Sur un continent où les “hold-up électoraux” sont fréquents, l’annulation lundi 3 février par la Cour suprême du Malawi de la réélection du président sortant, Peter Mutharika, fera date, se félicite cet éditorialiste.
“Nous considérons que Peter Mutharika n’a pas été dûment élu le 21 mai 2019, en conséquence nous annulons les résultats de l’élection présidentielle.” Le verdict de la Cour constitutionnelle du Malawi, petit pays d’Afrique australe, est tombé lundi 3 février 2020. Un verdict qui fera pour le moins date. On a rarement vu en effet, pour ne pas dire jamais, dans les annales politico-judiciaires africaines, voire du monde, un scrutin annulé par les grands juges neuf mois après la tenue de l’élection. Celle-ci aura pour ainsi dire accouché d’un avorton.
Sur ce continent où les dénis de justice, les hold-up électoraux et les tripatouillages constitutionnels sont légion, ce n’est pas tous les jours qu’on voit les sages ramer à contre-courant des intérêts des puissants du moment. À quelques exceptions près, comme au Kenya, où la Cour suprême, dirigée par le désormais célèbre David Maraga, avait annulé le 1er septembre 2017 l’élection présidentielle du 8 août, qui avait opposé Uhuru Kenyatta à Raila Odinga. Mais dans ce dernier cas, comme on le voit, la plus haute juridiction du pays n’avait pas mis autant de temps, et le président Uhuru Kenyatta avait rempilé malgré tout après la reprise de la consultation électorale, boycottée d’ailleurs par son challenger.
Des procès-verbaux avec du Tipp-Ex
Le chef de l’État malawite sortant [à la tête du pays depuis 2014], qui portait les couleurs du Democratic Progressive Party, avait été élu, on se le rappelle, avec 38,57 % des suffrages selon les résultats de la commission électorale, contre 35,41 % à Lazarus Chakwera, le principal candidat de l’opposition, issu du Malawi Congress Party. 159 000 petites voix séparaient les deux hommes, et l’opposition n’a cessé depuis tout ce temps de contester la régularité de l’élection par des manifestations de rue émaillées de violence, notamment par des pillages, des viols et le meurtre de deux policiers. Parmi les cas de fraude dénoncées par les opposants, un nombre élevé, à leurs yeux, de procès-verbaux de dépouillement raturés avec du Tipp-Ex.
La Cour constitutionnelle vient donc de leur donner raison après plusieurs mois d’audience qui ont tenu en haleine la population. Les Malawites devraient être de nouveau convoqués aux urnes dans un délai de soixante jours, mais le locataire indu du palais présidentiel peut encore faire appel de cette décision. Le feuilleton qui se joue sur les bords du lac Malawi est donc en réalité loin de connaître son épilogue. Et le verdict amène à cette réflexion : puisque en attendant la sentence des cinq sages le pays a continué à être gouverné, que deviennent les actes de gouvernement posés par celui qui doit repartir à la conquête de son fauteuil, pas totalement acquis ?
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