La Palestine réclame le droit d’avoir son courrier

La Palestine fait face à un blocage de son courrier par l'État hébreu. Une violation des droits de base de la population.

«J’ai acheté mon portable en juin 2019 sur internet, environ 350 dollars et je ne l’ai pas encore reçu», affirme Monther, un Palestinien de la ville d’Idhna en Cisjordanie. «J’ai appelé la poste israélienne pour leur demander où était mon colis, la première fois il m’ont mis en attente trois heures. Finalement, il semblerait qu’ils l’ont envoyé dans la colonie israélienne d’Adora, non loin de chez moi», s’indigne-t-il.

Ce jeune Palestinien adepte de l’achat en ligne est régulièrement confronté aux services de la poste israélienne qui ne lui délivre pas ses achats: «Quand j’achète quelque chose en ligne, il faut que j’écrive “Israël” comme adresse. La plupart du temps, peu importe le produit, cela met une dizaine de jours pour arriver en Israël, puis sept mois pour arriver chez moi», explique-t-il. Il affirme également que parfois, son courrier est perdu, ouvert ou même déchiré. «C’est très frustrant pour moi et pour tout le monde. Cela me met en colère car c’est censé être un droit de base, ce n’est pas un privilège.» Las, Monther a donc sensiblement diminué ses achats en ligne: «J’ai commencé à acheter sur place. C’est plus cher, ce n’est pas de la bonne qualité, mais c’est plus rapide et au moins je le reçois à temps.»

Une violation des droits

 

En janvier, l’union des travailleurs du service de poste palestinien a commencé une campagne pour dénoncer ce qu’il considère comme une violation des droits des Palestinien·nes: «La population a le droit de recevoir ses achats faits en ligne, son courrier et ses colis à temps!», s’indigne Imad Témiza, responsable des relations internationales de l’union. Pour lui, l’Autorité palestinienne a les mains liées car «elle ne contrôle pas les frontières».

La poste palestinienne est officiellement établie en 1994. En 1999, la Palestine est reconnue comme membre observateur de l’union postale universelle (UPU) ce qui lui donne le droit d’établir des services postaux indépendants en collaboration avec l’UPU. En 2008, lors du Congrès de l’UPU une déclaration commune annonce des discussions entre Israël et la Palestine «pour trouver une solution opérationnelle qui permettrait au courriers palestiniens d’être acheminés par transport routier entre Ramallah (Cisjordanie) et Amman en Jordanie». En 2012, une nouvelle résolution de l’UPU soutient les efforts initiés en 2008 et vise à permettre un échange de services directs avec la Palestine. Enfin, une résolution de l’UPU lors de son congrès en 2016 confère aux services postaux palestiniens le droit d’échanger directement avec les autres membres de l’UPU.

Un déblocage exceptionnel en août 2018

 

Mais dans les faits, ces accords ne sont pas mis en pratique, comme le souligne Christy Hoffman, secrétaire général de l’UNI Global Union, fédération syndicale internationale auquel est rattachée l’union des travailleurs du service de poste palestinien: «Le refus par Israël de livrer le courrier en Cisjordanie est à la fois une violation des droits internationaux et des règlements de l’UPU», affirme-t-elle. En 2018, l’UNI Global Union demande à l’Union postale universelle de «rappeler à tous les États membres qu’ils sont dans l’obligation d’établir un échange postal direct avec la Palestine via la Jordanie selon la déclaration adoptée pat l’UPU en 2012».

Peine perdue, le courrier palestinien est bloqué par Israël en Jordanie, l’État hébreu contrôle en effet les frontières et donc les marchandises. Ramadan Ghazawi est responsable du bureau de poste de Jéricho, à la frontière jordanienne. C’est lui qui s’occupe des courriers censés passer par le pont Allenby (Jordanie) à destination de la Cisjordanie. Il affirme qu’Israël n’a permis qu’une seule fois, en août 2018, la distribution des courriers palestiniens: «Depuis 2018, la distribution du courrier est à nouveau bloquée. Nous avons environ 365 sacs de courriers, bloqués en Jordanie depuis 2018, insiste-t-il. Certains Palestiniens vivant à l’étranger ont essayé d’envoyer des cadeaux de Noël à leur famille. La réception a été retardée de huit ans!» s’exclame Imad Témiza en référence au premier blocus (2010-2018).

