Le timide regain d’intérêt américain pour l’Afrique

Durant sa tournée africaine, Mike Pompeo a souhaité contrer l’influence chinoise sur le continent. Mais les moyens mis en œuvre par Washington trahissent un faible intérêt pour l’Afrique.

Mieux vaut tard que jamais. Telle pourrait être la devise du Département d’Etat américain. Mike Pompeo a conclu sa première tournée africaine à Addis-Abeba le 19 février. Jusqu’ici, l’Afrique n’était pas une priorité pour le chef de la diplomatie depuis sa nomination par Donald Trump. Le président américain «a proposé un budget qui réduirait de 40% l’assistance américaine sur le continent», explique Jeff Hawkins, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Responsable du regain d’intérêt américain pour l’Afrique subsaharienne: la Chine. Les Etats-Unis cherchent à réduire l’influence grandissante de Pékin dans la région. «Ils ne peuvent pas rester en retrait alors que d’autres puissances sont très actives sur le continent», estime Jeff Hawkins. «C’est une visite de rattrapage», analyse François Gaulme, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (IFRI).

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L’administration américaine est confrontée à une intense concurrence de la Chine et des Européens car les opportunités sont nombreuses pour les entreprises étrangères dans un continent qui affiche un fort potentiel économique. Rien d’étonnant à ce que Mike Pompeo ait annoncé la signature d’accords commerciaux avec le Sénégal, vieil allié économique des Etats-Unis. L’un porte notamment sur la construction d’une autoroute entre Dakar et Saint-Louis. «Le réveil américain survient parce que plusieurs partenaires de l’Afrique ont une attitude très offensive ces derniers temps, notamment le Royaume-Uni», commente François Gaulme. Ils emboîtent le pas de la Chine qui a investi massivement ces dernières années en multipliant les partenariats économiques avec les Etats africains.

Le continent est surtout un espace dans lequel se joue une guerre d’influence entre les deux puissances rivales. Selon Jeff Hawkins, ancien ambassadeur américain en Centrafrique, «les Etats-Unis s’inquiètent du terrain politique qu’ils ont concédé aux Chinois». Il ajoute que pour l’instant «le problème des Américains n’est pas de s’implanter économiquement sur le continent mais de manifester une véritable volonté d’engagement politique avec les Africains». Afin de s’attirer les bonnes grâces des dirigeants africains, Pékin et Washington usent de méthodes différentes notamment sur le plan économique. «Très peu de compagnies privées américaines s’intéressent aux infrastructures africaines», note Jeff Hawkins. De plus, l’investissement américain se concentre dans un nombre de pays et de secteurs assez restreint.

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A cette timidité américaine en matière d’investissements s’ajoute le choix des pays visités par Mike Pompeo, une autre illustration de la timide stratégie des Etats-Unis. Il ne s’est rendu que chez des partenaires historiques et stratégiques. Le Sénégal et l’Angola constituent des points d’entrée au commerce américain en Afrique de l’Ouest tandis que l’Ethiopie représente une ouverture sur la mer Rouge et la péninsule Arabique. Mais, en l’occurrence, Addis-Abeba reste le principal partenaire économique de la Chine en Afrique. Pour tenter de contrer la mainmise de Pékin, le secrétaire d’Etat américain s’est notamment exprimé devant des entrepreneurs réunis dans la capitale éthiopienne. Durant sa tournée, «M. Pompeo a présenté la Chine comme un pays qui cherche à endetter l’Afrique contrairement à l’Amérique qui offre un vrai partenariat économique», résume Jeff Hawkins. Les Etats-Unis espèrent tirer profit des erreurs du système chinois. «Un relatif désenchantement commence à apparaître en Afrique en raison de la dette que certains pays ont contractée auprès de la Chine», commente François Gaulme.

Le voyage de Mike Pompeo en Afrique s’inscrit aussi dans une dimension sécuritaire, notamment la menace terroriste au Sahel. François Gaulme considère son déplacement comme «une réponse improvisée à l’inquiétude des partenaires des Etats-Unis et notamment la France sur les intentions de retrait américain».

Les Etats-Unis sont depuis longtemps impliqués dans la sécurité des pays africains. L’aviation américaine ainsi que des militaires, essentiellement des forces spéciales, ont été dépêchés en Somalie pour lutter contre le mouvement Al-Chabab, organisation terroriste affiliée à Al-Qaida depuis 2012. Tandis qu’au Sahel les Etats-Unis procurent un soutien logistique à l’armée française et à la coalition du G5 Sahel.

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Mais désormais les priorités sont ailleurs et le Commandement des Etats-Unis pour l’Afrique (Africom) songe fortement à réduire ses effectifs sur le continent. Les unités de combat seraient remplacées par des instructeurs chargés de former les forces locales. Le secrétaire d’Etat a éludé les questions concernant l’engagement américain. Il n’a d’ailleurs visité aucun pays directement touché par le terrorisme au Sahel alors que la région présente des défis sécuritaires importants, selon Jeff Hawkins. Le probable retrait américain intervient «au moment où les Français et les Européens s’orientent vers un soutien accru à l’effort de guerre», évalue François Gaulme. «L’attitude américaine se situe à contre-courant de celle de ses alliés», complète-t-il.

Abdou-Karim Diop
Source : Le Temps (Suisse)

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