Le SARS-CoV-2 est-il sorti d’un laboratoire ?

Le nouveau coronavirus n’a pas livré le secret de ses origines. Rien ne filtre des investigations menées en Chine, ce qui laisse la porte ouverte à des hypothèses. En revanche, celle d’une origine synthétique est écartée.

Le SARS-CoV-2 est-il une création de laboratoire ou s’en serait-il échappé ? Révélé au monde le 7 janvier par les autorités chinoises, ce nouveau coronavirus n’a toujours pas livré le secret de ses origines. Rien ne filtre des investigations menées en Chine à ce sujet, ce qui laisse la porte ouverte à de nombreuses hypothèses, y compris celle d’une erreur de manipulation dans un laboratoire.

Le sujet a pris un tour diplomatique jeudi 16 avril. « Nous menons une enquête exhaustive sur tout ce que nous pouvons apprendre sur la façon dont ce virus s’est propagé, a contaminé le monde », a déclaré le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo. « Il y a manifestement des choses qui se sont passées qu’on ne sait pas », a embrayé le président français, Emmanuel Macron, dans un entretien au Financial Times.

Selon le Washington Post, l’ambassade des Etats-Unis à Pékin avait alerté Washington, il y a deux ans, sur la nécessité d’aider le Wuhan Institute of Virology (WIV) à renforcer ses mesures de sécurité. Réputé pour ses recherches sur les virus de chauve-souris, le WIV est équipé d’un laboratoire de haute sécurité dit « P4 », construit avec l’aide de la France, où sont étudiés les virus les plus dangereux. Les scientifiques chinois ont assuré que la séquence génétique du SARS-CoV-2 ne correspondait à aucun des coronavirus de leur collection. Mais, comme le souligne le Washington Post, nul n’a eu accès à leur biobanque ni aux échantillons prélevés sur les premiers patients chinois.

Très rares, les contaminations accidentelles font partie du champ des possibles dans tout laboratoire. « Il suffit qu’un chercheur renverse un flacon. Malgré la hotte aspirante, un aérosol se forme et il est infecté sans s’en rendre compte. A la fin de la journée, il quitte le laboratoire, et contamine toute sa famille et ceux qu’il croise », imagine Frédéric Tangy, chercheur à l’Institut Pasteur.

L’hypothèse d’une origine synthétique écartée

 

En revanche, l’hypothèse d’une origine synthétique du SARS-CoV-2 est écartée. S’il est bien possible de créer de toutes pièces des virus, tous les indices convergent ici vers une origine naturelle de ce nouvel agent infectieux. Pour acquérir cette certitude, les scientifiques ont étudié son histoire, dont une grande partie est inscrite dans ses gènes. Cette approche, dite « phylogénétique », permet, en comparant le génome du SARS-CoV-2 avec celui d’autres virus connus, d’identifier ses ancêtres et d’émettre des hypothèses sur sa trajectoire.

C’est ce qu’à fait Etienne Simon-Loriere, chercheur à l’Institut Pasteur. Pour mieux comprendre l’origine du SARS-CoV-2, il a comparé son code génétique à celui d’une centaine d’autres pathogènes. Cet « alignement de séquences », comme on dit dans le jargon, lui a permis d’identifier une vingtaine de virus suffisamment proches pour être ses ancêtres ou ses cousins. « Le SARS-CoV-2 partage une grande partie de son génome avec un coronavirus identifié chez des chauves-souris du Yunnan », une province du sud-ouest de la Chine, indique le scientifique. « D’autres séquences semblent venir d’un autre coronavirus repéré chez le pangolin, un mammifère à écailles qui pourrait avoir joué le rôle d’hôte intermédiaire. »

Echange de matériel génétique

 

Comment ces différents morceaux de génome se sont-ils assemblés ? L’hypothèse d’une manipulation en laboratoire au moyen d’un « copier-coller » génétique semble « plus qu’improbable », selon Etienne Simon-Loriere. Il existe bien des enzymes pour le faire – comme le désormais célèbre outil d’édition génétique Crispr-Cas9 –, mais ce type d’opération a surtout lieu chaque jour dans la nature.

Ce phénomène de « recombinaison » se produit lorsque deux virus infectent la même cellule et échangent du matériel génétique. « Ce n’est pas rare pour les virus comme celui de la grippe, qui résulte d’une succession de petits morceaux alignés les uns derrière les autres comme des wagons, explique le chercheur. Les recombinaisons sont très fréquentes, et c’est pourquoi de nouvelles variantes de grippe émergent chaque saison. » Le virus du sida, le VIH, se reconfigure lui aussi très facilement, ce qui rend d’autant plus complexe la mise au point d’un vaccin.

