De la peur de l’épidémie de coronavirus à « l’épidémie de la peur »

Alors que l'épidémie de coronavirus prend de l'ampleur, la peur, elle, a déjà des conséquences sur nos habitudes.

Peur de l’épidémie ou épidémie de la peur ? Alors que le coronavirus s’installe dans le nord de l’Italie et qu’un premier Français est mort dans la nuit de mardi 25 à mercredi 26 février, les craintes concernant Covid-19 se font de plus en plus ressentir.

 

Et déjà, certains comportements et interactions sociales subissent cette peur de contracter le coronavirus. En Italie, où le bilan est de 374 cas recensés et au moins douze morts, une “véritable psychose” s’est installée en ce début de semaine, rapporte l’AFP. Supermarchés pris d’assaut, ruée sur les masques dans les pharmacies, angoisse permanente, sont quelques phénomènes constatés dans le nord du pays.

 

Dans le groupe Wanted Community Paris, on pouvait mardi lire le témoignage d’une femme ayant été insultée dans le métro parce qu’elle portait un masque. Et donc, était soupçonnée d’être atteinte par le coronavirus. Sauf qu’elle portait ce masque pour éviter de tomber malade et de contaminer (quelle que soit la maladie) son compagnon souffrant d’un cancer.

 

Face à ces comportements, certains n’hésitent pas à parler qualifier le phénomène d”’épidémie de la peur”. Dans le sens où, plus encore que le virus, c’est la peur qui se propage, souvent alimentée par de nombreuses fake news. Le 12 février, les autorités espagnoles appelaient à ne pas céder à cette ”épidémie de la peur”, alors que le salon mondial du mobile de Barcelone était annulé par crainte de propagation du coronavirus.

 

“On est en plein dedans, il s’agit d’une situation de menace ou de crise qui n’est pas fantasmée mais bien réelle”, confirme auprès du HuffPost Patrick Rateau, professeur en psychologie sociale à l’université de Nîmes, co-auteur de “Les peurs collectives”.

 

Cette expression avait été largement employée lors de l’épidémie d’Ebola. “C’est une épidémie à la fois biologique et psychologique, et la peur peut se répandre encore plus vite que le virus”, soulignait le Washington Post. Pour Patrick Rateau, elle est en partie due à un “effet loupe”: “l’explosion et la rapidité de l’information provoquent une certaine démesure”, souligne-t-il. Entre le sentiment de peur généralisé et les informations viables et réelles, il peut y avoir un fossé.

 

Selon lui, cette épidémie de peur s’explique également par l’essence même du coronavirus. “Contrairement à, par exemple, des attentats, l’origine de cette épidémie n’est pas humaine, elle est naturelle, invisible, non intentionnelle, ce qui entraîne le sentiment de ne rien pouvoir faire”, explique-t-il. On a alors l’impression de perdre tout contrôle, “ce qui nous fait paniquer encore plus. On est face à une vulnérabilité qui peut toucher tout le monde”, poursuit-il.

 

Stigmatisation

 

 

En 2015, alors que l’épidémie de maladie à virus Ebola est sur sa fin, l’Association américaine de psychologie (APA) rapportait les travaux de psychologues ayant étudié pendant des décennies les réactions des individus face à une situation jugée comme extrême, même lorsque le risque qu’ils deviennent des victimes est faible.

 

Ils reviennent sur les mécanismes permettant d’expliquer pourquoi nous avons souvent bien plus peur du virus Ebola ou de la grippe aviaire que de la grippe, qui tue pourtant chaque année. Mais ils avancent également quelles sont les conséquences de cette peur. Ils ont ainsi noté une stigmatisation de certaines personnes ainsi qu’un évitement des activités quotidiennes.

 

En Italie, cet évitement des activités quotidiennes est évident lorsqu’on constate à quel point les supermarchés ont été dévalisés. Dans certains quartiers, des boutiques ont fermé. “Certains s’adaptent. D’autres agissent comme s’ils étaient sous les bombardements durant la Seconde Guerre mondiale”, souligne le psychiatre Rossella Candela, auprès de l’AFP.

 

Dans la vidéo ci-dessous, on peut constater à quel point la mise sous quarantaine de certaines villes italiennes a conduit la population à s’approvisionner en masse au supermarché.

