Coronavirus : ces Français d’Afrique qui font le choix de rester

La fermeture progressive des frontières en raison de la pandémie a imposé de douloureux dilemmes aux Français résidant sur le continent.

Partir ? Rester ? La crise du coronavirus a très vite placé les Français résidant sur le continent africain face à un dilemme. Alors que les frontières sont en train de se fermer, ils sont environ 265 000 – selon les chiffres officiels consulaires en général sous-évalués – à avoir ainsi dû trancher la question dans la hâte.

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Rentrer en France ou demeurer sur place par obligation professionnelle ou par solidarité avec amis et collègues africains, au risque de devoir affronter, dans certains cas ponctuels, un climat anti-étrangers et l’aléa sanitaire de pays aux systèmes de soins très fragiles ? Les correspondants du Monde Afrique dans sept capitales africaines se font l’écho des décisions de ces Français de demeurer dans leur pays d’accueil, où certains s’estiment plus en sécurité qu’en France même.

A Abidjan (Côte d’Ivoire), le nombre de malades augmente chaque jour et les frontières aériennes se ferment peu à peu. Arthur Draber, chef d’entreprise trentenaire à la tête d’une société opérant dans l’agroalimentaire, affirme qu’il n’est pour lui « pas question de partir ». Sa société étant « toute jeune », il est convaincu que s’en aller signifierait « tout perdre » et il se dit « solidaire » de ses employés, pour la plupart ivoiriens, dans cette « épreuve douloureuse que s’apprête à traverser le pays ».

La cour vide de la cathédrale Saint-Paul du quartier du Plateau à Abidjan, le 22 mars 2020.
La cour vide de la cathédrale Saint-Paul du quartier du Plateau à Abidjan, le 22 mars 2020. Luc Gnago / REUTERS

 

Le même état d’esprit prévaut chez Patrick, un entrepreneur franco-ivoirien d’une quarantaine d’années. Il a décidé de rester pour « surveiller ses activités », même s’il est conscient du risque sanitaire. « Les infrastructures sanitaires ivoiriennes sont trop fragiles, s’inquiète-t-il. Les plus riches vont se ruer vers les cliniques privées, mais leurs capacités sont faibles. » Aussi, n’exclut-il que la question du retour en France « se pose à nouveau très rapidement ».

A Addis-Abeba (Ethiopie), Patricia, traductrice interprète indépendante, ne cesse de s’interroger : « J’ai vu beaucoup de gens faire leurs stocks dans les magasins. Des légumes il y en a encore partout, mais qu’est-ce qu’il en sera dans un mois, un mois et demi ? ». La jeune femme vit depuis dix ans dans la capitale éthiopienne, troisième ville au monde comptant le plus de diplomates après New York et Genève.

Dimanche 15 mars, elle a vécu une scène inquiétante dans un boui-boui de la ville où elle déjeunait avec une amie : « Un homme est entré dans l’établissement et nous a hurlés dessus : « China ! Coronavirus ! » » Les autres clients et le serveur, qui nous avaient vus nous laver les mains avec du gel hydroalcoolique, ont pris notre défense et l’homme est parti ».

Un marché aux légumes bien approvisionné à Addis-Abeba, le 17 mars 2020.
Un marché aux légumes bien approvisionné à Addis-Abeba, le 17 mars 2020. Tiksa Negeri / REUTERS

 

Plusieurs organisations dont l’ambassade américaine ont appelé à la vigilance après avoir été informées d’insultes, menaces et agressions (jets de pierres, crachats, refus essuyés de la part de taxis…) à l’encontre des étrangers, suspectés d’importer le virus. Pourtant, Patricia va rester. Son compagnon, de nationalité yéménite, est résident permanent en Ethiopie.

