Huit pays africains font désormais face au coronavirus. Aucun mort n’est pour l’instant à déplorer, mais 26 cas sont à l’isolement dans des hôpitaux du continent. Pour la plupart, il s’agit de ressortissants étrangers, résidents ou voyageurs de retour d’un déplacement dans l’un des pays à risque comme l’Italie ou la France. Mais l’épidémie s’insinue aussi, de façon plus virulente, sur les réseaux sociaux, démultipliant la crainte des populations du continent.
Au Sénégal, où un quatrième cas a été détecté mercredi 4 mars, Twitter et YouTube sont en pleine ébullition. Une déferlante de messages paniqués pointe des doigts accusateurs vers l’origine des personnes infectées. « Un Français atteint par le coronavirus introduit celui-ci au Sénégal et les Occidentaux sont contents », affirme un commentateur. « Ils veulent à tout prix contaminer notre continent, surenchérit un deuxième. La France n’a qu’à envoyer un avion les chercher svp. On ne veut pas de virus ici. »
Après l’italien au Nigeria et le français au Sénégal, voici un autre français qui arrive au Cameroun avec le Coronavirus. Les mecs sont malades mais ils voyagent oklm.
Certains demandent à Emmanuel Macron s’il compte appuyer financièrement les structures médicales dans lesquels des Français sont traités. Il y a aussi des réactions épidermiques qui se mêlent parfois au ressentiment lié à l’époque coloniale. « Les Français, toujours les Français, les colons ! », accuse un autre. « Des citoyens français sont responsables de la propagation du coronavirus en Afrique, en Algérie et au Sénégal notamment. Imaginons, le scénario inverse, les diatribes d’Eric Zemmour et MLP au sujet de l’immigration, des Arabes, des Noirs », questionne un commentateur.
Parmi cette avalanche, certains tweets ont plus de portée que d’autres. A l’image de celui de Fatima Zahra Sall, fille d’Aïssata Tall Sall, députée promue « envoyée spéciale » du président sénégalais en novembre 2019, qui a récolté 16 000 « retweets » et 33 800 « likes ». Elle y complète un titre de RFI, qui omettait de préciser l’origine française du premier cas de coronavirus apparu au Sénégal. Les commentaires sous les vidéos YouTube et Facebook des télévisions françaises récoltent aussi leur lot d’attaques, comme cette réaction : « Toujours c’est la France qui nous ruine, de l’esclavage jusqu’au coronavirus. »
Plusieurs commentaires appellent aussi à « restreindre les vols de tous les pays touchés », voire à fermer les frontières, prenant l’exemple de l’épidémie de fièvre hémorragique Ebola entre 2013-2016, où la mesure avait été appliquée en Guinée, en Sierra Leone et au Liberia. Une mesure qui avait d’ailleurs démontré son efficacité.
« La France “coronise” le Sénégal ? »
Hors des réseaux sociaux, les journaux sénégalais ne sont pas en reste et affichent des « unes » critiques. « Un autre Français a merdé », titre Source A dans son édition du 4 mars. « La France “coronise” le Sénégal ? », ironise L’Evidence, le même jour, sous-titrant : « Traite négrière, colonisation économique, colonisation épidémiologique ? ».
Cette colère qui se propage charrie son cortège d’infox et de fausses informations. A l’instar du Nigeria, où un message circulait sur Facebook racontant l’histoire d’un chauffeur de taxi contaminé par un « homme blanc » et qui se serait ensuite enfui d’un hôpital, menaçant de propager le virus si les autorités ne lui versaient pas 100 millions de nairas (242 153 euros). Le gouvernement nigérian a réfuté l’information.
Ce qui n’a pas empêché une autre info farfelue de surgir. Concernant un prédicateur, David Kingleo Elijah, appelé ailleurs Elija Emeka Chibuke, de l’église du Mont Glorieux des Possibilités et qui serait parti en Chine « éradiquer prophéticalement » le virus avant de terminer à l’hôpital, infecté. Aujourd’hui, le Nigeria n’a qu’un seul cas déclaré, un ressortissant italien : 58 personnes qui furent en contact avec lui ont été placées en quarantaine. En conséquence, le Parlement a pris deux semaines de congés pour sa « sécurité ». La faiblesse du système de soins nigérian et la densité de population élevée accroissent les risques de contamination.
« Corona-panique »
Contre ces bourrasques de frayeur qui parcourent les réseaux sociaux du continent, quelques voix s’élèvent contre les dangers de la stigmatisation, comme celle du géologue sénégalais, Fary Ndao, très suivi sur Twitter.
« Nul besoin de stigmatiser des Français d’origine ou d’adoption porteurs du virus. Nous sommes tous des humains et les virus, avec leur période d’incubation, se moquent des frontières. Le sida a voyagé, la grippe a voyagé, Ebola a voyagé, le coronavirus voyagera. Accepterions-nous que les Français disent que tous les ressortissants de pays africains où le sida est fortement prévalent restent chez eux ? Non. On peut porter un virus sans le savoir et on peut en guérir ou en contrôler la transmission. On ne peut en empêcher le voyage. »
D’autres rappellent quelques faits afin d’apaiser la corona-panique. « Est-ce que je trouve ça alarmant ? Non (…). Il est normal que le virus se propage vite. Nous sommes encore en hiver en Afrique. Dans l’hémisphère Nord, on est plus confinés, donc plus exposés, avance Aïssatou Aïcha Sow, doctorante en virologie et immunologie à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) du Canada, très active sur la twittosphère sénégalaise. La majorité des cas critiques et des décès surviennent chez les personnes âgées, déjà malades (…). Ne tombons pas dans la psychose. Oui, on va tous mourir, mais NON, ça ne sera pas du Covid-19. »
Matteo Maillard
(Bamako, correspondance)
Source : Le Monde
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