Au Sahel, «la situation est comparable à celle d’il y a sept ans», reconnait le général Lecointre

Le chef d’état-major des armées s’est récemment exprimé avec « lucidité » au Sénat, alors que la menace d’un « califat territorial » a resurgi, sept ans après le début de l’intervention militaire française

Les faits – Deux mois après le sommet du G5 Sahel à Pau, la situation militaire sur le terrain est marquée par une accentuation de la pression mise sur les « groupes armés terroristes ». Ainsi, selon l’état-major des armées, le Groupement tactique désert « Altor », armée par la Légion étrangère, et l’armée nigérienne ont « neutralisé près d’une dizaine de combattants armés et détruit plusieurs motos » fin février. A Paris, l’audition au Sénat du général Lecointre, chef d’état-major des armées, vient d’être rendue publique.

Pour l’armée française au Mali, c’est retour à la case départ. Plus de sept ans après le début de son intervention, en janvier 2013, le chef d’état-major des armées François Lecointre constate « une similitude forte entre la situation actuelle et celle qui avait vu la mise en place de [l’opération] Serval en 2012-2013. » De cette « lucidité » – le mot est de lui – le général Lecointre en a fait preuve lors de son audition par les sénateurs, début février et qui vient seulement d’être rendue publique.

Le constat est accablant. Comme on le voit également en Afghanistan, en Libye ou en Irak, il traduit l’incapacité des interventions occidentales à apporter des solutions politiques « justes et durables » depuis une génération. Certes, les armées occidentales, fortes de leur supériorité technologique, y remportent des succès tactiques et portent des coups à ceux qui sont décrits comme des « terroristes ». Cela a un coût : 45 militaires – dont 24 par accident – sont morts au Sahel et des dizaines d’autres (le chiffre n’est pas public) grièvement blessés. Pour les finances publiques, cette intervention s’élève déjà à environ 5 milliards. Et « nous nous trouvons dans une situation comparable à celle d’il y a sept ans », reconnaît le chef d’état-major des armées.

En convoquant à Pau, le 13 janvier dernier, les cinq chefs d’Etat du Sahel pour un sommet de « clarification », Emmanuel Macron a tenté de sortir de l’impasse. Deux mois plus tard, l’entourage du chef de l’Etat explique que « tout est sur la table, y compris notre retrait. A Pau, nous nous sommes donnés six mois à l’issue desquels on examinera la situation pour voir si on fait évoluer notre posture. Et si les conditions [souhaitées à l’Elysée – ndlr] ne sont pas réunies, on en fera moins ». Rendez-vous donc à la mi-juillet, pour un nouveau point de situation et d’éventuelles décisions.

Continuité. Déjà, indique-t-on à la Présidence, « la continuité de notre engagement n’est pas la continuité de l’existant ». La France a déjà envoyé 600 hommes, essentiellement issus de la Légion étrangère, en renfort, ce qui porte les effectifs de Barkhane à 5 100 hommes, auxquels il faut ajouter les forces spéciales de la Task Force Sabre, dont l’effectif (sans doute de l’ordre de 300) est secret.

Surtout, Paris a revu ses ambitions à la baisse. Terminées les grandes envolées lyriques sur « un théâtre d’opération grand comme l’Europe ». L’action est désormais concentrée sur la région du Liptako-Gourma, celle des trois frontières (Mali, Niger, Burkina). Elle n’en reste pas moins vaste comme la moitié de la France. Face à une multitude de « groupes armés terroristes » opérant au Sahel, le sommet de Pau a opté pour une stratégie de « priorisation » de l’effort militaire contre l’un d’entre eux, l’EIGS (Etat Islamique dans le Grand Sahara) qui a prêté allégeance à Daech en 2016.

Guérilla. Selon le général Lecointre, l’EIGS pourrait « reconstituer un califat territorial » dans la région des trois frontières », à l’image de ce que d’autres groupes djihadistes étaient parvenus à faire dans le Nord du Mali en 2012. Les combattants de l’EIGS sont des « enfants du pays qui bénéficient de la complicité d’une partie importante de la population », explique le chef d’état-major. Leur capacité militaire ? Ils sont « capables de mobiliser de l’ordre d’une centaine » de combattants « à moto », ajoute l’officier. Dit autrement, ces « terroristes » sont en réalité une rébellion essentiellement locale pratiquant la guérilla. Cette situation rend très difficile la collecte de renseignement humain, d’où l’accent mis sur les moyens techniques.

Ceux-ci dépendent pour une part importante du soutien américain. Or, celui-ci pourrait être réduit, voire retiré. « Cela grèverait nos capacités d’action », reconnaît le général Lecointre. A Washington, un débat oppose le président Trump, qui souhaite un retrait, aux militaires partisans de rester avec les Français. « La discussion continue et si la tendance est plutôt positive, il faut rester vigilant », indique-t-on à l’Elysée. Les Etats-Unis fournissent des ravitailleurs en vol, du transport stratégique et surtout de l’ISR (Intelligence, Surveillance, Reconnaissance) en particulier avec des drones. Or, ces derniers moyens « ne sont pas substituables dans l’immédiat. »

Reste la question des armées locales et du rôle des Etats de la région. « Notre optimisme a été déçu », avoue le général Lecointre, car « Barkhane n’a pas été accompagné d’un retour de l’appareil d’Etat ni de la refonte efficace des forces armées. » A l’Elysée, on pointe du doigt le Mali et le Burkina Faso, qui ne seraient pas d’aussi « bons élèves » que la Mauritanie. Cela tombe d’autant plus mal que ce sont justement les deux pays, avec le Niger, sur lesquels la France compte le plus pour « systématiser les actions conjointes » et « reprendre le contrôle du terrain perdu ».

Jean-Dominique Merchet

Source : L’Opinion (France) – Le 09 mars 2020

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