aujourd’hui complètement fermé, que des agents surgissent d’une guérite pour nous empêcher de prendre des photos. Quand on s’attarde, l’un d’eux s’agace: «il n’y a rien à voir ici.» N’est-ce pas pourtant de là que vient le virus? demande-t-on innocemment. «Ah ça, non! le virus, on ne sait pas d’où il vient mais on sait qu’il ne vient pas d’ici», s’emporte l’agent, catégorique. A Wuhan, d’autres poussent la thèse encore plus loin: le virus ne viendrait pas de Chine mais des Etats-Unis. Alors que les pays occidentaux, Etats-Unis en tête, pointent du doigt la responsabilité chinoise, la Chine a tenté de réécrire l’histoire dès février. Cette théorie, sans la moindre base solide, a pourtant convaincu une partie de la population en Chine.
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Ces accusations sonnent comme un contre-feu. Car les soupçons courent depuis le début de l’épidémie sur deux laboratoires de recherche de Wuhan, qui étudiaient des virus présents dans les chauves-souris. Dès 2018, la diplomatie américaine s’inquiétait du manque de formation adéquate des chercheurs et du personnel du laboratoire de l’Institut de virologie de Wuhan. Cet établissement P4, le plus haut niveau de sécurité, est habilité à manipuler les virus les plus dangereux, comme Ebola, le bacille du charbon (anthrax) et les coronavirus. Mais, d’après des révélations du Washington Post, des experts de l’ambassade des Etats-Unis avaient alerté sur les insuffisances du laboratoire par plusieurs télégrammes. Un autre laboratoire, de niveau P2 où des études sur les chauves-souris avaient aussi lieu, était quant à lui situé à seulement 300 mètres du marché de Huanan.
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Plusieurs pays occidentaux se sont emparés de ces révélations pour appeler à faire la lumière sur l’origine du virus et la gestion des débuts de l’épidémie par la Chine. Dimanche 19 avril, l’Australie a demandé une enquête internationale. Quelques jours plus tôt, le président américain, Donald Trump, a assuré que ses propres services menaient déjà l’enquête.
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Si le patient zéro n’a toujours pas été identifié, toutes les informations disponibles pour l’instant montrent que le SARS-Cov-2 est apparu à Wuhan fin 2019, le premier cas connu datant du 17 novembre 2019. Le virus, proche d’un virus de la chauve-souris, pourrait avoir eu pour hôte intermédiaire un mammifère, possiblement le pangolin. Si les doutes sur la sécurité des laboratoires de Wuhan existent, ils ne prouvent rien à ce stade, et les épidémiologistes écartent la possibilité d’un virus de synthèse.
Mais pour beaucoup, la politique prime sur les faits alors que les tensions avec les Etats-Unis sont au sommet. Zhang, (nom d’emprunt), un chauffeur de taxi à Wuhan, croit savoir que ce sont les Américains qui ont apporté le virus à Wuhan, lors des jeux militaires qui ont eu lieu dans la ville en octobre 2019. «Mettre à l’honneur les militaires, construire l’harmonie du monde»: le slogan des jeux, qui s’affiche encore sur certains murs de la ville, paraît bien lointain.
Lulu (elle ne donne que son surnom), une habitante de Wuhan de 32 ans, en est convaincue, le virus est un complot des Etats-Unis pour empêcher l’émergence de la puissance chinoise. «Les manifestations à Hongkong ont déjà été ourdies par les Etats-Unis, et, au début de la crise à Wuhan, on a vu les sources à Hongkong et à Taïwan essayer de semer la panique à Wuhan. Je suis sûre que les Etats-Unis sont derrière. De plus, les Etats-Unis ont de l’expérience quand il s’agit de faire le mal avec des armes chimiques: ils ont aspergé le Vietnam de Napalm», insiste-t-elle. Pour beaucoup, cette théorie a au moins suffi à semer le doute.
Propagande et censure
Apparues sur les réseaux chinois peu après l’émergence du virus, ces thèses ont reçu un crédit supplémentaire lorsque le porte-parole du Ministère des affaires étrangères, Zhao Lijian, les a reprises mi-mars, en publiant plusieurs messages sur Twitter. «Quand le patient zéro est-il apparu aux US? Combien de personnes ont été infectées? Dans quels hôpitaux? C’est peut-être l’armée américaine qui a apporté l’épidémie à Wuhan. Soyez transparents! Rendez publiques vos données! Les Etats-Unis nous doivent une explication.» Des affirmations largement reprises par les ambassades chinoises dans le monde. Le porte-parole, connu pour ses prises de position agressives, répondait semble-t-il aux accusations du président américain qui insistait pour utiliser la formule de «virus chinois».
La vérité sur l’origine du virus pourra-t-elle émerger? La Chine fait en tout cas tout pour contrôler le discours. Sur l’internet chinois, étroitement contrôlé, les théories attribuant l’origine du virus aux Etats-Unis prolifèrent, alors que les articles essayant de démonter ces rumeurs sont censurés.
La recherche scientifique, elle aussi, est muselée. «Les articles académiques cherchant à tracer l’origine du virus doivent être strictement et fermement contrôlés», indiquait une directive du Ministère chinois de l’éducation, publiée le 25 mars par plusieurs universités chinoises, supprimée depuis. D’après le document, les comités académiques des universités doivent soumettre les articles en question au Ministère de l’éducation, qui doit à son tour les transférer au groupe de travail sur l’épidémie du Conseil des affaires d’Etat, le gouvernement chinois.
Source : Le Temps (Suisse)
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