Le docteur Tedros, capitaine d’un vaisseau fragile en pleine tempête : l’OMS

Avec la pandémie de Covid-19, Tedros Adhanom Ghebreyesus s’impose sur tous les écrans de la planète. Directeur général de l’Organisation mondiale de la santé depuis 2017, il dirige une agence onusienne nécessaire, mais fragile. Il pourrait être un bouc émissaire facile de la pandémie. Or il cherche un équilibre difficile entre Pékin, Washington et les Etats qui le soutiennent.

Moustache, lunettes à monture noire, Tedros Adhanom Ghebreyesus, 55 ans, est devenu en quelques semaines l’une des figures les plus familières de la planète. Directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), celui qu’on surnomme le docteur Tedros est en tout cas parvenu à relever le premier défi qu’il s’était fixé en accédant à la tête de l’agence onusienne le 1er juillet 2017: replacer l’OMS au centre de l’attention. Depuis plusieurs semaines, ses conférences de presse sur la pandémie de Covid-19 sont diffusées sur la plupart des télévisions du monde. L’Ethiopien, premier Africain à diriger l’OMS, martèle jour après jour ses recommandations à l’intention des 194 Etats membres, dont celle de dépister systématiquement les cas d’infection au coronavirus: «Testez, testez, testez», répète-t-il sans cesse.

L’humain

 

Accaparé par la plus grave crise sanitaire depuis la grippe espagnole de 1918, le docteur Tedros ne se voile pas la face. La plupart du temps, il tient un discours direct, sans fioriture. Il n’hésite pas à sermonner sans les nommer les Etats membres qui ne prennent pas des mesures suffisamment draconiennes pour endiguer la pandémie. Hors des discours officiels, il attache une grande importance à l’humain. A mille lieues du bureaucrate, il peut parfois verser quelques larmes dans des situations qui le touchent.

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Quand cet ex-ministre éthiopien de la Santé et des Affaires étrangères l’a reprise en main, l’OMS avait un gros problème de crédibilité après avoir tardé à réagir à l’épidémie d’Ebola de 2014-2016 qui a tué 11 000 personnes en Afrique de l’Ouest. Quand se déclare une épidémie d’Ebola en République démocratique du Congo en 2018, il se rend une douzaine de fois sur le terrain. Membre du Conseil de supervision de la préparation globale (GPMB), un organe indépendant lancé par l’OMS et la Banque mondiale, présidente du Global Health Centre de l’IHEID, Ilona Kickbusch est persuadée que cette attitude a changé la donne: «Si, aujourd’hui, la confiance dans l’OMS est retrouvée, on le doit en bonne partie au docteur Tedros. En RDC, il a montré ouverture, humanité et un engagement personnel sans limite.»

L’Ethiopien est loin d’être un directeur cantonné dans son vaste bureau au septième étage du bâtiment de l’OMS. Il aime aller à la rencontre des gens. Aux diplomates, ils s’adressent souvent en les interpellant dans leur langue ou en les appelant «Brother (frère)». Son style change radicalement de celui de Margaret Chan, qui l’a précédé à la direction de l’OMS. La Chinoise était une excellente technicienne, mais peu versée dans les négociations avec les Etats membres. Tedros Adhanom Ghebreyesus «a tout du politicien dont il détient toutes les clés du métier, relève un collaborateur de l’OMS. Mais c’est aussi un anticonformiste. Il n’aime pas suivre des règles. Déterminé – certains diront même borné –, il va si vite qu’il déstabilise ses équipes.» Au sein de la maison, il a ses cercles. Dans le premier figure une personne dont il est très proche, son speechwriter Simeon Bennett, un ex-journaliste qui écrit ses discours. Ce dernier ne doit pas être étranger à l’importance qu’attache le docteur Tedros aux réseaux sociaux, un moyen puissant selon lui de communiquer, voire de contrer le flot de fausses informations qui défilent sur le coronavirus.

