Cinéma : « Atlantique », une jeunesse africaine en quête d’ailleurs

Grand Prix à Cannes, le premier long-métrage de Mati Diop mêle une histoire d’amour fou et un film de genre, en banlieue de Dakar.

Le cinéma a trouvé sa nouvelle poétesse, Mati Diop, qui filme le soleil comme un personnage épuisé, las d’éclairer le monde réel et sa morne répétition.

Dans Atlantique, son envoûtant premier long-métrage récompensé du Grand Prix à Cannes, l’astre rougeoyant semble prêt à fondre dans l’océan comme un cachet effervescent. La nuit avale le jour et, ce faisant, réinvente les histoires, donne de nouvelles perspectives aux perdants, fait trembler les puissants et guide les pas de l’héroïne adolescente, Ada.

Elle est splendidement interprétée par Mama Sané, une actrice non professionnelle à l’élégance ultime : promise à un riche mari qu’elle n’aime pas, Ada part à la recherche d’elle-même et de son amoureux, Souleiman (Ibrahima Traore), un jeune ouvrier porté disparu.

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Une grâce hypnotique traverse le film de la Franco-Sénégalaise, nièce du cinéaste Djibril Diop Mambéty (1945-1998), auteur de Touki-Bouki (1972), auquel Mati Diop rend hommage dans Mille Soleils (2013). La réalisatrice nous fait parvenir l’écho d’un monde déréglé en filmant la banlieue de Thiaroye, en périphérie de Dakar, où elle a trouvé la plupart de ses comédiens.

En renouant avec l’histoire d’un pays, le Sénégal, où elle n’a pas vécu (ayant grandi à Paris), la jeune femme de 37 ans et coscénariste du film, avec Olivier Demangel, livre un récit très personnel en même temps qu’une réflexion politique. Au départ, elle avait envisagé d’intituler son film « Bientôt le feu », en référence à l’essai de James Baldwin (La Prochaine Fois, le feu, Gallimard, 1963) sur la place des Noirs dans la société américaine.

« L’odyssée de Pénélope »

 

Cela peut paraître paradoxal, mais ce sont les témoignages des habitants – donc le matériau du réel – qui ont fait bifurquer le scénario vers le fantastique.

Le film commence dans la poussière d’un chantier où les ouvriers (parmi lesquels Souleiman) sont en colère. Ils travaillent sur la tour qui s’impose en arrière-plan, autre totem du film – géant métallique qui domine l’océan et en abrite les secrets – et cela fait trois mois qu’ils ne sont pas payés. Cette impossibilité de gagner sa vie et de soutenir sa famille fait désespérer les jeunes hommes. Quand Ada, le soir, rejoint le bar en plein air où elle a l’habitude de retrouver ses amis, elle apprend que « les garçons » sont partis en pirogue.

Il n’est pas nécessaire d’en dire plus, et mieux vaut s’attacher aux fils de cet ample récit qui sans cesse se réinvente tandis que l’héroïne fait sa mue – voir le regard caméra de la jeune Ada. « Ce film, c’est l’odyssée de Pénélope », aime à dire Mati Diop.

Atlantique est une histoire d’amour fou et d’émancipation, un film de revenants, une enquête policière menée par un inspecteur bizarre et tourmenté, Issa (Amadou Mbow), persuadé que Souleiman a allumé un incendie le soir des noces d’Ada et de son époux. C’est enfin une chronique de la jeunesse dakaroise, fière et résistante, laquelle a connu son « printemps » et forgé ses revendications.

Un poème rageur et atmosphérique

 

Le film glane des indices sur ces filles (Dior, Fanta…) qui paient chèrement leurs marges de liberté, entre jeans moulants et « djinns » envoûtants, du nom de ces esprits qui s’emparent, dit-on, des mauvaises croyantes. Les mères ne sont pas épargnées, qui parfois se montrent complices de l’ordre patriarcal, tandis que la police file doux avec les notables. C’est cette chaîne de docilité que s’emploient à briser les personnages, dans leur vie réelle ou fantasmée.

Cette fiction multiforme est la suite d’un précédent court-métrage documentaire au titre presque identique, Atlantiques (2008), dans lequel Mati Diop captait la parole de jeunes Sénégalais, partagés entre la peur et l’envie de quitter le pays. Le drame de la mort de l’un d’entre eux (Serigne) a conduit la cinéaste à revenir sur les lieux.

Deux idées puissantes font d’Atlantique un poème rageur et atmosphérique : la première consiste à raconter la migration du côté des femmes restées au pays, lors de quelques scènes hallucinatoires où elles reprennent le pouvoir. La seconde, c’est d’avoir imaginé ce que diraient les morts s’ils pouvaient s’exprimer. Quels seraient leurs mots, et comment articuler ce « retour » avec l’histoire d’amour ? Un des plus beaux plans du film montre Ada/Mama Sané déambulant, seule dans le bruit de la ville, tandis qu’un garçon des rues esquisse un étrange mouvement sur son passage.

 

 

« Atlantique », film français, sénégalais, belge de Mati Diop. Avec Mama Sané, Amadou Mbow, Ibrahima Traore (1 h 45).

 

Clarisse Fabre

 

 

Source : Le Monde

 

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