Pour le coordinateur des activités du gouvernement dans les territoires (Cogat), une unité du ministère de la Défense israélienne, le déblocage de 2018 était un «geste» de l’État hébreu dans la mesure où aucun accord n’avait été acté entre les deux parties. Selon le mondejuif.info, ce blocage ne concerne que les pays arabes qui ne reconnaissent pas l’État d’Israël: «Le courrier est livré à l’Autorité palestinienne de tous les pays du monde sans aucun problème, à l’exception du courrier des pays arabes qui boycottent le service postal d’Israël et l’envoient à la Jordanie. La Jordanie, n’étant pas autorisée à transférer le courrier à l’Autorité palestinienne, tout le courrier envoyé à l’Autorité palestinienne via la Jordanie s’en retrouve bloqué», écrit ainsi Yaakov Tanenbaum.

«Ce sont des procédures humiliantes, et une violation des droits humains.»

Imad Témiza, responsable des relations internationales de l’union universelle postale

En effet, les courriers originaires de pays ne reconnaissant pas la Palestine comme un État passent par l’aéroport d’Israël, explique Imad Témiza. Mais ces courriers arrivent souvent en retard: «C’est Israël qui nous livre le courrier, après un délai de plusieurs mois dû à des vérifications sécuritaires, ajoute Imad Témiza. Pour tout matériel électronique, Israël demande un certificat qui ne peut être délivré que par le gouvernement israélien. C’est donc très difficile pour nous», raconte également Monther.

La réception de courrier dans la bande de Gaza est encore plus compliquée. L’État hébreu ne s’en cache d’ailleurs pas: en juillet dernier, le Times of Israël publiait un article affirmant la confiscation de 1.600 commandes en ligne, envoyées a Gaza, par peur d’utilisation militaire.

«Ce sont des procédures humiliantes, et une violation des droits humains. Le message que les Israéliens veulent faire passer de cette manière à l’Autorité palestinienne et au peuple palestinien c’est: “Vous ne pouvez pas accéder au monde sans nous”», explique Imad Témiza.

Ni le service israélien de la poste (rattaché à l’État), ni l’Union universelle postale n’ont répondu à nos questions, malgré plusieurs relances. L’Union universelle postale nous a néanmoins fait suivre le Compendium des décisions du Congrès de 2016.

Des conséquences économiques

 

Ce blocus postal a des conséquences économiques importantes pour les services postaux palestiniens. Cité dans le Jerusalem Post, l’ancien ministre des Communications palestinien, Mashhour Abu-Daqqa, chiffrait déjà en 2011 les pertes à 200.000 dollars. Ramadan Ghazawi va encore plus loin: «Nous avons perdu la confiance de nos clients. Ils utilisent les services de sociétés internationales comme DHL, qui ont des agences en Israël qui peuvent faire le lien avec les territoires palestiniens», regrette-t-il.

Monther lui a trouvé une autre parade, il se fait envoyer son colis à l’adresse de ses ami·es Israélien·nes: «Quand je dois commander en ligne quelque chose de très important dont j’ai besoin très rapidement, je mets leur adresse et ils me transmettent ensuite mon colis. C’est humiliant, celui qui reçoit ton courrier sait ce que tu achètes, peut ouvrir ton courrier, peut connaître ta personnalité…», regrette-t-il.

Le deal du siècle

 

De l’avis de tout le monde, le plan de paix proposé par le président américain Donald Trump en janvier dernier ne vas pas améliorer la situation: «Les gens sont fatigués par toutes ces années de discussions et négociations […] mais pas un seul Palestinien n’acceptera cet accord, qui est au seul bénéfice d’Israël», affirme Ramadan Ghazawi. Pour lui, l’accord risque même d’empirer la situation: «Vous avez vu la carte de Trump, ce qu’il propose c’est un État sans frontière, un État dont les frontières ne sont qu’entre deux villes, pour aller de Ramallah à Naplouse on doit passer par les territoires israéliens», s’indigne-t-il.

Monther aussi est en colère, le jeune homme est revenu en Palestine après des études d’ingénieur en Génie civil en Suède. Il n’a pas pu trouver de travail dans son domaine et avoue commencer à regretter son retour: «II y a une partie de moi qui veut rester ici, mais une autre pense aux bénéfices de ne pas être ici.» Pour lui, «le deal du siècle» est frustrant: «On se sent seul, tout le monde nous abandonne, même les pays voisins nous trahissent, c’est injuste. Israël veut montrer que nous sommes ceux qui ne veulent pas la paix, mais si, nous voulons la paix», s’exclame-t-il.

 

Sara Saidi

 

Source : Slate (France)

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