Quand RFI parle en langues africaines

La station vient d’installer au Sénégal une rédaction proposant des programmes en mandingue et en peul, deux idiomes parlés en Afrique par 80 millions d’individus.

Comment traduit-on Brexit en mandingue ? Ce genre d’interrogations est le lot quotidien de Kpénahi Traoré. Originaire du Burkina Faso, la journaliste travaille pour la rédaction de Radio France Internationale (RFI) qui produit des contenus dans cette langue parlée par plus de 40 millions de personnes au Mali, au Burkina, et dans les pays voisins. « On dit Brexit, mais ensuite, il faut bien expliquer, détaille la jeune femme, qui, ce matin-là, a mis le sujet au menu de son bulletin d’information. Beaucoup de choses ont évolué dans le monde mais pas forcément les langues africaines. Nous devons bien réfléchir au lexique, et parfois le recréer, pour pouvoir commenter l’actualité. »

La radio française de service public émet en mandingue depuis déjà quatre ans. Mais le projet, démarré au siège, à Issy-les-Moulineaux, en 2015, a pris une nouvelle dimension avec l’installation des équipes sur le continent, à Dakar, au Sénégal, dans des locaux inaugurés mardi 22 octobre (une cérémonie à laquelle Le Monde était convié). Il s’est aussi enrichi, depuis le printemps, d’un magazine hebdomadaire en fulfulde, la langue des ethnies peules, elle aussi pratiquée par 40 millions de locuteurs dans la bande sahélienne. Des programmes diffusés en modulation de fréquences, en ondes courtes et via des radios partenaires.

D’autres stations internationales

 

La radio creuse ainsi son sillon après avoir déjà lancé en 2007, à Lagos (Nigeria), une antenne en haoussa, une des langues principales d’Afrique de l’ouest, puis en 2010 à Dar-es-Salam (Tanzanie) un service en kiswahili, idiome parlé dans la région des Grands Lacs et sur la côte est du continent. « Nous choisissons à chaque fois des langues transnationales, dont certaines sont à cheval entre pays anglophones et francophones, explique Cécile Mégie, la directrice de RFI. Avec elles, on atteint des populations rurales, plus jeunes, féminines et moins alphabétisées, que l’on n’arrive pas à toucher avec le français seul. »

Historiquement, sur le continent, la radio rivalise avec d’autres stations internationales, telles que la britannique BBC, l’allemande Deutsche Welle ou l’américaine Voice of America. Toutes diffusent en plusieurs langues africaines, certaines depuis des décennies. RFI s’y est, elle, convertie tardivement, préférant d’abord miser sur les langues européennes pratiquées dans la région, comme le français, l’anglais ou le portugais.

Dans son « pré carré », en Afrique francophone, elle demeure cependant la première radio internationale, selon TNS-Sofres. En moyenne, 40% de la population de ces pays l’écoute chaque semaine et même 75% des cadres dirigeants. D’ailleurs, la « radio mondiale » est avant tout une radio africaine. Sur un réseau FM totalisant 156 émetteurs à travers le monde, 115 se trouvent en Afrique. La part du continent dans son auditoire est estimée à plus de 70%.

« Emettre dans des langues locales permet de capter des populations larges qui sont peu à l’aise avec le français »

« RFI reste très populaire, mais elle doit composer avec un paysage médiatique qui s’enrichit de radios privées nationales et aussi de nouvelles radios étrangères, venues de Chine ou du Maroc, analyse le Béninois Gilles Yabi, fondateur du think-tank Wathi établi à Dakar. Emettre dans des langues locales permet de capter des populations larges qui sont peu à l’aise avec le français mais deviendront peut-être de plus en plus influentes politiquement. C’est intelligent d’un point de vue stratégique, à la fois pour RFI et pour la diplomatie française. »

Un volume de diffusion modeste

 

La station se défend d’être le porte-voix du Quai d’Orsay. « Nous sommes une radio de « service au public », pas un média d’Etat », insiste Mme Mégie. La portée politique du projet n’est pourtant pas niée. Les contenus en mandingue et fulfulde ciblent une bande sahélienne où la situation sécuritaire ne cesse de se dégrader, avec la multiplication de conflits interethniques et la montée en puissance de groupes terroristes. « C’est important de donner accès à un journalisme libre et équilibré dans des zones tendues qui subissent une radicalisation de l’information », affirme Marie-Christine Saragosse, la patronne de France Médias Monde (RFI, France 24, etc.). « On essaie de remettre du dialogue là où il n’y en a pas, entre les communautés », complète Frédéric Garat, coordinateur des rédactions en mandingue et en peul.

 

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Un objectif ambitieux qui doit pour l’heure s’accommoder d’un volume de diffusion modeste. Quand le service en haoussa produit plus de 14 heures de programmes par semaine, le mandingue n’en est qu’à six heures hebdomadaires. Et le fulfulde, avec son unique magazine dédié aux jeunes Peuls du Sahel, se limite à une heure de production !

« Depuis qu’on a lancé l’émission, ça réagit beaucoup, tellement qu’on ne sait pas comment répondre à tout le monde »

 

A Dakar, la petite équipe assure pourtant avoir déjà trouvé son public. « Depuis qu’on a lancé l’émission, ça réagit beaucoup, tellement qu’on ne sait pas comment répondre à tout le monde », s’exclame Aïssatou Ly, animatrice en fulfulde, une langue jusqu’alors ignorée par toutes les radios internationales. Cette ancienne du journal sénégalais Le Quotidien montre sur son téléphone les 33 787 messages en attente dans le fil de discussion WhatsApp consacré au programme. « Mes propres parents, raconte-t-elle, n’avaient jamais écouté ce genre d’émission avant puisqu’ils ne parlent pas le français. »

Ne pas négliger l’actualité internationale

 

La rédaction en mandingue, avec ses huit journalistes – tous africains – installés à Dakar et son réseau de huit correspondants dans la région, met, quant à elle, un point d’honneur à ne pas négliger l’actualité internationale. « Il ne faut pas croire, eux aussi s’intéressent à ce qui se passe en Syrie, entre les grandes puissances. Cela peut avoir des répercussions sur leurs vies », affirme Ousmane (qui préfère taire son nom), ex-journaliste de la télévision nationale burkinabée.

 

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Originaire de l’ouest du Burkina, une région en proie au risque terroriste, il veut croire au rôle pacificateur joué par certains programmes. En tendant le micro à des entrepreneurs, des jeunes qui ont réussi, « on crée d’autres modèles positifs », pense-t-il. En même temps, quand les tensions augmentent, « il peut être difficile de concurrencer les radios locales communautaires qui ne sont pas toujours sur les faits mais disent ce que les gens veulent entendre », estime son confrère malien Baba Maiga.

Marie-Christine Saragosse plaide pour développer ces nouveaux services. A charge pour elle de convaincre l’Agence française de développement (AFD) qui finance aujourd’hui les contenus produits et diffusés en fulfulde. Et, à l’avenir, pourquoi ne pas décliner aussi un des magazines en wolof, la langue la plus parlée au Sénégal ? Puisque la nouvelle rédaction est établie à Dakar, a-t-elle expliqué mardi, ce serait un geste de respect. De « yeuk », comme on dit en wolof.

Marie de Vergès

(Dakar, envoyée spéciale)

Source : Le Monde

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