LE TRANSPORT AÉRIEN DE MAURITANIE/ Par Brahim Boihy (2ère Partie)

Deuxième partie : LE TRANSPORT AÉRIEN DE MAURITANIE.

Le développement économique et social du pays et dans l’intérêt de ses échanges régionaux et internationaux, commande à l’État de le penser en termes stratégiques, d’en planifier les évolutions futures, de veiller à son organisation en termes de sécurité d’abord, de concurrence loyale entre les différents exploitants, de résolution équitable des conflits,  de respect des intérêts du pays et des usagers, de l’environnement et de l’efficacité. Sous son autorité et selon ses orientations, trois entités existent à ce jour, censées  contribuer à la réalisation des objectifs stratégiques : l’Agence Nationale de l’Aviation Civile (ANAC), la Société des Aéroports de Mauritanie (SAM) et Mauritania Airlines International (MAI). La première est dans une situation particulière au regard des engagements internationaux du pays qui exigent des compétences spécifiques et qui devraient lui donner l’autonomie de décision, lui permettant ainsi d’assurer la sécurité du transport aérien et son développement harmonieux. Dans cet exercice, elle a à gérer d’éventuels différences d’appréciation avec le décideur final, le pouvoir politique.

L’AUTORITE- LA RÉGLEMENTATION :

Avant l’indépendance de la Mauritanie, la réglementation applicable en matière de transport aérien était celle de la France, transcrite le 3 juillet 1962 en loi mauritanienne qui fut abrogée par la loi 78.009 du 18 janvier 1978. Cette loi et ses arrêtés d’application n’avaient pas traité certains aspects techniques, repris par ce qui deviendra le système de supervision de la sécurité, recommandé par l’OACI. Cette année 1978, celle du début de la dérégulation et de la déréglementation du transport aérien consacrant sa libéralisation, a ouvert la voie à une évolution importante des réglementations et à la multiplication des entreprises aériennes. La loi 78.009, pour la plupart de ses dispositions, n’en devint qu’encore plus obsolète. Il fallait alors être attentif et réactif aux évolutions réglementaires et technologiques, conformément au nouveau système de supervision de la sécurité adopté en 1994, y compris par notre pays. Le silence de nos autorités et leur inertie, en dépit des nombreuses relances de l’OACI, aboutirent à l’inscription de la Mauritanie sur la liste noire des compagnies interdites dans l’espace européen. J’avais pourtant alerté le département sur ce qui risquait de nous arriver et ce, notamment, lors des journées de réflexion sur le thème « quel avenir pour le transport aérien en Mauritanie » où j’animais le panel sur la supervision de la sécurité.

Au Ministère de l’Equipement et des Transports, la Direction de l’Aviation Civile n’était qu’une direction parmi d’autres, squelettique et sans pouvoir. C’est pourtant elle qui devait incarner le système de supervision. Sa mutation en Agence Nationale de l’Aviation Civile (ANAC) n’a pu empêcher la sanction de la liste noire, la politisation des décisions et le non professionnalisme des dirigeants en étant les causes principales.

Le coup ayant été encaissé, des résultats positifs en matière d’organisation et de mise à jour de la réglementation ont été observés. Il n’y a pas de mérite à avoir copié et transcrit en règlements nationaux des normes, des règlements et des procédures prêts, recommandés et mis à la disposition des États par l’OACI conformément à ses obligations. C’est le minimum qu’il fallait faire et cela a été fait, en partie. Leur mise en œuvre, c’est une autre histoire.

L’agence avait-elle la pleine conscience des attentes et de sa Responsabilité, de son indispensable autonomie, des moyens et des compétences requis pour l’exécution de ses missions ?  La conception, la réalisation, le contrôle et l’entretien des infrastructures aéronautiques sont normalement de sa seule responsabilité et sous sa pleine Autorité. Rien dans le secteur aéronautique ne devrait échapper à cette autorité. Pourtant, entre autres, les étapes de la conception et de la construction de l’aéroport Oumtounsi donnent lieu, à cet égard, à quelques doutes.

