Mauritanie – Kadiata M. Diallo : Ce n’est pas un jeu équitable qui a amené Ghazouani au pouvoir

ALAKHBAR (Nouakchott) – Kadjata Malick Diallo, député du parti d’opposition mauritanien UFP estime que la Mauritanie a raté ce qui pouvait être sa première alternance démocratique. Pour la député, le pouvoir avait dégagé un candidat, en mettant toute la force de l’Etat pour le faire passer.

« Ce n’est pas un jeu libre et équitable qui a amené Ould Ghazouani au pouvoir. Il a été élu dans des conditions qui ne sont pas du tout transparentes », ajoute Kadiata Malick Diallo. (Interview).

 

ALAKHBAR _Quelle évaluation faites-vous de la présidentielle du 22 juin 2019 ?

Kadiata M. Diallo : Nous savions, au départ, que les conditions d’une élection juste et transparente n’étaient pas remplies. Le pouvoir avait dégagé un candidat, en mettant toute la force de l’Etat pour le faire passer. Nous savions que les fonctionnaires de l’Etat, dès que le parti au pouvoir (UPR) leur intime l’ordre d’assister à une manifestation, même à 8h du matin, tout le monde répond, du planton jusqu’au ministre. Dans ces conditions, nous savions bien que la force de l’Etat pesait fortement.

En deuxième lieu, l’outil d’organisation des élections n’inspirait pas confiance. L’opposition n’y était pas représentée.

En troisième lieu, nous vivons dans une société conservatrice au sein de laquelle les chefs de tribu font le jeu. Dans certaines localités, des bureaux de vote étaient mis à la disposition d’un chef tribal qui parfois partage la même tribu avec le président d’un bureau de vote. Donc, nous savions que le vote n’était pas libre. Nous savions aussi que les candidats n’avaient pas les mêmes moyens. Pendant qu’un candidat avait une voiture pour sillonner trois moughatas, un autre voyageait par avion. Ils n’étaient pas tous dans des conditions d’équité et de justice pour une élection transparente. Malgré tout, il n’y avait pas d’autres possibilités que de participer au jeu et d’arracher ce qui était possible.

ALAKHBAR _ Est-ce que c’est une bonne démarche de rejeter les résultats confirmés par le Conseil constitutionnel ?

Kadiata M. Diallo : Tout dépend de ce qu’on peut avoir comme arguments. Je crois qu’il faut se prononcer sur le jour du scrutin. Quand il s’agit de contester les résultats par rapport à l’organisation, c’est contestable. Mais, quand on va devant les juridictions concernées – parce qu’il s’agit d’engager des recours, ces recours tels que engagés, je ne sais pas trop, je n’ai pas vu les dossiers envoyés au Conseil constitutionnel, mais ce que je sais sur la voie publique et à travers les médias et conférences de presse et comme observateur, je ne suis pas franchement convaincue des éléments de recours probants pouvant faire rejeter l’élection. Par contre, j’ai vu d’autres observateurs, comme le Fonadh – une organisation que je juge crédible jusqu’à preuve du contraire, qui, même si elle n’a pas fait tous les bureaux de vote, a donné un pourcentage élevé de bureaux de vote visités et s’est prononcé sur l’élection qu’il a qualifiée de globalement correct, en dépit de quelques erreurs et de quelques manquements.

ALAKHBAR _ Voulez-vous dire que la démarche de l’opposition n’est pas la bonne ?

Kadiata M. Diallo : Elle ne m’a pas convaincue.

ALAKHBAR _Vous demandez donc à l’opposition d’accepter les résultats ?

Kadiata M. Diallo :Dans la mesure où je n’ai pas vu d’éléments qui peuvent me convaincre. Je crois qu’il s’agit d’une faiblesse liée à l’opposition et de sa manière de compiler les résultats et de les utiliser. Ailleurs où l’opposition a pu contester les élections, elle a pu rassembler les données et les montrer pour pouvoir convaincre l’opinion.

ALAKHBAR_ Est-ce que vous conseillerez aux candidats de l’opposition d’accepter finalement les résultats ?