Grâce à une recombinaison heureuse pour lui, et malheureuse pour nous, le SARS-CoV-2 aurait acquis une « clé » (protéine) très efficace pour infecter les cellules humaines, en activant une « serrure » (récepteur de surface) baptisé ACE2. « Cela ressemble beaucoup trop à quelque chose de naturel pour qu’il y ait un doute que ce soit quelque chose d’artificiel », estime Etienne Simon-Loriere. « Pour récréer un virus aussi grand, il faudrait des connaissances techniques que peu de labos dans le monde possèdent – sans doute moins d’une dizaine – et il paraît peu plausible que des scientifiques aient pu créer un virus qui interagisse aussi bien avec le récepteur ACE2, alors que ce mécanisme n’avait jamais été observé avant », souligne le chercheur, en écartant un « coup de génie ».

Si une équipe avait voulu créer un nouveau virus, le plus simple aurait été d’employer des solutions « sur étagères », comme cela a déjà été fait par le passé pour modifier certaines « fonctions » d’un virus. En 2011, le virologue néerlandais Ron Fouchier, avait réussi à transformer un virus grippal H5N1 – très dangereux mais jusque-là quasiment incapable de se transmettre entre individus – en un mutant contagieux.

« Virus à façon »

 

Grâce à la biologie de synthèse, il est aussi tout à fait possible de ressusciter des virus disparus. En 2005, l’équipe d’Adolfo Garcia-Sastre, aux Etats-Unis, a ainsi récréé de toutes pièces le virus de la grippe espagnole de 1918, à partir de matériel génétique extrait du poumon congelé d’une victime enterrée dans le permafrost en Alaska. Et en 2017, un chercheur canadien avait provoqué un tollé en annonçant avoir synthétisé le virus de la variole équine. Ce clone était destiné à mettre au point un vaccin, mais l’approche n’aurait pas été différente pour créer une arme biologique.

Aucun emprunt génétique suspect ne permet de dire qu’il y aurait eu intervention humaine

« La synthèse d’ADN et le séquençage ne coûtent rien et sont peu surveillés, rapporte Bruno Canard, directeur de recherche au CNRS et spécialiste des coronavirus. Il est maintenant très aisé de reconstituer, à partir de petits bouts d’ADN, des nouveaux virus, par recombinaison. On peut même imaginer des robots qui vont prévoir des milliers d’essais en parallèle pour tenter de sélectionner des virus à façon. » Dans ce scénario de science-fiction, la création d’une arme biologique ressemblerait à un jeu de Lego génétique. « Il suffit de deux minutes à un scientifique expérimenté pour comprendre que quelques acides aminés supplémentaires dans la séquence de la protéine de surface du SARS-CoV2 lui confèrent une dissémination et une pathogénicité augmentées », précise Bruno Canard.

L’utilisation de ciseaux à ADN pour assembler un génome entier ne laisserait en théorie aucune trace. « Rien ne permettrait de dire qu’il s’agit d’un virus synthétique, pour peu que les mutations tout au long du génome aient l’air cohérentes avec l’évolution d’un virus naturel », explique Etienne Simon-Loriere. Dans le cas du SARS-CoV-2, aucun emprunt génétique suspect – notamment au virus du VIH comme certaines théories complotistes, relayées entre autres par le professeur Luc Montagnier, le suggèrent – ne permet de dire qu’il y aurait eu intervention humaine.

Dans les faits, les scientifiques créent déjà quotidiennement des virus mutants. Le premier objectif est de mieux comprendre par quels mécanismes ils nous infectent. Le second est de développer des vaccins. « Pour créer notre “candidat vaccin”, nous avons inséré un morceau du génome du coronavirus dans le génome de la rougeole », explique Frédéric Tangy, en précisant que l’objectif de cette manipulation est d’induire une réponse immunitaire protectrice chez l’homme.

« C’est du “couper-coller”, comme quand vous éditez un texte. Vous prenez une phrase ou un paragraphe, vous la coupez et vous la rentrez ailleurs. Cela va moins vite avec un virus qu’avec un texte mais c’est exactement le même principe », détaille-t-il. Toutefois, selon lui, la bonne question à se poser quant à la possibilité d’un virus synthétique est finalement « A qui profite le crime ? ». Et dans le cas du SARS-Cov-2, il semble bien n’y avoir que des perdants.

Chloé Hecketsweiler

Source : Le Monde

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