 

La stigmatisation de certaines personnes a commencé en France bien avant que l’épidémie ne commence à se concrétiser. Preuve en est, fin janvier, avec le hashtag #JeNeSuisPasUnVirus, lancé par J., une jeune femme d’origine coréenne pour “sensibiliser sur la question du racisme décomplexé qui a lieu en ce moment”.

 

Comme bien d’autres personnes d’origine asiatique, elle avait constaté qu’elles étaient la cible d’insultes, attaques ou attitudes racistes, en raison de l’amalgame fait entre elles et le coronavirus.

 

Ce mécanisme est aussi à l’œuvre en Italie. À Milan, le quartier chinois est désert depuis le début de la semaine. “L’Italie est devenue un pays qui a peur”, regrette Mariella Enoc, directrice de l’hôpital Bambino Gesu à Rome, auprès du journal La Stampa. “Les phobies concernant ce virus sont en train de prendre le pas sur la raison et la parole scientifique”.

 

“On recherche un coupable”

 

 

Dans la revue médicale Psychiatric Times, on peut lire que “la stigmatisation et la honte sont étroitement liées à la nature d’une épidémie. Comme l’illustrent les récentes pandémies, l’humanité a encore le potentiel de discriminer ses membres pour diverses affections.”

 

Pour Patrick Rateau, cette “volonté de stigmatisation” est comme un “besoin naturel ou inné: on recherche un coupable”. Cette volonté “se démultiplie sous le coup de la peur. La peur, en effet, réduit l’espace de pensée. Elle prend des chemins qui sont plus simples et accessibles, et ce sont souvent des stéréotypes”, explique-t-il. “C’est simple, il y a nous, les personnes saines, d’un côté, et les autres, de l’autre”, résume-t-il.

 

À ce sujet, l’anthropologue Frédéric Keck, auteur de “Un monde grippé”, explique auprès du Figaro que “les épidémies constituent une expérience primitive du social fondée sur la peur de l’autre en tant qu’il peut transmettre des maladies. Les épidémies contemporaines mettent en scène une peur de la mondialisation: l’autre n’est plus l’étranger qui vit parmi nous, comme dans l’imaginaire antisémite, mais l’étranger qui prend l’avion pour commercer avec nous. Ces peurs mobilisent des représentations de l’animal: le cochon associé à la peur des Juifs a été remplacé par l’oiseau sauvage ou la chauve-souris associés au ‘péril jaune’. Nous craignons les virus émergents parce qu’ils viennent des puissances émergentes comme la Chine.”

 

Si pour l’instant, les communautés asiatiques ont été les principales touchées, Patrick Rateau commence à percevoir des blagues autour des Transalpins et Italiens.

 

Lien social

 

 

C’est ainsi que certaines personnes s’inquiètent, d’autres cherchent des boucs émissaires, que certains événements sont annulés. Parfois, la psychose prend des proportions incroyables. Comme lorsque “des habitants ont voulu construire des barrières autour d’une résidence de 20.000 habitants où plusieurs cas de coronavirus ont été diagnostiqués”, racontait à Libération la sociologue et chercheuse au CNRS Simeng Wang. D’autres se faisaient “dénoncer à la police ou refouler par les hôtels”, rapportait une habitante de Shanghai.

 

En France, l’épidémie de la peur n’a pas encore bouleversé nos interactions sociales, qu’il s’agisse d’amis, de la famille ou de collègues. Nous n’avons pas encore arrêté de faire la bise ou de serrer la main aux personnes que nous côtoyons quotidiennement. “On ne constate pas encore un retrait du contact, mais si le niveau d’épidémie devient plus fort, cela peut être amené à changer”, estime Patrick Rateau.

 

Pour l’instant, c’est même plutôt le contraire qui semble se produire. “Sur le plan affectif comme émotionnel, en situation de crise, le premier besoin est le partage et la recherche de lien”, affirme le spécialiste. C’est pourquoi le partage des émotions sur les réseaux sociaux prend une telle importance. “On a besoin d’avoir des informations, et de les divulguer”, précise-t-il.

 

Pour le moment, les autorités appellent elles aussi à ne pas céder à la panique. Ni à rompre avec son quotidien et sa normalité. Comme le fait savoir Yazdan Yazdanpanah, chef du service maladies infectieuses à l’hôpital Bichat de Paris, “il faut continuer à se serrer la main et à se faire la bise”.

 

Source : HuffPost

 

 

 

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