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Réseau impressionnant

 

Né à Asmara quand la ville aujourd’hui érythréenne appartenait encore à l’Ethiopie, Tedros a dès son jeune âge été sensibilisé à l’OMS qui menait une campagne contre la variole au moyen d’affiches placardées dans les rues. Premier directeur général à ne pas être médecin, il a étudié la biologie, fut étudiant boursier de l’OMS à la London School of Hygiene and Tropical Medicine avant de décrocher un doctorat en santé communautaire. Un tremplin idéal. A son retour en Ethiopie, il gravit les échelons pour devenir ministre de la Santé. Hormis une polémique sur trois crises de choléra que ses services auraient cherché à cacher, son bilan est largement salué, notamment la création, avec l’aide de Bill Clinton, d’un réseau de santé communautaire formé de 40 000 femmes qui permettra de réduire de plus de la moitié la mortalité infantile. Son réseau international lui est très utile. «Il ne se contente pas d’appeler les ministres de la Santé, relève un expert interne. Il appelle directement les chefs d’État et de gouvernement.»

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L’Ethiopien est le capitaine d’un paquebot dont la coque reste très fragile pour naviguer en eaux agitées. Le budget de l’OMS dit tout: 2,5 milliards de dollars par an. Les contributions obligatoires des Etats membres qu’Angela Merkel par exemple a cherché à augmenter, en vain, ne représentent que 17% de ce montant, le reste étant des contributions volontaires dont près de la moitié proviennent de la Fondation Bill et Melinda Gates (18,1%), des Etats-Unis (16,6%) et du Royaume-Uni (10,3%). «Si l’un de ces donateurs faisait faux bon, l’organisation, déjà faible institutionnellement, serait en grave difficulté», prédit un diplomate européen.

Le docteur Tedros essuie ses premières critiques quelques mois après son entrée en fonction. Sous pression de l’Union africaine qui a soutenu sa candidature, il nomme le dictateur Robert Mugabe au poste d’ambassadeur de bonne volonté de l’OMS. Enorme tollé. Il renonce à la nomination controversée. Les critiques les plus sévères lui sont adressées pour son attitude trop élogieuse envers la Chine dans la gestion du Covid-19. Pour les uns, il se couche devant le nouveau pouvoir chinois, déclarant tardivement l’urgence internationale pour ménager Pékin. Pour d’autres, il est au contraire réaliste, tirant le meilleur profit de l’actuelle géopolitique mondiale. «Il doit trouver un équilibre entre les pays occidentaux riches qui assurent les deux tiers du budget de l’OMS et les puissances émergentes et pays en voie de développement qui l’ont élu – et qui seront sollicités pour le réélire, analyse Suerie Moon, codirectrice du Global Health Centre à l’IHEID à Genève. Ce n’est pas facile, même hors de toute crise.» Un diplomate européen le concède: «Il n’avait pas le choix. Si le prix d’une collaboration active de la Chine en termes de partage d’information et du séquençage du génome était quelques fioritures protocolaires, je pense qu’il valait la peine d’agir ainsi.» L’équilibrisme de Tedros ne concerne pas que la Chine. Coïncidence des calendriers: le jour où le patron de l’OMS félicitait Donald Trump pour certaines mesures prises par Washington, le président américain bafouait les recommandations de distanciation physique de l’OMS en prônant un retour au travail d’ici à Pâques.

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En tant qu’Africain, il a une approche très universelle et une faculté à s’adapter à son interlocuteur sans oublier de dire ce qu’il a à dire. Il aime rester le chef, mais peut être empathique avec n’importe qui. Il a conscience des rapports de force et sait les utiliser pour atteindre ses objectifs. Quitte à utiliser l’humour.

Sur le plan des réformes internes à l’OMS, son bilan est mitigé. D’un côté, il a renforcé la présence des femmes au sein de son cabinet et de la science, de l’autre, il a été un peu brouillon dans la manière de changer les choses. Le personnel, déstabilisé, a de la peine à le suivre. «Mais, relève un expert, il a réussi à faire bouger l’OMS. Ce n’est pas rien.»

 

 

 

Stéphane Bussard
Source : Le Temps (Suisse) – Le 30 mars 2020

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