L’agence pourrait n’avoir pas eu à donner son avis, la décision ayant été prise à un autre niveau et sans consultation avec elle. Dans ce cas, le pays serait en violation de la lettre et de l’esprit des exigences du système de supervision de la sécurité aérienne et on se retrouverait dans la situation antérieure à l’inscription sur la liste noire.

Si elle a été consultée, et forte des prévisions de trafic passagers, des procédures techniques de conception et de construction d’un aéroport, des coûts de réalisation et d’entretien comparés aux recettes espérées, l’ANAC avait les arguments suffisants pour justifier un avis réservé sur le projet tel que retenu. Elle dispose d’autres arguments forts, que j’avais déjà publiés en 2014, militant en faveur de la prolongation de l’utilisation de l’ancien aéroport ou, éventuellement, la construction d’oumtounsi par étapes, en fonction de la montée en puissance de la demande de capacité aéroportuaire. Que l’ANAC ait eu des réserves ou pas, rejetées entièrement ou partiellement, des interrogations s’imposent:

  • Comment aurait-elle pu donner un avis favorable sans réserves, comme on l’affirme, à la construction de cet aéroport eu égard aux données objectives dont elle est censée disposer: (a) un trafic passagers de l’ordre de 300.000 alors que le Ministère de l’Equipement et des Transports a estimé que le trafic de deux millions de passagers serait atteint en 2036; (b) l’ancien aéroport a les capacités techniques et opérationnelles, côté piste, n’ont rien à envier à tous les aéroports de la région et plus performant que certaines plateformes (3000 x 45m, ILS, éclairages, contrôle aérien, protection incendie, etc). Certes, l’aérogare nécessitait d’être agrandie, ce qui était possible sur l’espace laissé par l’Asecna, et bien moins coûteux.
  • Comment aurait-elle pu valider la construction de deux pistes, choix que rien ne justifie techniquement: 6500 mouvements d’avions en 2014, sans évolution sensible prévue; aucun aéroport de la région, avec des trafics beaucoup plus importants, n’enregistre une telle redondance; pour donner un ordre d’idées, Londres Heathrow n’a que deux pistes pour traiter plus de 90 millions de passagers.
  • Pourquoi avoir décidé, ou ne pas avoir alerté, que la longueur prévue de la piste principale (2800 mètres) n’était pas suffisante pour l’exploitation du type d’avion retenu (A380)? On aurait ainsi évité de s’en  rendre compte une année après la signature du contrat et de devoir la porter à 3400 mètres. Cet allongement a sensiblement augmenté les coûts de construction qu’il fallait financer (rabotage, suppression ou modification d’infrastructures, crédits nouveaux).
  • Pourquoi retenir des pistes sécantes au lieu de pistes parallèles qui assurent une meilleure capacité aéroportuaire horaire?
  • L’aérogare initialement prévue entre les pistes a finalement été située à l’extérieur (nord est), ce qui a pour effet d’allonger le temps de roulage des avions
  • Etc, etc.

Au delà de sa responsabilité en matière de navigabilité des aéronefs, de formation, de qualification et de maintien des compétences des personnels navigants, techniques et d’exploitation, et de certification des infrastructures, l’ANAC a un rôle central en matière d’études économiques, prospectives et stratégiques tout autant que le suivi de la situation des entreprises de transport aérien, des services aux usagers et de la concurrence. Pour ce faire, le respect des exigences du Certificat de Transporteur Aérien et des obligations de notifications périodiques est essentiel. La non conformité au premier peut déboucher sur la perte de l’accès à la profession. Les notifications obligatoires, quant à elles, concernent :

  • Les projets de changements substantiels : activité, fusion, rachat, modification de capital, etc.
  • Les documents annuels : documents financiers certifiés par le commissaire aux comptes, attestation annuelle d’assurance couvrant les passagers, etc.
  • Les documents saisonniers : programmes d’exploitation : escales, fréquences, type d’avion, horaires, etc.
  • Les documents mensuels : renseignements statistiques sur le trafic.
  • Les cas spécifiques : documents juridiques et économiques en cas de redressement ou mise sous tutelle judiciaire.

