Vers un déblocage de la crise entre le Qatar et ses voisins ?

Le roi Salmane d’Arabie saoudite a invité mardi l’émir du Qatar, cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, au 40e sommet de l’organisation qui doit se dérouler à Riyad le 10 décembre.

Le prochain sommet du Conseil de coopération du Golfe sera-t-il celui de la réconciliation ? Le roi Salmane d’Arabie saoudite a invité mardi l’émir du Qatar, cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, au 40e sommet de l’organisation qui doit se dérouler à Riyad le 10 décembre. Selon l’agence officielle qatarie QNA, l’émir du Qatar a « reçu un message écrit du roi saoudien » pour « participer à la réunion », sans indiquer toutefois si cheikh Tamim avait répondu favorablement à l’invitation. Deux ans et demi après le début de la crise, le Qatar pourrait sortir vainqueur du bras de fer. Accusé de financer le « terrorisme » et d’entretenir des liens trop étroits avec l’Iran, le petit émirat fait en effet l’objet d’un blocus, depuis le 5 juin 2017, lancé par Riyad, Abou Dhabi, Bahreïn et Le Caire. Ces pays avaient posé treize conditions à la levée du blocus, allant de la fermeture du bras médiatique du Qatar, la chaîne al-Jazeera, à la réduction des liens diplomatiques avec l’Iran.

Force est de constater que Doha a refusé de se plier aux exigences du royaume saoudien et de ses alliés. Le Qatar a toutefois fait profil bas, en se montrant moins virulent sur la scène régionale. La chaîne al-Jazeera a également opté un ton relativement plus modéré dans son traitement des dossiers régionaux, contrastant avec la posture adoptée lors du printemps arabe en 2011 – se montrant favorable à l’égard des Frères musulmans, bête noire d’Abou Dhabi. « Tout dépend maintenant d’une éventuelle levée, par les Saoudiens, du blocus avant le 10 décembre afin de permettre à l’émir du Qatar d’assister au sommet de Riyad », estime Andreas Krieg, professeur au King’s College de Londres, contacté par L’Orient-Le Jour. « Si les Qataris estiment qu’il y a une vraie bonne volonté de la part de l’Arabie saoudite, l’émir pourrait participer (au sommet) », ajoute-t-il.

Créé en 1981, le CCG réunit l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Koweït, Bahreïn, Oman et le Qatar, afin d’assurer une stabilité et une coordination sur les plans politique, économique et sécuritaire dans la région. Invité à assister au 39e sommet du CCG qui s’est également déroulé dans la capitale saoudienne en décembre de l’année dernière, cheikh Tamim n’avait pas effectué le déplacement, envoyant à sa place le numéro deux de la diplomatie qatarie, le secrétaire d’État aux Affaires étrangères Sultan al-Merrikhi. Dans le contexte actuel, « le Qatar et ses détracteurs du Golfe pourraient chercher à minimiser les aspects les plus préjudiciables de l’affrontement face à l’instabilité régionale et à l’organisation de grands événements tels que le G20 (à Riyad), l’exposition universelle 2020 (à Dubaï) et la Coupe du monde de 2022 (au Qatar) », souligne à L’OLJ Kristin Diwan, chercheuse à l’Arab Gulf States Institute. « Mais toutes les parties cherchent (aussi) des alliances régionales plus larges pour répondre à leurs besoins en matière de sécurité », note-t-elle.

(Lire aussi : Iran, Yémen, Qatar : Riyad mise sur la détente)

