Pourquoi les policiers chinois vont toujours par trois ?

Parce que le premier sait lire, le second sait écrire, et qu’il en faut un troisième pour surveiller ces deux intellectuels. Voilà un exemple de blagues circulant, sous le manteau, dans le bloc soviétique, l’humour servant d’exutoire comme sous tous les régimes totalitaires à une population vivant dans les pénuries et la répression. Florilège non exhaustif.

L’humour, la dérision, les pirouettes linguistiques, les contournements malicieux : l’une des plus malines manières de faire de la résistance contre les pénuries, le régime politique, la grisaille, le manque de liberté d’expression et de liberté tout court qui régissent la vie quotidienne des régimes totalitaires, en l’occurrence, puisqu’on parle du mur de Berlin, tombé il y a trente ans, du bloc soviétique. Les blagues y circulent sous le manteau (quand il y a manteau, s’entend), parce que comme on dit, le premier prix du concours de blagues, c’est dix ans de vacances d’hiver en Sibérie. On rit décalé avec les Trabant bancales en plastique, les flics stupides, les dirigeants désidéalisés, en fustigeant les gouvernements, le système, la répression et les polices politiques, en se réconfortant dans une sorte de communauté du rire, un entre-soi moqueur (qui fait aussi beaucoup de bien en démocratie, soyons honnêtes).

On pourrait citer Alfred Sauvy et son épatant Aux sources de l’humour (Odile Jacob), écrit un an avant la chute du Mur, qui décryptait plusieurs catégories d’humour dans les pays socialistes, celui des gouvernants vis-à-vis de gouvernés ou des pays occidentaux, l’humour populaire qui se cachait, et la critique sociale.

On peut aussi recommander Amandine Regamey, Prolétaires de tous pays, excusez-moi ! Dérision et politique dans le monde soviétique (Buchet-Chastel), le titre citant une blague en vigueur dans le bloc communiste (mais où et quand, difficile de savoir l’origine et la date d’une blague, et ne viendrait-elle pas même du KGB pour faire de la concurrence à l’humour spontané du peuple ?) : «Marx, revenu sur Terre, prend la parole à la radio. Il se contente d’une phrase : « Prolétaires de tous pays, excusez-moi. »» On rit (jaune) de son quotidien, comme avec celle-ci, assez fameuse : «Un socialiste, un capitaliste et un communiste se sont donné rendez-vous. Le socialiste est en retard : « Excusez-moi pour le retard, dit-il je faisais la queue pour du saucisson. » « Qu’est-ce que c’est, une queue ? » demande le capitaliste. « Qu’est-ce que c’est, du saucisson ? » demande le communiste.» Selon un sérieux article de la Deutschlandfunk, les blagues auraient été archivées par les renseignements fédéraux après la chute du Mur, citant l’historien est-allemand Hans-Hermann Hertle : «Le principal intérêt du BND était de trouver des indices sur la mentalité et la vision du monde de la population de la RDA, qui ne se reflétait tout simplement pas dans la propagande officielle.» Comme quoi l’humour est à prendre très au sérieux, comme un miroir réel des mentalités, un indicateur précis et précieux de la société derrière les murs de l’Est.

Plusieurs sites ici et  recensent des dizaines de blagues, collectées et traduites en français par des particuliers, ou encore dans la langue d’Honecker, et des ouvrages souvent en allemand (dont celui de Hans-Hermann Hertle et Ausgelacht de Hans-Wilhelm Saure) analysent et citent ces fameux Witze, ces jeux sur le langage, le mot d’esprit cher au docteur Freud. En voici quelques-uns, mais d’autres aussi savoureux sont à dégoter en se promenant sur ces murs virtuels : une forme d’hommage-souvenir à ces décennies d’oppression.


Dans un tribunal de RDA arrive un juge. Il est plié de rire en permanence et ne peut plus s’arrêter. Ses collègues lui demandent ce qui se passe.
«Je viens d’entendre une blague sur le Parti et notre gouvernement, explique-t-il entre deux crises de fou rire.
– Raconte, raconte !
– Je peux pas, je viens de condamner l’auteur à trois ans !»

Un couple revient du supermarché. Ulcéré par le choix plus que limité, le mari marmonne toute la soirée «RDA de merde, RDA de merde…» Et leur perroquet de renchérir, comme à son habitude : «Le socialisme est mauvaiiis… le socialisme est mauvaiiis…»

Peu de temps après, ils emménagent dans un nouvel appartement. Pour fêter ça, ils font une fête et sont bien obligés d’inviter le directeur de leur usine et le secrétaire du PC local. Au dernier moment, ils pensent au perroquet : «Faut le cacher avant qu’ils arrivent ! Manquerait plus qu’il dise une connerie devant le patron !»
Et comme le secrétaire du Parti sonne justement à la porte, ils cachent l’oiseau dans le frigo en catastrophe.

Trois heures après, les invités repartis repus et contents, on ressort le perroquet. Un glaçon lui pend au bec et il crie : «La RDA c’est beauuu ! Le socialisme c’est bieeeen !
– Où as-tu appris ça !? s’étonne le mari.
– Trois heures de Sibérie m’ont suffiii !»

Deux soldats de RDA sont en poste et surveillent la frontière avec l’Ouest. Ils regardent un long moment vers l’Ouest, et l’un demande :
«A quoi penses-tu ?
– A la même chose que toi.
– Alors je dois t’arrêter !»

Walter Ulbricht et Mao Zedong discutent. Ulbricht demande à Mao : «Combien avez-vous d’ennemis intérieurs chez vous ?
– Environ 17 millions.
– Ouais, comme chez nous.» [Population de la RDA : 16-17 millions]

Les soldats des forces soviétiques en RDA participent rarement à la loterie allemande. Pourquoi ? Parce qu’ils ont peur de gagner un voyage en URSS.

Qu’est-ce qu’un quatuor à cordes soviétique ?
Un orchestre symphonique soviétique de retour d’une tournée à l’Ouest.

Honecker appelle Mielke [chef de la police politique] et lui demande de retrouver sa montre en or qui a disparu. Mielke se met au travail immédiatement.
Trois heures plus tard, Honecker téléphone à Mielke et lui dit que ce n’est plus la peine, qu’il a retrouvé sa montre sur la table de nuit.
«Trop tard, chef. On a déjà arrêté 30 témoins qui ont tous avoué !»

Pourquoi n’y a-t-il en RDA aucun braquage de banque ?
Parce qu’aucun gangster ne peut attendre une Trabant quinze ans pour prendre la fuite.

Après sa mort, Ulbricht arrive devant saint Pierre, qui lui donne le choix :
«Bon, tu as gagné le droit d’aller au Paradis. Ton dossier est chargé mais Dieu est miséricordieux, l’Enfer, personne n’y va. Mais tu dois choisir : Paradis socialiste ou Paradis capitaliste ?
– Paradis socialiste, bien sûr !
– Comme tu veux. Mais attention, pour les repas, tu devras aller à la cantine du Paradis capitaliste. Dans le Paradis socialiste, elle est fermée, ça vaut pas la peine de faire les repas que pour toi.»

Pourquoi personne n’a-t-il jamais reçu de lettre avec le timbre à l’effigie de Honecker, alors qu’il a été tiré à des millions d’exemplaires ?
Parce que les gens crachaient du mauvais côté.

Quels sont les trois plus petits livres du monde socialiste ?
1) le livret A roumain,
2) le livret de travail polonais,
3) le catalogue des voyages de RDA.

Emmanuèle Peyret

Source : Libération (France) – Le 09 novembre 2019

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