Ces éléments constituent la base indispensable à l’analyse du présent, du réel, ce qui permettrait de préparer demain, de planifier les développements et les investissements nécessaires. Rendues disponibles ces données permettraient aux investisseurs et développeurs d’activités d’avoir la visibilité nécessaire à la prise de décision. Que peut-on dire de l’ANAC s’agissant de sa prise en compte de ces problématiques et de ses réalisations en ces domaines ? L’absence de statistiques sur le transport aérien, de publication des résultats de ses activités ne permet pas la transparence qui auraient donné à tous la possibilité d’en juger.

En conclusion, l’ANAC doit être en capacité de faire respecter son autorité et son autonomie de décision reposant sur des considérations règlementaires et techniques. Cela ne l’a soustrait pas à la tutelle du département chargé des transports. Ce dernier, dans le respect de ses engagements pour la sécurité et de l’efficacité, devrait favoriser la compétence et le professionnalisme à la tête et au sein de l’Agence et s’abstenir de l’intervention directe du politique dans sa gestion.

LES AÉROPORTS DE MAURITANIE :

En 1960, toutes les villes avaient chacune son aéroport, réduit dans la plupart des cas à une petite piste en terre battue, tout de même capable d’accueillir des avions de type DC 3. En cas de pluies, le terrain était fermé pendant plusieurs jours. Seuls Nouakchott, Nouadhibou (Port Étienne), Atar, Fdérik (Fort Gouraud), Bir Moghréin (Fort Trinquet), Kiffa, Aioun et Kaédi avaient des pistes bitumées mais très  courtes. La gestion de l’ensemble avait été confiée à l’Agence pour la Sécurité de la Navigation Aérienne-ASECNA-créée le 12 décembre 1958. Au début des années 2000 fut créée la SAM, Société des Aéroports de Mauritanie, société d’économie mixte ayant « pour objet l’aménagement, l’exploitation et l’entretien des installations des aéroports de Mauritanie par voie de concession  (Nouadhibou) ou de mandat de gestion (aéroports intérieurs autres que Nouadhibou) à l’exception des tâches relevant de l’autorité de l’ASECNA ». Sans expérience en matière de gestion aéronautique, sans logistique ni financement, il était très difficile, voire impossible, pour la SAM de s’acquitter de ses missions. Il n’y eut depuis lors ni aménagement ni entretien, et la situation des aéroports ne pouvait que se dégrader. Avec l’aéroport Oumtounsi, la marche était devenue encore plus importante et le déficit inévitable.  Ce déficit aurait pourtant été moindre, voire jugulé par le maintien en opération de l’ancien aéroport et l’amélioration de la gestion.

Techniquement, celui-ci répondait aux standards internationaux: dimensions de la piste d’atterrissage, aides à l’approche et à l’atterrissage (voir plus haut). Commercialement, le trafic aérien annuel d’environ 300.000 passagers ne justifie nullement une capacité aéroportuaire de 2 millions de passagers, trafic prévu d’être atteint en 2035 d’après les estimations du ministère de l’équipement et des transports. Il faut cependant admettre que l’aérogare ainsi que les aires de stationnement des avions de cet aéroport offraient des capacités très limitatives.

N’aurait-il pas mieux valu, comme nous le suggérions, d’augmenter la capacité de l’aérogare et des aires de stationnement des avions, les surfaces suffisantes pour cela étant disponibles (l’ancienne aérogare et les zones libérées par l’Asecna) ? Les coûts d’extension et d’entretien s’en trouveraient considérablement réduits, étant à hauteur du trafic prévisionnel et des recettes qu’il pourrait générer. Une telle configuration serait maintenue aussi longtemps que ne serait pas acquise une visibilité suffisante sur une augmentation vérifiée de la demande qui aurait abouti à la saturation de la plateforme. Alors, pourrait commencer la réalisation du nouvel aéroport.