Intérêts de l’Iran

Fortement soutenue par l’administration américaine de Donald Trump dans un premier temps, l’initiative de l’Arabie saoudite contre l’émirat gazier a vite fait l’objet de pressions pour qu’un terme y soit mis. Doha s’est tourné vers Ankara et Téhéran pour se maintenir à flot et renforcer son indépendance vis-à-vis de ses voisins, infligeant un contrecoup sévère au royaume wahhabite et alimentant le mécontentement de Washington à son égard. L’émirat est un partenaire d’autant plus important dans la région pour les États-Unis qu’il héberge la plus grande base militaire américaine au Moyen-Orient à al-Udeid. « L’Arabie saoudite, à l’instar des EAU, a constaté que la tolérance du système politique américain à l’égard de sa querelle avec le Qatar avait atteint ses limites », note David Mack, ancien ambassadeur des États-Unis aux Émirats arabes unis et chercheur au Middle East Institute, interrogé par L’OLJ. « Dès le début, les leaders des deux partis au sein du Congrès et des hauts responsables comme l’ancien secrétaire à la Défense, Jim Mattis, et l’ancien secrétaire d’État, Rex Tillerson, ont clairement indiqué que cette querelle ne faisait que servir les intérêts de l’Iran. Au bout d’un moment, Trump et son diplomate inexpérimenté, Jared Kushner, ont également adopté ce point de vue, du moins en privé », poursuit-il.

Les pressions américaines se sont d’autant plus accentuées sur l’Arabie saoudite suite au meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi dans le consulat de son pays à Istanbul en octobre 2018. Isolée par les Occidentaux sur le plan diplomatique et faisant face à une montée des tensions avec l’Iran au cours de ces derniers mois, l’Arabie saoudite a opté pour un discours moins belliqueux à l’égard de ses voisins dans la région. Enlisé dans la guerre au Yémen, Riyad multiplie également les discussions en coulisses pour tenter de trouver une résolution au conflit en négociant directement avec les rebelles houthis, soutenus par Téhéran.

Le prince héritier saoudien, « Mohammad ben Salmane, voit en cette opportunité la possibilité d’être considéré par Washington non plus comme celui qui a ordonné le meurtre de Khashoggi, qui a lancé la guerre au Yémen et qui a imposé un blocus au Qatar, mais comme celui qui peut apporter la stabilité à la région », observe Andreas Krieg. « Le roi Salmane et ses conseillers sont en train de prendre les mesures nécessaires, reconnaissant que la désunion du CCG (suite au blocus) a nui à la sécurité et au leadership de l’Arabie saoudite », note également David Mack.

(Lire aussi : Vents contraires pour le Qatar dans ses zones d’influence)

Diplomatie du sport

La visite surprise en octobre dernier du ministre qatari des Affaires étrangères, cheikh Mohammad ben Abderrahman al-Thani, pour rencontrer des responsables saoudiens a également signalé une accélération du processus de négociations entre les pays du Golfe. Selon des officiels arabes, le diplomate qatari aurait saisi cette occasion pour proposer que soit mis un terme au blocus, a rapporté le Wall Street Journal. Une proposition qui aurait été évaluée par l’Arabie saoudite.

Riyad et Abou Dhabi ont fait un pas supplémentaire en vue d’une réconciliation en tablant sur une diplomatie du sport, signalant une réduction des tensions avec le Qatar. L’équipe saoudienne s’est rendue par vol direct à Doha pour participer à la 24e édition de la Coupe du Golfe qui a débuté le 26 novembre et qui doit se terminer aujourd’hui. Un déplacement sans précédent puisqu’il va à l’encontre de l’embargo aérien mis en place par le blocus. L’équipe émiratie s’est, pour sa part, rendue à Doha depuis le Koweït. Autre décision inédite depuis le lancement du blocus, Bahreïn a annoncé hier qu’il affecterait deux avions pour que ses supporters puissent assister au match qui doit l’opposer à l’Irak aujourd’hui à Doha.

« Alors que les griefs de Riyad sont toujours profonds, MBS semble être plus flexible pour revenir à un état de “paix froide” avec le Qatar que le prince héritier d’Abou Dhabi, Mohammad ben Zayed. Les causes sous-jacentes à cette crise et la précédente crise de 2014 subsistent et, si elles ne sont pas abordées, il ne s’agira que d’un intermède avant la prochaine crise dans le Golfe », estime Andreas Krieg. « Pour Abou Dhabi en particulier, l’ambition régionale du Qatar et sa position stratégique en matière de politique étrangère sapent la politique de stabilité autoritaire des EAU et MBZ est moins capable de passer outre cela que les Saoudiens », ajoute-t-il.

Julie KEBBI/OLJ
Source : L’Orient Le Jour (Liban)

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