La Journée internationale des droits des femmes, fêtée dans le monde le 8 mars, est le fruit de plusieurs soubresauts de l’Histoire. Longtemps rattachée à un mouvement social de couturières new-yorkaises en 1857, la date du 8 mars est véritablement le point de départ de la révolution bolchévique de 1917. Retour sur une journée qui a plus de 100 ans d’histoire.
Les appels aux femmes à défiler dans le monde, avec des slogans vivifiés par la vague #MeToo, sont nombreux, ce 8 mars 2020. « Grève féministe » dans différentes villes de France, avec le refus de la réforme des retraites en ligne de mire. En Argentine, le mouvement des foulards verts sera de nouveau dans la rue alors que l’IVG pourrait revenir à l’ordre du jour du Parlement. À Peshawar, au Pakistan, les slogans se concentrent sur la dénonciation des violences sexuelles. Au Mexique, un collectif de femmes a décidé d’organiser « une journée sans elles », « Un día sin nosotras ». Pendant ce temps à Moscou, l’achat d’un bouquet au marché aux fleurs de Rijski est un geste socialement incontournable pour marquer cette date. C’est un jour férié pour les habitants de Berlin, les citoyennes malgaches, macédoniennes, népalaises et chinoises.
Historique, officielle, internationale… mais à quoi se réfère le 8 mars ? Est-ce la journée des fleurs ou la journée des combats ? L’histoire de cette date oscille entre les deux conceptions de la place de la femme dans la société.
Il faut remonter au début du XXe siècle pour voir émerger l’idée d’une journée consacrée aux femmes. Elle naît dans l’esprit d’une militante socialiste allemande Clara Zetkin, qui suggère l’idée en 1910 lors d’une conférence internationale des femmes travailleuses à Copenhague. Cent femmes venues de 17 pays sont présentes et acceptent sa proposition à l’unanimité. « Cette initiative avait pour but de mettre en avant les luttes socialistes pour les femmes, notamment d’inclure le droit de vote dans la lutte des classes, et de proposer une alternative aux mouvements ‘féministes’, considérés comme ‘bourgeois’, qui étaient très puissants au début du siècle », explique Françoise Picq, historienne du féminisme, contactée par France 24. Dès l’année suivante, le concept prend forme en Autriche, au Danemark, en Allemagne et en Suisse, un million de femmes descendent dans les rues le 19 mars. Quelques jours plus tard, le 25 mars 1911, l’incendie de l’usine de textile Triangle Shirtwaist à New York, qui a tué 129 ouvrières prises au piège des flammes, marque fortement le rapprochement entre la lutte des femmes et le mouvement ouvrier.
Lénine décrète la « journée internationale des travailleuses »
Le 8 mars 1917, dans la ville russe de Petrograd (ancien nom de Saint-Pétersbourg), plusieurs cortèges de femmes étudiantes, employées, ouvrières du textile manifestent dans le centre-ville pour réclamer « du pain et la paix ». Leur action est rejointe par des ouvriers qui quittent le travail pour grossir les rangs de la manifestation. Les slogans prennent rapidement une tonalité politique. C’est le premier jour de la révolution bolchévique du 18 février 1917 – selon le calendrier julien, soit le 8 mars dans le calendrier grégorien.
10)Elles arrêtent la date du dernier dimanche de février, le 23 février dans le calendrier Julien, donc le 8 mars pour notre calendrier grégorien
Quatre ans plus tard, le 8 mars 1921, Lénine décrète la « journée internationale des travailleuses », en hommage aux femmes qui ont initié la révolution bolchévique de 1917. Il déclare dans son discours qu' »on ne saurait amener les masses à la vie politique sans y attirer les femmes. Car, en régime capitaliste, les femmes, la moitié de l’espèce humaine, sont doublement exploitées. L’ouvrière et la paysanne sont opprimées par le capital, et par surcroît, (…) elles ne jouissent pas de tous les droits, car la loi ne leur confère pas l’égalité avec les hommes ; deuxièmement, et c’est là l’essentiel, elles restent confinées dans ‘l’esclavage domestique’, elles sont des ‘esclaves du foyer’ accablées par les travaux ménagers, les plus mesquins, ingrats, durs et abrutissants, et en général par les tâches domestiques et familiales individuelles. »
La charge politique de Lénine sur la place des femmes est rapidement oubliée dans l’histoire de la Russie soviétique. « Pendant la révolution russe, il y a eu une poussée de remises en question des rôles genrés, l’avortement est même évoqué. Puis on assiste à un retour en arrière sous Staline, qui dit que les ouvrières sont de formidables mères de la Nation, fournissant les soldats dont le pays a besoin. » Le 8 mars est devenue une fête avec son folklore et son lot de célébrations des femmes dans l’histoire de la révolution soviétique.
