Vladimir Poutine : un souci d’image

La Russie serait moins touchée que ses voisins européens par la pandémie de Covid-19. A moins que les statistiques ne soient «traitées» avec davantage de soin que les malades.

Vladimir Poutine l’a dit et répété encore dimanche: l’épidémie est «sous contrôle», parce que les «bonnes décisions ont été prises en leur temps», allusion à la fermeture des 4000 km de frontière avec la Chine le 30 janvier. Le virus «vient de l’étranger» et le système de santé «est prêt». Suivant la communication chinoise, le Kremlin met l’accent sur la construction d’un hôpital provisoire de 500 lits dans la banlieue de Moscou. La Russie a envoyé dimanche neuf avions militaires chargés de 100 spécialistes et de matériel médical vers Italie. La télévision d’Etat entonne les accents messianiques des penseurs «slavophiles» du XIXe siècle (Dostoïevski, Odoïevsky, Kraïevsky) décrivant «un Occident (l’Union européenne) moribond» que «seule la Russie pourra sauver». Les autorités annoncent la découverte d’un vaccin russe contre le Covid-19, qui serait déjà testé sur des animaux.

Lire aussi: Covid-19, l’effet domino planétaire

Les statistiques officielles donnent des chiffres sans commune mesure avec ceux des pays européens frappés par la pandémie, qui affichent des milliers de cas. Soit, lundi matin, 71 nouveaux cas pour un total de 438 individus infectés par le Covid-19 (dont plus de la moitié à Moscou) sur une population totale de 146 millions d’individus. Et toujours pas un seul décès enregistré.

Lire également: Viviane Reding: «L’Europe n’a pas encore perdu la bataille du coronavirus»

Embrasser les icônes

 

La courbe épouse toutefois un profil exponentiel, poussant les autorités religieuses à changer leur fusil d’épaule. Le clergé orthodoxe qui la semaine dernière encourageait encore ses ouailles à embrasser les icônes «protégeant contre l’épidémie» vient d’interdire cette pratique. La mairie de Moscou commence tout juste à adopter les premières mesures coercitives: les écoles sont fermées depuis samedi, les salles de sport et les piscines sont closes depuis lundi matin, tandis que les théâtres et les cinémas ont simplement reçu la «recommandation» de faire de même.

Les Moscovites de plus de 65 ans ont reçu l’ordre lundi matin de ne pas sortir de chez eux. Sauf Vladimir Poutine, 67 ans, a immédiatement notifié le Kremlin. Dimanche, le dirigeant est apparu à la télévision entouré des principaux hauts fonctionnaires du pays, assis autour d’une longue table ovale. Comme d’habitude, si ce n’est le président de la banque d’Etat VEB, Igor Chouvalov, apparu avec un masque noir ressemblant à une muselière. Tancé par ses collègues, il l’a vite ôté pour écouter le chef de l’Etat.

Derrière ce spectacle de stabilité et d’unanimisme, des doutes surgissent au sein d’une population assimilant depuis longtemps les mensonges d’Etat à un phénomène naturel. Tchernobyl (1986) est passé par là, suivi de nombreux épisodes catastrophiques (accident du sous-marin Koursk en 2000, destruction du vol MH-17 dans le Donbass en 2014, incendie d’un sous-marin l’été dernier et explosion d’un mystérieux missile nucléaire peu après). La communication officielle s’embrouille systématiquement dans les contradictions, les mensonges et une opacité maladroite qui perpétue la défiance.

C’est pourquoi beaucoup doutent de la véracité des chiffres officiels sur la pandémie et sur la capacité du système de santé à absorber le choc. Les Russes les plus aisés se ruent sur les appareils de ventilation artificielle dans la perspective d’un traitement du Covid-19 à leur domicile. Une enquête du site d’information Moscow Times montre que des dizaines de super-riches russes se font construire à la hâte des cliniques à domicile pour s’assurer d’être mieux soignés que le reste de la population en cas d’infection. Ils s’arrachent à prix d’or des respirateurs artificiels, dont les hôpitaux de l’immense province russe manquent cruellement.

Des tests moins sensibles

 

Même au sein du monde médical, des fissures apparaissent: les tests russes de dépistage du Covid-19 seraient 10 000 fois moins sensibles que les tests utilisés en Europe et aux Etats-Unis. De nombreux cas avérés (et décès) seront classés comme «pneumonie» afin de ne pas gâcher les statistiques officielles, signalent plusieurs médecins sur les réseaux sociaux. Rosstat, l’agence officielle des statistiques, notait d’ailleurs dès janvier une augmentation de 37% en glissement annuel des cas de pneumonie dans le pays. Les chiffres du mois de février ne sont pas encore connus. «Je suis absolument certaine qu’il y a davantage de patients atteints du Covid-19 que les autorités ne veulent bien le dire», confie Anastasia Vassilieva, directrice du syndicat Alliance des docteurs. «J’ai l’impression qu’on nous prend pour des idiots, s’indigne-t-elle. Poutine est-il vraiment notre président? Nous souffrons d’un déficit de médecins, ils ne disposent pas de protections et se cousent des masques avec de la gaze. Combien de fois avons-nous demandé qu’on nous en fournisse? Au lieu de ça, il envoie de l’aide à l’Italie. Est-il indifférent à son pays?»

Difficile de démêler le vrai du faux à l’heure actuelle. Mais les autorités ne tolèrent pas les doutes. Le régulateur des médias et de l’internet RKN a ordonné à la radio libérale Echo de Moscou, à YouTube et aux réseaux sociaux Instagram et vk.com d’effacer immédiatement des informations qualifiées de «mensongères» au sujet du Covid-19. Dimanche, un vice-premier ministre expliquait à Vladimir Poutine que «l’intelligence artificielle et les réseaux neuronaux détectent sans relâche les fake news» sur la pandémie. Vladimir Poutine veille à l’image de son pays.

Source : Le Temps (Suisse) – Le 23 mars 2020

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com

 

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page