La construction d’un aéroport répond à des considérations qui peuvent être stratégiques, politiques ou plus généralement commerciales, mais la combinaison de deux ou des trois reste du domaine du possible et du souhaitable. Elle doit inévitablement être précédée d’études techniques, économiques et environnementales approfondies portant sur l’implantation, les caractéristiques et les configurations des pistes, sur l’aérogare, sur tous les services et infrastructures indispensables au fonctionnement d’un aéroport, en un mot sur la capacité aéroportuaire qui pourrait être adaptée progressivement et capable d’absorber un trafic qui aurait été évalué au préalable.

La décision de réaliser Oumtounsi semble ne pas avoir été précédée de toutes les études requises, à en juger par les modifications significatives et lourdes de conséquences financières qu’on a dû apporter au projet contractuel initial, près d’une année après le commencement des travaux. On peut citer la longueur de la piste principale qui a été augmentée de 600 mètres, l’emplacement de l’aérogare qui a été déplacée au nord des pistes et d’autres rabotages tels que la diminution de la hauteur de la tour de contrôle et quelques aires, suppression de quelques voies de dégagement rapide de la piste, etc.

Le trafic aérien n’a quasiment pas augmenté et les recettes aéronautiques sont restées modiques. Avec l’inaccessibilité de l’aérogare aux visiteurs, les activités commerciales intérieures sont réduites. Au total, les recettes aéronautiques et extra-aéronautiques ne peuvent en aucun cas couvrir les charges. L’aéroport fonctionnant à coûts fixes, le déficit est inéluctable. De l’aveu du ministre des finances, le déficit était de 330 millions en 2016,  440 millions en 2017 et atteint 700 millions en 2018. Cette tendance irait croissante, le besoin en entretien et maintenance augmentant avec le temps. Plus inquiétantes encore sont les défaillances techniques et sécuritaires qui pourraient arriver.

Toute construction, toute extension, toute acquisition ont un coût. Alors, quel est, pour la Mauritanie, le coût de l’aéroport international Oumtounsi? Quelles que soient les raisons et l’autorité ayant décidé sa réalisation, n’aurait-il pas été plus indiqué de commencer par une capacité moindre pour le début des opérations et monter en puissance au fur et à mesure des besoins? Avait-on besoin de deux pistes d’atterrissage pour si peu de mouvements quotidiens?

Une fois l’aéroport construit, il faut maintenant le gérer, et quelles que soient les qualités du gestionnaire, le cas de Oumtounsi est très compliqué et restera tributaire de subventions de l’Etat aussi longtemps que le trafic restera à un niveau aussi bas. Et ce ne sont pas les compétences de la SAM qui pourraient améliorer les choses. Il est attendu du gestionnaire, aux fins d’attractivité et de compétitivité:

  • de faire de bonnes études de marché, avec un regard prospectif;
  • avoir de bonnes relations avec les autorités nationales, régionales et locales;
  • mener des campagnes marketing, avec publications, stands, conférences, etc.
  • collaborer avec les compagnies aériennes;
  • collaborer avec les acteurs touristiques, les hôtels, les ambassades et consulats;
  • prendre des mesures incitatives ( réduction des redevances aéroportuaires);
  • recueillir toutes les données possibles sur les aéroports concurrents.

En définitive,  la Mauritanie s’est dotée d’un aéroport sur-dimensionné par rapport à ses besoins présents et futurs jusqu’aux années 2035. Elle n’en connait ni le coût de réalisation, ni les charges d’exploitation. Aucune information n’a été fournie, aucun débat engagé sur les problématiques de cet aéroport: l’opportunité, le timing, les appels d’offre, la gestion, les transactions intervenues. Au total, le pays a besoin de savoir pour combien et pour quelle durée il est engagé, et pour quels avantages ou inconvénients. Que sait-on de la base militaire aérienne co-implantée?

