Un Navy Seal accusé de crimes de guerre s’expose sur Instagram

Edward Gallagher, défendu par Donald Trump malgré de lourds soupçons, s’affiche sur les réseaux sociaux avec des vêtements aux slogans évocateurs.

C’est une histoire folle, très américaine. Comment peut-on être un Navy Seal accusé de crimes de guerre, décrit comme «toxique» et «complètement fou» par des soldats côtoyés en Irak, et donner dans la provocation sur les réseaux sociaux, en affichant des t-shirts avec le slogan «Kill Bad Dudes» (Tuer les sales types)? Edward Gallagher, 40 ans, a la réponse: être dans les bons papiers de Donald Trump peut aider. Protégé par le président, le soldat d’élite, qui fréquente les cercles conservateurs, n’a pas peur des polémiques. Le voilà à jouer à l’influenceur sur Instagram et Facebook, en faisant notamment la promotion de sa ligne de vêtements, Salty Frog Gear.

Surtout, il n’hésite pas à s’afficher avec des armes. Ou, comme ce fut le cas le 8 janvier, à se mettre en scène sur Instagram avec un t-shirt et l’inscription: «Les patriotes ne pleurent pas pour des terroristes morts.» Le 26 décembre, quelques jours après avoir été reçu à Mar-a-Lago dans la luxueuse résidence de Donald Trump en Floride, il a posté une photo de lui le pouce en l’air, avec un mug sur lequel on peut lire: «J’aime quand je me lève le matin et que Donald Trump est président.»

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«Je l’ai eu avec mon couteau de chasse»

L’affaire fait grand bruit aux Etats-Unis. Edward Gallagher a notamment été accusé d’avoir tué un détenu de 15 ans, membre de l’Etat islamique, en 2017 en Irak, et de deux tentatives de meurtre sur des civils. Arrêté en septembre 2018, il a été reconnu non coupable pour la plupart des chefs d’accusation le 2 juillet 2019, faute de preuves suffisantes. Sauf pour celui d’avoir posé à côté du cadavre du jeune prisonnier, avec d’autres soldats. Selon le New York Times, qui a suivi l’affaire de près, Edward Gallagher a envoyé ce message à un ami, pour accompagner la photo: «Le plus beau, c’est que celui-là je l’ai eu avec mon couteau de chasse.»

Sa hiérarchie l’a rétrogradé et a lancé une procédure d’exclusion de l’unité d’élite. C’est là que Donald Trump intervient, dès le 11 novembre, sur Twitter. Le président s’oppose à ce que son Trident, l’insigne des Navy Seals, lui soit retiré. L’affaire a provoqué de vives tensions au sein du Pentagone et a conduit à la démission forcée de Richard Spencer, le chef de l’US Navy. Pendant le procès, plusieurs soldats avaient brossé un portrait inquiétant d’Edward Gallagher, relève le New York Times, qui a eu accès à des vidéos. Ils l’ont décrit comme un «taré». «Ça se voyait que cela ne le dérangeait pas du tout de tuer toute personne qui bougeait», a même déclaré un gradé.

Au sein de la Navy, l’intervention de Donald Trump est considérée par beaucoup comme «dévastatrice». Andrew Bell, professeur en études internationales à l’Université de l’Indiana, qui a lui-même servi en Irak et en Afghanistan, la juge préoccupante, dans la mesure où elle amorce un processus de «normalisation» de cas de comportements illégaux qui auraient auparavant été jugés totalement contraires aux idéaux de l’armée américaine. Le président a déjà gracié d’autres militaires soupçonnés de crimes de guerre par le passé, dont un Béret vert accusé de meurtre prémédité sur un taliban en 2010. Dans le cas de Gallagher, il avait même évoqué une grâce présidentielle avant que le verdict ne soit connu. Il était aussi intervenu pour lui offrir des conditions carcérales plus favorables.

Des appareils de musculation Total War

Désormais «retraité», Edward Gallagher aurait pu aspirer à une vie discrète. Mais un peu à la manière de Donald Trump qui se sent revigoré après avoir été acquitté lors de son procès en destitution, l’ancien Seal préfère s’afficher sur Fox News et les réseaux sociaux. Il fait de son accusation de crimes de guerre un atout commercial. Sur Instagram et Facebook, il accumule de l’argent en vendant sa propre ligne de vêtements, mais également en faisant la promotion de produits développés par d’autres vétérans, que ce soit du café, des compléments alimentaires ou des appareils de musculation Total War.

Comme l’a rapporté le New York Times, l’ancien Seal collabore aussi avec un autre ex-soldat d’élite, celui qui vend une marque avec le slogan «Kill Bad Dudes», mais également des couteaux de chasse. Dont celui qu’Edward Gallagher aurait utilisé pour poignarder à mort le jeune prisonnier sous sédatifs.

La légendaire discrétion des Navy Seals, c’est visiblement très peu pour lui. Dans une vidéo de trois minutes postée le 27 janvier sur ses profils de réseaux sociaux, il se venge des soldats qui l’ont accusé de crimes de guerre, n’hésitant pas à livrer leurs noms et affectations, ainsi que des photos. Il vient par ailleurs de créer une fondation, avec son frère et sa femme, son plus fidèle soutien après Trump. Le but de la Pipe Hitter Foundation est clairement affiché sur son site internet: «Nos combattants et nos policiers mettent leur vie en danger pour nous protéger. Trop souvent, ils se retrouvent dans la ligne de mire de la justice simplement parce qu’ils font leur travail. La Pipe Hitter Foundation se consacre à soutenir ces hommes et ces femmes courageux, et à les aider à retrouver justice.»

Ni remords ni regrets

Cet affichage public après l’intervention du président révèle qu’il n’a ni remords ni regrets, commente Andrew Bell. «Et sa volonté d’attaquer publiquement tant les dirigeants de l’armée que d’autres militaires démontre une impudence que nous n’avons pas vue depuis longtemps.» Il ajoute: «C’est à la fois un symptôme et un catalyseur de cette nouvelle ère dans laquelle médias et dirigeants politiques conservateurs, et même des membres de l’administration, n’hésitent pas à contester et dénigrer les institutions qui maintiennent l’ordre et la sécurité pour la société américaine. Nous sommes bien entrés dans un nouveau monde étrange…»

Dimanche soir, Edward Gallagher s’est pour la première fois exprimé longuement, sur CBS, sur le jeune détenu de l’Etat islamique qu’il a été accusé d’avoir poignardé à mort. Il a admis qu’avoir posé à côté de son cadavre, en tenant ses cheveux d’une main, avec un poignard dans l’autre, et en insinuant dans un texte qu’il l’avait tué, était «faux» et «désagréable». «C’était comme une plaisanterie, de l’humour noir», a-t-il affirmé, en ne manquant pas de rappeler qu’il n’est pas le premier au sein de l’armée à faire ce genre de photos. Auparavant, des soldats s’étaient amusés à attaquer le cadavre avec un drone. Edward Gallagher nie toujours avoir tué le détenu, malgré les témoignages de plusieurs militaires. Quand l’intervieweur lui demande s’il est désolé de cette mort, sa réponse fuse: «Non, c’est la guerre. Il essayait de nous tuer.»

Valérie de Graffenried
Source : Le Temps (Suisse)

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