Tahar Ben Jelloun, le créateur de divines lumières

L’écrivain franco-marocain, Prix Goncourt 1987, a dessiné les vitraux d’une église au Thoureil, petit village d’Anjou. Un choix qui a suscité des réticences avant de s’imposer auprès des élus locaux et de la population.

Tahar Ben Jelloun est un homme heureux : les huit vitraux qu’il a dessinés vont bientôt être installés dans l’église Saint-Genulf du Thoureil (Maine-et-Loire). Il est également inquiet : y aura-t-il au moins un membre du gouvernement présent à l’inauguration, le 30 novembre ? Confier les vitraux d’une église à un artiste de culture musulmane est une première. Un acte fort que, dans le climat de tension qui règne actuellement en France autour des questions religieuses, l’artiste aimerait voir salué.

C’est un hasard qui l’a conduit dans cette aventure. A l’origine de ce projet un peu fou, Jérôme Clément, ancien président d’Arte et membre du conseil municipal de cette commune de 450 habitants où il possède une maison au bord de la Loire. Cette église du Thoureil, il y est attaché, il y a été baptisé, mais, malgré sa tour de clocher datant du XIIIe siècle, il la trouve « triste ». Restaurée au XIXe siècle, elle n’a jamais été terminée faute d’argent. Jérôme Clément se donne pour mission de la rendre plus lumineuse en remplaçant les simples ouvertures en verre par des vitraux.

Atelier de Tanger

 

Il pense d’abord au peintre Gérard Garouste, qui refuse – il n’aime pas les églises –, puis propose en 2017 à Tahar Ben Jelloun, écrivain franco-marocain de 71 ans, auteur d’une vingtaine de romans, dont La Nuit sacrée, récompensé par le prix Goncourt en 1987, qui peint et expose depuis une dizaine d’années, de s’y coller. « Je n’aurais jamais pensé un jour imaginer les vitraux d’une église, c’était de l’ordre de l’inaccessible, explique l’écrivain. Pour moi, les peintres qui s’attelaient à cette tâche étaient des artistes consacrés comme Soulages ou Matisse. » Tahar Ben Jelloun répond néanmoins « immédiatement oui ».

Reflet d’un des vitraux dans l'église Saint-Genulf.

Reflet d’un des vitraux dans l’église Saint-Genulf. THÉOPHILE TROSSAT POUR « M LE MAGAZINE DU MONDE »

 

« Je conçois l’islam comme une façon de perpétuer et de faire vivre les valeurs juives et chrétiennes, c’est d’ailleurs ce qui ressort de la lecture du Coran », explique l’écrivain. Tahar Ben Jelloun se rend deux jours sur place pour s’imprégner du lieu et commence à peindre des maquettes dans son atelier de Tanger. Des toiles colorées, aériennes, aux formes dansantes qui tranchent avec son travail d’écrivain, plus sombre, qui s’inspire de « la douleur du monde », selon ses propres termes.

« A travers la peinture, je célèbre la joie et je recherche la lumière. » Tahar Ben Jelloun

« Dans mes écrits, j’aborde des thèmes dramatiques, comme l’exil, la solitude, l’immigration, la condition des femmes. A travers la peinture, je célèbre la joie et je recherche la lumière », raconte celui qui dessinait déjà enfant sur les papiers d’emballage blancs de l’épicerie que son père tenait à Fès. « Ma peinture, je l’ai toujours pensée comme une autre face de mon écriture », résume-t-il. S’il a accepté le projet de Jérôme Clément, c’est évidemment aussi pour sa portée symbolique : « En ces temps troubles où l’islam est détourné et associé à une entreprise criminelle, il est important qu’un artiste de culture musulmane puisse montrer que les religions du Livre sont en complémentarité. »

Le maître verrier Philippe Brissy et Tahar Ben Jelloun dans l'église Saint-Genulf, au Thoureil, le 20 novembre.
Le maître verrier Philippe Brissy et Tahar Ben Jelloun dans l’église Saint-Genulf, au Thoureil, le 20 novembre. THÉOPHILE TROSSAT POUR « M LE MAGAZINE DU MONDE »

 

Le chemin de croix commence alors. Il faut d’abord convaincre l’archevêché, puis les élus locaux, la population enfin. Jérôme Clément entame une discussion avec les maires de la communauté de communes. « Ça n’a pas été facile, se souvient-il. Les arguments étaient nombreux pour s’opposer au projet : Combien ça coûte ? N’y a-t-il pas d’autres investissements plus urgents à réaliser ?Il y avait aussi évidemment un non-dit : confier la réalisation d’un édifice religieux catholique à un musulman inquiétait certains, même si nous sommes en terre modérée où le Rassemblement national reste relativement bas. »

Trouver les financements

 

Des réticences qui se sont exprimées lors d’une réunion de concertation avec les habitants en décembre 2017. « Pourquoi ne pas faire appel à un artiste local ? », a glissé l’un. « Moi vivante, jamais vous ne ferez ces vitraux ! », a déclaré une bigote à l’artiste venu expliquer sa démarche. Les maires donnent leur feu vert, mais demandent à Jérôme Clément de se débrouiller pour trouver les financements. En échange, il les exhorte à assumer politiquement leur décision.

Un des huit vitraux créés par Tahar Ben Jelloun avant d’être fabriqué et installé par le verrier Philippe Brissy.
Un des huit vitraux créés par Tahar Ben Jelloun avant d’être fabriqué et installé par le verrier Philippe Brissy. THÉOPHILE TROSSAT POUR « M LE MAGAZINE DU MONDE »

 

Grâce à leur entregent, les deux hommes sont allés sonner à toutes les portes : ministère de la culture, DRAC, département, région. Ils ont réussi à rassembler 100 000 euros. Comme ce n’était pas assez, ils ont créé une souscription dans le cadre de la Fondation du patrimoine et ont récolté 10 000 euros supplémentaires, venant de connaissances fortunées comme de petits contributeurs locaux.

Plus de deux ans après avoir conçu le projet, ils espèrent que leur initiative fera des émules. « J’ai envoyé un message à Emmanuel Macron pour l’inviter à saisir l’occasion de faire passer un message de paix et de tolérance », confie Tahar Ben Jelloun. Le chef de l’Etat ne lui a jamais répondu.

Vanessa Scheider

Source : M Le Magazine du Monde

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