Quelques coûts de construction pour fixer les idées, même si aucune comparaison ne peut être faite avec Oumtounsi:

  •    Tunis Enfida :   Création : $ 520 millions, 7millions passagers/an
  •   Brazzaville :       Extension  $  160 millions,   2 pistes,  2 aérogares
  •   Addis Ababa1 :  Extension,  $  350 millions, trafic de 77 à 140 avions et 6 à 22 millions passagers
  •   Addis Ababa2 :  Nouvel aéroport, $ 4,8 milliards, 2 pistes, 2 aérogare, 120 millions passagers, construction étalée sur 10 ans
  •   Istanbul :    $ 10,4 milliards, 4 pistes, 4 aérogares, de 90 millions à 125 millions passagers (2025); objectif  2040 : 6 pistes, 6 aérogares , 250 millions passagers

LES COMPAGNIES AÉRIENNES MAURITANIENNES :

A son accession à l’indépendance, la Mauritanie avait un réseau routier composé de pistes impraticables en période d’hivernage; un seul kilomètre était bitumé, si on exclut le réseau intérieur de la MIFERMA. Il n’y avait ni transport aérien, ni ferroviaire, ni maritime; une petite ligne fluviale reliait Saint Louis à Rosso notamment.

Si la « route impériale n°1 » permettait, quand elle était praticable, de relier Rosso à Bir Moghréin, les villes de l’est étaient difficilement reliées entre elles, et encore moins à celles du sud et de l’ouest. Pour assurer la continuité territoriale du pays, l’État créa Air Mauritanie. Au moins une fois par semaine, ses DC3 et DC4 desservaient toutes les villes lorsque leur terrain d’aviation était praticable, bien souvent avec peu, voire sans passagers, mais avec le courrier postal et administratif.

L’exploitation de la compagnie ne pouvait, dans ces conditions, être rentable, financièrement du moins; son objectif premier était politique et social, non économique. Sa réussite résidait dans ce qu’elle avait été capable d’assurer le service public qui lui avait été assigné. Petit à petit, après l’inauguration de la route de l’espoir qui a siphonné l’essentiel des passagers vers l’est et le sud est, la compagnie avait commencé à optimiser ses opérations, entrepris son expansion et élargi son marché international ( Las Palmas, Dakar, Casablanca, Kayes). Avec l’acquisition des Fokker 27 puis Fokker 28, Air Mauritanie était devenue plus performante, la plus importante des compagnies nationales des pays d’Afrique de l’ouest et centrale. Elle aurait été plus loin dans l’extension de son réseau si elle ne se heurtait à Air Afrique, l’appartenance de notre pays  à cette multinationale donnait à celle-ci un monopole sur la totalité du portefeuille des droits de trafic de tous les États membres. Ces résultats sont l’aboutissement d’une gestion relativement à l’abri des ingérences politiques et d’un management plutôt professionnel.

Au début des années 1980, et pour on sait quelles raisons, le management fut changé. Il s’ensuivit la politisation de la gestion de la compagnie, de son commandement, un sureffectif injustifié, et la descente aux enfers commença, ininterrompue et accentuée par une augmentation de sa dette. En effet,  la dette des Fokker 28 était libellée en monnaie hollandaise, le florin qui s’étant stabilisé à son plus haut niveau au sommet du serpent monétaire européen, alors que dans le même temps l’ouguiya se dépréciait très fortement. Ainsi, la dette Fokker flambait mécaniquement. Les institutions de Bretton Woods qui encadraient les finances du pays exigèrent la privatisation ou la liquidation d’Air Mauritanie.