A Alger (Algérie), la ligne d’urgence de l’ambassade de France a enregistré 1 300 demandes de « solutions pour rentrer », quarante-huit heures après avoir été mise en service lundi 16 mars. Mais au sein de la communauté française en Algérie, certains ont décidé de demeurer sur place. « En France, ma seule solution est de vivre avec ma mère de 85 ans et cela était hors de question », explique Stéphanie, une enseignante qui n’est sortie de chez elle qu’une fois ces deux derniers jours pour aller à la boulangerie. Bien sûr, elle n’ignore pas les risques. « Si on est atteint et qu’on a besoin d’un respirateur, ça va être critique, dit-elle. Mais a priori, je ne fais pas partie des personnes vulnérables. Et je pense qu’on est mieux ici qu’en France. »

Des lave-mains avec des distributeurs de désinfectant ont été installés dans une rue du centre d’Alger, le 21 mars 2020.
Des lave-mains avec des distributeurs de désinfectant ont été installés dans une rue du centre d’Alger, le 21 mars 2020. Ramzi Boudina / REUTERS

 

Jeudi, face à l’afflux des demandes de rapatriement, les autorités consulaires ont demandé aux Français résidents ayant une « raison impérative » de quitter le territoire de se faire connaître par courriel et de produire des justificatifs.

A Bamako (Mali), la vie tourne au ralenti. Les autorités ont décidé d’interdire les regroupements, de fermer les écoles et de suspendre jusqu’à nouvel ordre les vols internationaux à partir de vendredi 20 mars. Les sites de vente de billets sont surchargés et des files d’attente s’allongent devant les locaux d’Air France, dans la capitale. Guy Sukho, 53 ans, Franco-Malien et vice-président du conseil consulaire, passe devant et s’étonne de la cohue. « Je fais le choix de rester, car c’est une pandémie et, où que l’on aille, on courra un risque. Et le plus grand aujourd’hui, c’est de voyager. Se rabattre sur l’Europe n’est pas une solution. Il faut lutter en restant chez soi », précise-t-il.

A la maison, son fils qui se prépare pour le baccalauréat est dans l’expectative. Depuis que son établissement a fermé jeudi 19 mars, il attend les recommandations, tout comme Mélanie Jaffuel, 25 ans, qui travaille à l’établissement français Liberté, à Bamako. « Notre proviseur nous a demandé de ne pas quitter le pays, dit-elle. Je le comprends. Beaucoup de mes collègues devront eux aussi rester ici. Il n’y a plus de place dans le dernier vol Air France ce soir. Mais on se sent en sécurité. D’ici à la fin de semaine, nous aurons une plate-forme éducative pour continuer les cours en télétravail. »

Un chercheur malien effectue un test sur le Covid-19, dans le laboratoire de l’hôpital du Point G de Bamako, le 19 mars 2020.
Un chercheur malien effectue un test sur le Covid-19, dans le laboratoire de l’hôpital du Point G de Bamako, le 19 mars 2020. MICHELE CATTANI / AFP

 

Alice Authier, 27 ans, coordinatrice d’un programme de soins pour la Chaîne de l’espoir, ne mange plus dans le même plat que ses collègues maliens de l’hôpital, ainsi que le recommande la tradition. Elle ne veut pas les mettre en danger, elle qui fréquente beaucoup d’expatriés. Partir ? Rester ? Elle a hésité. Quand le courriel de sa direction demandant le rapatriement de tous ses employés est arrivé, il était de toute manière trop tard. Les frontières venaient de se refermer.

Les médecins français qui devaient venir en mission humanitaire pour former des confrères maliens sont restés en France. Il faudra désormais compter sur un système de santé local très peu préparé à une pandémie. Mais Alice a confiance en la résilience des Maliens qui, avec les ablutions religieuses, ont de bonnes habitudes d’hygiène et ont « déjà intégré de nombreux réflexes positifs depuis l’épidémie d’Ebola qui a sévi de 2013 à 2016 dans la région ».

A Bangui (Centrafrique), la question ne se pose pas pour de nombreux expatriés. Beaucoup travaillent dans des ONG et restent pour effectuer leur mission. Pour les autres, l’impératif de la poursuite des activités s’impose. David Lamoureux, de nationalité franco-belge, directeur général du groupe Via Air (une compagnie aérienne travaillant dans la sous-région) et consul honoraire de Belgique à Bangui, n’a guère hésité : « Je me vois mal laisser sur place une quarantaine de salariés. Nous devons assurer notre travail, primordial pour le pays, à la fois pour l’approvisionnement en nourriture des casques bleus et la livraison du fret humanitaire pour les institutions internationales ou les grandes ONG. »

Le discours rassurant de l’ambassade de France, qui affirme que tout est fait pour assurer au moins un vol par semaine, a achevé de le convaincre. Seuls les Français et Européens de passage sont invités à partir pour le moment, les autres sont incités à rester.

