Sénégal : une passe d’armes sur Cheikh Anta Diop enflamme la toile

Le débat entre le journaliste Boubacar Boris Diop et le philosophe Souleymane Bachir Diagne sur la portée de l’œuvre du défunt historien Cheikh Anta Diop, alimente les pages « Tribunes » de plusieurs journaux, de même qu’il passionne beaucoup d’internautes qui via les réseaux sociaux souhaitent la poursuite des échanges intellectuels ou leur fin, car chacun des protagonistes a fait jaillir sa lumière.

 

A un « Bachir tu permets ? » de Boris Diop, le professeur Diagne a répondu « Je vous en prie » dans une longue tribune publiée mardi et où il estime que ses propos ont fait l’objet d’une interprétation tronquée de la part du journaliste-écrivain.

Disciple de Cheikh Anta, ce dernier considère, dans sa première sortie, que Diagne « a enfoncé une porte ouverte » et se demande si le philosophe n’est pas en train de « suggérer que la belle réputation de Cheikh Anta Diop est largement surfaite ».

Il y a 20 ans, Diagne avait publié un hommage dont le texte a été repris en avril 2018 par la revue sud-africaine Chimurenga, sous le titre « In the Den of the Alchemist » (Dans l’antre de l’Alchimiste).

A la suite de la lecture de cet article, Boris Diop a soulevé plusieurs griefs à l’encontre de son compatriote philosophe, notamment le déni de la paternité du laboratoire de Carbone 14 à l’auteur de « Nations nègres et culture » et surtout le rappel de « la mention +honorable+ – disqualifiante – ayant sanctionné la thèse de Diop en Sorbonne, sans un mot sur le contexte idéologique et politique de cette soutenance très particulière ».

S’inscrivant en faux contre ces accusations, Souleymane Bachir Diagne, enseignant à l’université Columbia des Etats-Unis, renvoie le journaliste à cette phrase contenue dans l’article en question et qui témoigne de son respect pour l’égyptologue : « il y a un signe qui ne trompe pas et qui distingue les grands hommes, c’est la capacité de transformer l’exil en royaume. Diop (Cheikh Anta) a montré cette capacité ».

Et Bachir Diagne de poursuivre en reprécisant certains de ses points de vue, concernant notamment la querelle entre Cheikh Anta Diop et l’écrivain kenyan Ngugi Wa Thiong’o sur l’adoption des langues africaines pour le « remembrement du continent ». Là où le premier plaide pour un « pluralisme » linguistique, le second milite pour une « unification ».

Pour le philosophe, « les deux positions se défendent dans une discussion honnête et celle qui considère une langue comme instrument d’unification est en effet la définition du jacobinisme ».

Rappelant sa liberté de pensée en tant que philosophe, il assène : « On peut avoir sur tout des différences. Les exprimer comme telles, argumenter et contre argumenter, c’est le métier que j’exerce ».

Se délectant de ces échanges teintés de civilités et qui renseignent beaucoup sur l’œuvre du natif de Thieytou, mort en 1986 à l’âge de 62 ans, plusieurs internautes ont témoigné de leur satisfaction, tout en espérant une prochaine réponse de Boris Diop en vue d’enrichir le débat.

Ainsi, dans un forum de journalistes, certains souhaitent qu’on laisse « les deux s’affronter loyalement, (car) c’est l’intelligence en action » là où d’autres saluent ce « frottement (qui) est bénéfique à tous », au motif qu’on a affaire à deux « esprits éclairés ».

« Voilà un débat intellectuel contradictoire auquel on doit s’attendre : tous les deux auteurs pertinents dans leur argumentaire respectif », s’extasie un journaliste dont l’enthousiasme est tempéré par quelques confrères, craignant qu’un tel débat n’impacte négativement sur les relations sociales entre les deux intellectuels.

« Je pense, écrit un de ces +sapeurs-pompiers+, qu’il y a du respect dans la posture des deux hommes. Contrairement aux confrères, j’aurais souhaité que cela s’arrête là. Chacun a dit l’essentiel ».

APA-Dakar (Sénégal) de notre correspondant : Omar Dembelé

Source : Agence de Presse Africaine

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