Le 29 juin 2000, la privatisation de la société Air Mauritanie devenait effective en faveur de privés mauritaniens avec Air Afrique comme partenaire stratégique! La stratégie des nouveaux propriétaires correspondait très exactement à une reprise de type spéculatif. Les partenaires mauritaniens d’Air Afrique, qui était déjà en fort mauvais état financier, ne tardèrent pas à racheter les parts de la multinationale. Les investissements promis n’ont pas été réalisés. Moins de cinq années plus tard, la nouvelle société déposa le bilan non sans l’avoir spoliée de ses recettes et actifs, immobiliers notamment.

Pour combler le vide ainsi laissé, Mauritania Airways fut créé par d’autres privés mauritaniens associés à Tunis Air. Cette dernière opérait déjà une ligne Tunis – Nouakchott, sans droits de trafic au départ de Nouakchott vers Dakar et au-delà. Deux années plus tard, le partenaire tunisien s’était retiré avec ses avions et la société fut liquidée, laissant derrière elle le conflit social que l’on sait. L’intérêt inavoué était la possibilité d’un cabotage en Afrique qui s’était avéré non rentable, entre autres raisons.

A la suite de ces péripéties, l’État mauritanien créa la société Mauritania Airlines International. Est-ce par nécessité d’assurer un service public, national et international ? Ou seraient-ce des considérations politiques ou de prestige qui auraient prévalu ? Les deux peuvent d’ailleurs aller de pair. Et si on leur associait la sécurité, l’efficacité économique et financière, la profitabilité comme autres objectifs? Attendons de voir quelle sera la suite.

Je suis porté à craindre que les mêmes causes produiront les mêmes effets. Une compagnie aérienne est un ensemble de métiers très pointus pour la plupart, tous encadrés, exigeant des compétences spécifiques devant être maintenues en permanence. La sécurisé des vols étant un impératif absolu des entreprises et la performance opérationnelle leur priorité, on mesure ce que doit être la compétence des dirigeants, leur expérience, leur degré de connaissance des problématiques de cette industrie. A l’exception d’un seul, après lequel d’ailleurs la descente ininterrompue aux enfers avait commencé, aucun des directeurs généraux ne pouvait justifier de connaissances, de compétences ou d’antécédents aéronautiques qui pourraient justifier leur promotion. Le mode de gestion qui prévaut dans les administrations publiques, dominé par le laxisme, le clientélisme et autres considérations extra-aéronautiques, s’est substitué à la rigueur et au professionnalisme que requièrent la sécurité et la rentabilité. Le résultat en est la conséquence très logique: pannes à répétition de matériels pas toujours adaptés ou mal entretenus, services dégradés, marges négatives, déficit et faillite inévitables.

En fonction des marchés, de la volonté et des objectifs assignés par les actionnaires, la première décision à prendre, parce que la plus importante, est le choix  du matériel volant. L’introduction d’avions, leur nombre, le choix des types et modèles, neufs ou d’occasion, à crédit ou en location avec option d’achat ou pas, doit découler de concertations entre les spécialistes des différentes structures impliquées: financière, juridique, commerciale et marketing, technique et opérations aériennes. Il est clair que ce processus n’a pas eu cours chez MAI. On a largement communiqué (claironné) sur le fait que plus de cent millions de dollars ont été débloqués pour acheter le « dernier fleuron de  Boeing ». Le prix catalogue de l’avion est en effet de 100,5 millions de dollars,  mais le prix réel négocié par les compagnies est de 51,4 (source:  Ascend Worldwide-Challenges: Boeing-Airbus, la guerre des prix).

La flotte, dont le processus et les conditions d’acquisition n’ont pas été un modèle de transparence, dépasse largement les besoins de son marché, à en juger ne serait-ce que par deux marqueurs majeurs de productivité: le temps d’utilisation des avions, l’effectif et l’utilisation du personnel navigant. Dans l’industrie du transport aérien, une règle largement vérifiée, établit q’un avion introduit dans une exploitation doit, pour que l’opération soit rentable, (i)  voler au moins dix heures par jour, pour les courts et moyens courriers, ce qui nécessite six à sept équipages par avion, et (ii) générer dans les deux ans qui suivent un chiffre d’affaire équivalent à son prix d’acquisition. Faites le compte pour la flotte de sept avions (4 Boeing et 3 Embraer) achetés par MAI depuis sa création.

