L’humour, ce ressort qui divertit, séduit, agace même parfois. Dans des situations aussi anxiogènes que celle au sein de laquelle nous plonge la pandémie de Covid-19, il semble même relever du besoin, tant les productions comiques se multiplient et se partagent sur les réseaux sociaux. Pour Le Temps, Andrea Samson décortique les dessous de ce phénomène. Professeure à la Faculté de psychologie d’UniDistance Suisse et à l’institut de pédagogie curative de l’Université de Fribourg, elle a mené de nombreuses études sur le sujet.
Le Temps: Pourquoi, en temps de crise, a-t-on tendance à consommer puis partager – voire créer – du contenu humoristique?
Andrea Samson: L’humour a différentes fonctions, dont celle de changer notre perspective sur un certain événement. Il peut complètement transformer quelque chose d’angoissant en un fait de moindre importance. L’humour est donc une stratégie de gestion des émotions (comme l’anxiété, etc.). Il aide à prendre du recul sans nier le problème, et c’est particulièrement important en ce moment.
Quand on a peu de possibilités d’action sur une situation, comme dans le cas du confinement, il y a plusieurs manières de réagir: par exemple, réévaluer la situation cognitivement, en essayant de voir ses aspects positifs («soudain, j’ai du temps avec mes enfants») ou alors carrément de la prendre avec humour. J’ai fait des expériences et comparé les essais de la réévaluation cognitive et de la réévaluation humoristique, et la seconde était plus efficace. L’humour est une possibilité de voir une situation sous une autre perspective, même si ce n’est que l’espace d’un instant. Tenez, un jeu de mots drôle pour illustrer cela, que j’ai lu récemment: Un «quarantini» plutôt qu’un Martini, c’est la même chose mais vous le buvez seul!
Réévaluer la situation sous l’angle humoristique, est-ce efficace à long terme?
Oui. L’une de mes études montre qu’utiliser l’humour ne modifie pas seulement nos émotions sur le moment mais aussi, plus tard, les souvenirs. Cela signifie que si l’on se permet de faire des blagues maintenant à propos de la pandémie – sans oublier que c’est grave toutefois – et de partager des moments joyeux avec les autres, quand on se rappellera cette période dans quelques mois, les souvenirs seront plus positifs que si on ne s’en est pas amusé du tout.
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Y a-t-il, paradoxalement, un côté obscur de l’humour dans cette situation?
Il y a un risque. Au début de la crise, trop de monde a ri et n’a pas mesuré le sérieux de la propagation du virus. Je dirais donc que tout prendre à la rigolade est problématique si cela affecte le comportement: si quelqu’un dit «haha, c’est une blague ce virus» et sort, ne se protège pas, par exemple. Mais si cette personne reste chez elle et fait des blagues, ce n’est pas très grave. Les premiers jours, lorsque les gens ont compris que le virus nous touchait réellement, le stress était très fort et donc peu de monde a plaisanté. Cela vient vraiment maintenant: nous sommes dans la même situation, mais être capable de rire est le signe que l’on essaie et que l’on apprend à la gérer.
Au fond, c’est important pour notre santé mentale…
Oui, et je pense surtout aux personnes qui travaillent sous stress. J’espère vraiment que, dans les hôpitaux, les médecins, tout le personnel soignant réussit à se raconter des blagues. On peut rester chez soi et faire ou regarder quelque chose d’humoristique, mais quid des gens qui travaillent en situations d’urgence? Il n’y a rien de drôle dans ce à quoi ils sont confrontés, pourtant, il faut qu’ils puissent rire.
Source : Le Temps (Suisse)
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