A Dakar (Sénégal), le système de santé ne fait pas peur. Le pays est l’un des mieux lotis d’Afrique de l’Ouest, si ce n’est le meilleur. L’angoisse d’être loin de sa famille fait pourtant douter certains expatriés. Anne-Sophie hésite. « Ma grand-mère est très âgée, je la sais fragile face au virus, témoigne-t-elle avec émotion. Si je choisis de rester ici et qu’il lui arrive quelque chose, je ne pourrai pas être parmi les miens avant trente jours. C’est difficile à imaginer. » En revanche, son compagnon, au service de l’Etat français au Sénégal, ne s’imagine pas une seconde « déserter. Si tous les Européens quittent le navire et rentrent quand la tempête est passée, vous vous imaginez l’accueil des Sénégalais au retour ? »

Un membre des services d’hygiène désinfecte un marché à Dakar, le 22 mars 2020.
Un membre des services d’hygiène désinfecte un marché à Dakar, le 22 mars 2020. Zohra Bensemra / REUTERS

 

Ils resteront donc, même si l’atmosphère à Dakar a changé. « Corona ! Corona ! », crie une bande de jeunes locaux à deux Français en scooter, accompagnant leurs cris d’un mime de toussotement dans la direction des deux-roues. « C’est ridicule, commente Benoît, l’un des deux motocyclistes. On rit jaune, puis on ne rit plus du tout. » « Pour l’instant, je n’ai pas envie de partir, explique son amie. Mais qui sait comment ça va évoluer ? Ça, ça me fait peur. »

Autre expatriée, Emilie, dont le mari travaille dans une ONG continuant de fonctionner, est elle aussi encline à demeurer à Addis-Abeba. « La situation sanitaire en France est vraiment pire qu’ici », précise-t-elle. Mais la trentenaire, qui limite ses déplacements, reste prudente. « On pourrait être pris pour cible en étant Blancs, s’inquiète-t-elle. Mais il faudrait une vraie dégradation de la situation ou la propagation du virus pour nous convaincre de rentrer. »

A Tunis (Tunisie), les derniers vols vers l’Europe ont eu lieu vendredi 20 mars. La Tunisie a ensuite fermé ses frontières aériennes. Beaucoup sont partis, mais d’autres regardent de loin la situation en France et confient se sentir mieux dans leur pays d’accueil. Cyril Mauger, 52 ans, vit en Tunisie depuis vingt ans avec sa famille. Ce patron d’une entreprise spécialisée dans le conseil et la communication procède désormais en télétravail et il garde contact avec sa mère en France par téléphone.

L’avenue Habib-Bourguiba dans le centre de Tunis, le 22 mars 2020.
L’avenue Habib-Bourguiba dans le centre de Tunis, le 22 mars 2020. Zoubeir Souissi / REUTERS

 

« Elle a 73 ans et elle vit seule. C’est vrai que j’ai pensé à partir à cause d’elle, mais je pense qu’il vaut mieux ne pas bouger et rester là où on est », dit-il. Il fait partie des 30 000 résidents français dans le pays qui sont affiliés au système de santé local ou à la sécurité sociale des Français de l’étranger. « J’ai une assurance privée qui me permet d’être soigné en clinique, dit-il. Je me suis déjà fait opérer ici, le système de santé est très efficace. »

Florence Larek, 58 ans, a elle aussi fait le choix de rester dans le village de pêcheurs de Salakta (gouvernorat de Mahdia), sur le littoral oriental du pays. Bien qu’asthmatique et sujette à de la tension, elle se sent plus en sécurité en Tunisie : « Quand je vais en ville à Mahdia, les rues sont vides. Personne ne s’assoit ou ne traîne dans les rues. J’ai l’impression que les Tunisiens sont plus sérieux que les Français sur les mesures de précaution. »

 

 

 

 

Source : Le Monde (Le 23 mars 2020)

 

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