« Le Mariage de Verida » : le « gavage » en cadeau de noces

Michela Occhipinti décrit une coutume persistante en Mauritanie, qui veut qu’une jeune femme prenne du poids pour plaire à son futur mari.

 

La première image du Mariage de Verida est une grande coupelle de lait qu’une femme dépose avec délicatesse devant le lit de sa fille. En l’espace de quelques secondes, beaucoup de choses sont dites sur la complexité de la relation qui unit cette mère à son enfant. On peut voir dans ce geste une tendre attention maternelle ou au contraire la violence symbolique de la gamelle que l’on tendrait à un animal. Dans les faits, la jeune fille, prénommée Verida, n’est plus une enfant. Elle apprend qu’elle a été promise à un homme sans qu’on lui demande son avis. Elle doit démarrer le rite du « gavage » afin de prendre la vingtaine de kilos supposés lui manquer. « Elle sera comme tu veux », promet-on au futur époux qui rend visite aux parents. La scène se passe à Nouakchott, capitale de la Mauritanie.

La réalisatrice italienne Michela Occhipinti a pris du temps pour enquêter sur cette coutume peu défrichée au cinéma, et toujours en cours en Mauritanie – elle concernerait environ 40 % des femmes. Dans ce premier long-métrage très documenté, sous la forme d’une fiction, la comédienne principale, non professionnelle, Verida Beitta Ahmed Deiche, a elle-même pratiqué le gavage. La coutume est décrite avec précision : les noces approchant, le rythme des repas s’intensifie (jusqu’à dix par jour), un mélange de viande, de féculents, de laitages, toujours joliment présentés. Une surabondance de nourriture pour le bien de la future mariée, lui dit-on, qui dispose de plusieurs semaines pour ingurgiter cette grande bouffe.

Pas qu’une histoire ancienne

 

A l’époque de la grand-mère de Verida, la jeune épouse devait dévorer un animal entier durant sa nuit de noces. Le titre international du film, Flesh Out, plus percutant que le titre français, évoque l’« étouffement » ou l’« épaississement » de la chair que la pratique entraîne. L’apparition de vergetures et le craquement des tissus sont considérés comme les signes ultimes de la beauté.

L’intérêt du film réside moins dans sa mise en scène, un peu linéaire, et dans sa belle image que dans le point de vue ouvert et nuancé de Michela Occhipinti. Plutôt que de filmer à la campagne, et de donner le sentiment que le gavage est le fruit d’une histoire ancienne en voie de déshérence, elle a posé sa caméra dans une grande ville où Verida jouit d’une certaine autonomie. Avec son foulard et sa grande tunique qui cache ses formes, elle travaille dans un salon d’esthétique et partage des moments d’insouciance avec ses deux meilleures amies : une jeune femme noire à l’état d’esprit que l’on dirait « occidental », et une étudiante en foulard qui rêve de partir au Caire et tente de « réveiller » la colère de Verida. Entre consternation et fatalisme, elle observe, médusée, le destin de son amie.

Féminisme sans relativisme

 

Le gavage est d’abord une épreuve physique. Des femmes y ont laissé leur vie, d’autres se procurent sur le marché des pilules qui font grossir, au risque de développer des problèmes cardiaques. De toute façon, rien de tout cela n’est bon pour leur santé. Certaines ont l’air de bien vivre ce rituel, se regroupant lors de jours de fête pour « s’éclater la panse » entre filles.

Par cette multitude de regards, la cinéaste pose la question de la liberté des femmes s’agissant de leur corps, sans tomber dans le relativisme culturel ni mettre à égalité les comportements : minceur et régime pour les unes, gavage pour les autres, blanchiment de la peau en option pour les Noires et les Métisses. Est-ce un choix, ou le fruit de diktats intériorisés ? Cette fiction féministe a l’intelligence de ne pas emprunter le chemin tout tracé de la « libération » vue selon un regard occidental. Mais Le Mariage de Verida reste un film à sujet. Verida trouve ses échappées et ses voies d’émancipation. Politiquement, on ne peut que s’en réjouir, mais esthétiquement, rien de bien nouveau sur le grand écran.

 

Clarisse Fabre

Source : Le Monde

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