Téhéran a riposté à l’assassinat de Ghassem Soleimani par des frappes sur deux bases militaires en Irak.
Des représailles et un avertissement à demi-mot. Après avoir envoyé dans la nuit une volée de missiles sur deux sites irakiens où sont stationnées des forces américaines, en faisant, selon les informations connues mercredi matin, des dégâts limités, la République islamique a déclaré, mercredi 8 janvier, avoir accompli sa riposte à l’assassinat, cinq jours plus tôt, du général Ghassem Soleimani dans une frappe américaine. La « vengeance » promise à laquelle le monde était suspendu s’est matérialisée sans qu’une escalade militaire de grande ampleur n’entraîne pour autant la région dans un cycle de destructions aux conséquences incalculables.
« L’Iran a pris et a mené à leur terme des mesures proportionnées d’autodéfense (…) Nous ne cherchons ni l’escalade ni la guerre, mais nous nous défendrons contre toute agression », a ainsi déclaré, sur Twitter, le chef de la diplomatie iranienne, Javad Zarif : une manière d’inviter l’adversaire américain à en rester là. Mercredi matin, le guide de la révolution, Ali Khamenei, a quant à lui qualifié l’attaque de « gifle au visage » de l’Amérique, se limitant à appeler une nouvelle fois au retrait des Etats-Unis de la région sans proférer plus de menaces de représailles militaires, « insuffisantes » selon lui. « Tout va bien ! », a de son côté tweeté le président Donald Trump, en exergue d’un message annonçant une déclaration présidentielle mercredi.
Aux alentours de 1 h 30, heure irakienne, les gardiens de la révolution iraniens, qui contrôlent l’arsenal de missiles de la République islamique, avaient annoncé dans un communiqué aux accents martiaux avoir lancé « des dizaines » de projectiles vers des bases américaines, baptisant leur opération du nom du « martyr » Ghassem Soleimani.
Pas de distinction
Pour faire bonne mesure, l’aile idéologique des forces armées iraniennes avait averti qu’elle ne ferait pas de distinction entre Israël et le « régime criminel des Etats-Unis » si des contre-mesures étaient engagées par Washington. Les Etats de la région abritant des installations militaires des Etats-Unis subiraient alors, selon le communiqué, un sort comparable. « Le temps est venu de tenir la vraie promesse », avaient inscrit les gardiens de la révolution en prélude de leur déclaration.
A Washington, le département de la défense n’a pour sa part pas tardé à confirmer, dans un premier communiqué, une double attaque de missiles ayant visé la base aérienne d’Aïn Al-Assad, dans l’ouest de l’Irak, où les forces américaines ont repris leurs quartiers en 2014, dans le cadre de la lutte contre l’organisation Etat islamique ainsi que près d’Erbil, la capitale du Kurdistan irakien. Sans qu’un bilan des dégâts humains et matériels n’ait été dévoilé à ce stade, la tension a rapidement baissé lorsqu’il est apparu évident que le président des Etats-Unis n’allait pas s’adresser formellement à la nation comme il l’aurait fait dans le contexte d’une crise majeure. Donald Trump, qui avait multiplié au cours des derniers jours, et depuis l’assassinat de Ghassem Soleimani, les imprécations les plus outrancières à l’égard de Téhéran, restait muet.
Au cours des jours précédents, les autorités iraniennes avaient elles aussi multiplié les menaces lors des journées de deuil décrétées en hommage au général Soleimani. Alors que le corps de l’homme qui fut l’architecte de l’emprise iranienne dans toute la région était porté de ville en ville, soulevant des foules de millions de personnes criant vengeance et se ralliant pour un temps au moins autour du drapeau de la République islamique, les responsables militaires du régime avaient promis l’enfer aux forces américaines présentes au Moyen-Orient. Le ton n’avait, à cet égard, pas changé mercredi matin. Contre toute évidence, la télévision publique iranienne faisait ainsi état de 80 morts parmi les militaires américains dans les attaques de la nuit précédente.
Première attaque directe
Les éléments qui ont commencé à filtrer côté américain et irakien pointeraient toutefois vers des dégâts matériels de faible ampleur. D’après des responsables américains cités par l’agence Associated Press mercredi, les gardiens de la révolution auraient tiré en tout 15 missiles dont dix ont atteint la base d’Aïn Al-Assad, une des installations à Erbil, et quatre se sont montrés défectueux. Le commandement militaire irakien a pour sa part fait état de vingt-deux missiles tirés, dont cinq dans la province d’Erbil, et assuré qu’aucune victime n’était à déplorer parmi les forces irakiennes. Le ministre britannique des affaires étrangères, Dominic Raab, a toutefois fait part de l’inquiétude de Londres concernant des rapports faisant état de blessés à la suite des frappes.
Malgré sa portée militaire limitée, l’opération menée par les gardiens de la révolution iraniens est porteuse d’une charge symbolique forte. C’est en effet la première fois que la République s’attaque directement par des moyens conventionnels et en son nom propre à des installations militaires américaines. Toute la doctrine de pression sécuritaire menée par Téhéran face à ses adversaires dans la région, qu’il s’agisse des Etats-Unis, d’Israël ou des monarchies du Golfe opposées à Téhéran, consiste traditionnellement à faire porter la responsabilité des actions hostiles à des groupes non étatiques alliés à la République islamique.
C’est ce procédé qui avait notamment été choisi, après le 14 septembre 2019, lorsqu’une attaque coordonnée de drones et de missiles avait frappé, au terme d’une opération singulièrement sophistiquée, des installations stratégiques saoudiennes. Ce sont les rebelles houthistes du Yémen, soutenus par Téhéran, qui en avaient très rapidement revendiqué la paternité alors qu’une attaque menée depuis le territoire irakien ou iranien paraissait plus vraisemblable.
Allan Kaval
Source : Le Monde
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