L’achat ou la location d’avions sont des options à toujours discuter très sérieusement. L’achat implique que l’avion reste entre les mains du propriétaire quelles que soient les évolutions, conjoncturelles, technologiques, concurrentielles, marchés, etc. La location, si financièrement elle peut être plus onéreuse, laisse la souplesse permettant l’adaptation aux imprévus. Ainsi, si les Boeing avaient été acquis en location, la compagnie aurait eu la possibilité de les rendre au loueur sans grand frais lors des immobilisations dues à  « la liste noire » et du  » Boeing 737 800 MAX ».    En l’absente de tous rapports et publications périodiques, comme ça se doit, sur les résultats, et de statistiques sur les passagers transportés, le remplissage, l’offre globale, le réseau, les effectifs, les recettes, le service, il est impossible de savoir quelle est la situation réelle de la compagnie.

Quant à la sécurité des vols, elle dépend des avions et de leur état technique, à maintenir à bon niveau par les personnels techniques; elle dépend aussi du personnel navigant qui doit être à effectif suffisant, notamment. L’équilibre entre le nombre d’avions, le nombre d’équipages  de la couverture du réseau conditionne l’efficacité économique de l’ensemble qu’affecterait la faiblesse de l’un quelconque des trois. C’est alors que des problèmes de sécurité pourraient survenir, et que l’ANAC devrait être vigilante.

De ce qui précède et compte tenu du fait qu’il s’agit du patrimoine national et de la sécurité des voyageurs, il est impératif que la situation réelle (financière, technique et humaine) de la société Mauritania Airlines International soit connue avec toute la clarté nécessaire. À partir d’un tel état des lieux, des objectifs qui servent l’intérêt national, précis, réalistes et atteignables devraient lui être assignés. Peu importe son statut juridique – société nationale ou d’économie mixte -, c’est le professionnalisme et le principe de la bonne gouvernance d’entreprises qui doivent prévaloir, dans la transparence totale, s’agissant d’un bien public.

CONCLUSION GÉNÉRALE :

L’Etat mauritanien est dans son rôle d’exercer pleinement sa souveraineté sur la totalité de son espace, sur la sécurité et l’économie du transport aérien à travers son action sur l’ensemble des composantes de ce système. Il doit définir des stratégies dictées par l’intérêt national et assigner des objectifs réalistes à atteindre à différents termes. Les objectifs étant fixés, il doit veiller à ce que les entités soient en capacité de les atteindre : capacités matérielles, techniques, humaines, managériales. La compétence, le professionnalisme et l’expérience doivent être les seuls critères à retenir, et plus particulièrement lorsqu’il s’agit des dirigeants. Les Conseils d’Administration ne doivent pas non plus échapper à ces critères et doivent jouer leur rôle de surveillance et de contrôle en interne. Il n’y aurait pas double emploi si l’Etat, sans ingérence du politique, assure son contrôle, le suivi et les arbitrages qui s’imposent, le cas échéant. Enfin, il serait utile, me semble-il, compte tenu de l’importance stratégique du secteur du transport aérien dans le développement des pays et afin de ne pas se laisser surprendre par des évolutions de plus en plus rapides et profondes, technologiques, juridiques, environnementales ou géopolitiques, de se doter d’un Observatoire des Transports qui (sur)veille et analyse les évolutions conjoncturelles et géopolitiques. Il permettrait ainsi de faire face au réel et fournir les outils d’anticipation.

Brahim Boihy

10 novembre 2019

 

 

Lire aussi : LE TRANSPORT AÉRIEN / Par Brahim Boihy (1ère Partie)

 

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