Importance du 8 mars 1965 à Alger
Cette institution du 8 mars se répand après la Seconde Guerre mondiale à tout le bloc de l’Est, jusque dans les pays sous forte influence soviétique durant la Guerre froide, de l’Algérie à Cuba en passant par le Vénézuéla et la RD Congo. C’est même une date très importante dans l’histoire de plusieurs pays dits du Tiers-monde. Ainsi le 8 mars 1965 en Alger, les femmes sont descendues massivement dans la rue. Elles « en avaient assez : assez de leurs petits boulots mal payés, assez du chômage, assez du manque de formation, assez du contrôle social exercé par les frères et les maris », rappelle l’historienne Natalya Vince. « On ne sait dire combien de femmes participent (à la manifestation), mais certainement des milliers : habillées ‘à l’européenne’ comme on disait à l’époque, d’autres portent le haïk [vêtement traditionnel algérien, NDLR]. Il y a là des femmes de l’Union nationale des femmes algériennes (UNFA), des étudiantes, des femmes de ménage. Les slogans et les banderoles expriment la solidarité des femmes algériennes avec leurs sœurs en lutte dans le monde, en Angola, en Érythrée ou ailleurs. » Des décennies plus tard, le mouvement du « Hirak » contre le régime Bouteflika a connu une très forte mobilisation des femmes, le 8 mars 2019.
Comment le 8 mars se retrouve-t-il également reconnu aux États-Unis ? Par un truchement de l’histoire, selon les recherches faites par Françoise Picq. À partir du milieu des années 1950, le journal français L’Humanité rattache la célébration du 8 mars à une grève de femmes couturières à New York en 1857. « Selon les recherches que j’ai menées dans les années 1970, et aucun tract ni journal ne mentionne de grève de femmes à New York ce jour-là du 8 mars 1857, qui tombe un dimanche », s’étonne l’historienne du féminisme. « En 1910 dans son discours, Clara Zetkin avait certes parlé des ‘courageuses américaines’ : il s’agissait d’un hommage aux femmes socialistes américaines qui en 1909 avaient organisé une action américaine vouée à être répétée tous les ans. Zetkin avait simplement internationalisé l’idée. »
Internationalisation de la journée du 8 mars
« Par la suite, les mouvements féministes américains se sont raccrochés à cette soi-disant grève des couturières du 8 mai 1857 à New York, sans que l’authenticité de celle-ci soit vérifiée. Elles ont semble-t-il été influencées par les écrits de la presse française », estime Françoise Picq. « Il ne faut pas non plus sous-estimer l’influence du Viêt-Nam, où le 8 mars est institué, sur les féministes américaines« .
En 1977, « c’est à la demande des pays du bloc de l’Est que l’instauration d’une Journée internationale des femmes a été discutée à l’ONU, puis votée », rappelle Françoise Picq. Cinq ans plus tard, le gouvernement socialiste sous la présidence de François Mitterrand institue la journée en France, et peu après les États-Unis, pendant le mandat du démocrate Jimmy Carter.
Aujourd’hui encore, la date du 8 mars oscille toujours entre revendications des luttes féministes, récupérations politiques et folklore sociétal. La convergence des luttes féministes et sociales revient régulièrement au cœur des préoccupations dans certains pays, comme en France, où cette année le refus de la réforme des retraites est un des principaux slogans, renouant avec une tradition historique d’un 8 mars très politique.
Priscille LAFFITE
Source : France 24
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