Kadiata M. Diallo :Plutôt, je leur demanderais de m’avancer les preuves qu’ils détiennent pour rejeter les résultats. Et je fonderai mon opinion en fonction de ce qu’ils me montreraient. Je peux ne pas féliciter le Président élu, parce que je sais qu’il l’a été dans des conditions qui ne sont pas du tout transparentes. Mais, je ne crois pas que c’est une bonne démarche de rejeter les résultats et de demander de nouvelles élections.

ALAKHBAR_ Peut-on résumer votre idée en disant que Mohamed Ould Ghazouani a réussi l’alternance démocratique ?

Kadiata M. Diallo: Non. Mohamed Ould Ghazouani n’a pas réussi l’alternance démocratique. Il a été imposé par les conditions de l’élection. Ce n’est pas un jeu libre et équitable qui a amené Ould Ghazouani au pouvoir. Mais, au moins, on peut être satisfait du respect de la Constitution. Il y avait des velléités de tout entreprendre pour ne pas respecter la Constitution. Quant à Ould Ghazouani, c’est un changement d’homme pour le même système.

 

ALAKHBAR_ Vous aviez qualifié de « candidature suicidaire » celle de Mouloud Ould Mouloud qui préside votre parti UFP. Est-ce que vous maintenez cela ?

Kadiata M. Diallo: J’avais donné une appréciation en partant de mon analyse propre d’une situation. Les résultats sont là. Je crois qu’ils confirment mes appréhensions et ce que je redoutais.

ALAKHBAR_ Vous maintenez le qualificatif « suicidaire » ?

Kadiata M. Diallo: En tout cas le résultat est là. Tout le monde pouvait se prononcer. J’avais donné un mot pour montrer le risque qu’il y avait.

ALAKHBAR_ Vous maintenez ce mot ?

Kadiata M. Diallo: Je maintiendrai, si vous voulez. En tout cas, le résultat est décevant et les conséquences sont terribles sur le parti. C’est ce que je redoutais le plus. Je ne le souhaitais pas, mais, malheureusement, l’histoire m’a donné raison.

ALAKHBAR_ Qu’est ce que votre parti peut tirer comme enseignements de son échec électoral ?

Kadiata M. Diallo: Il faut déterminer les causes de l’échec. C’est important. Bien sûr, on peut évoquer la fraude, mais, à mon avis, la fraude concerne tout le monde. J’aurais bien souhaité que même s’il y a eu de la fraude qu’au moins notre résultat soit honorable, comme celui des autres candidats, ce qui n’a pas été le cas. Donc, je ne peux pas expliquer l’échec par la fraude. Maintenant, il y a des conditions objectives qui ont fait que c’était inéluctable. Si vous remarquez la particularité des élections, les candidats ne se bousculaient pas ; il y avait beaucoup de réticences de la part des partis ; il y avait énormément de partis qui auraient pu présenter des candidats. Mais, les élections de 2018 ont été un teste pour l’opposition et les résultats, à mon avis, étaient assez modestes. Cela aurait dû pousser l’opposition à agir autrement.

ALAKHBAR _ « Autrement », comment ?

Kadiata M. Diallo : Avoir une candidature unique de l’opposition. Bien sûr, il y a eu des tentatives qui ont échoué, mais l’opposition a joué le second tour, or le pouvoir jouait le premier tour. Finalement, ceux qui jouaient le premier tour ont gagné.

ALAKHBAR_ La contestation dans votre parti gagne d’autres leaders comme Moustapha Ould Bedrdine. Peut-on parler de fronde ?

Kadiata M. Diallo : Il y a une forte contestation qui n’est pas forcément liée à l’élection. Il y avait déjà des divergences au niveau du parti, mais elles se sont accentuées avec la situation postélectorale.

ALAKHBAR_ Pourquoi vous esquivez le terme « fronde » ?

Kadiata M. Diallo : Je ne sais pas quelle est la différence entre « fronde » et « contestation ». En tout cas moi, je conteste. Je m’étais déjà opposée à la candidature. Je l’avais manifesté. Il y a eu après la décision du parti. Je me suis soumise à la discipline du parti et j’ai fait campagne pour le parti. Le résultat m’a donné raison. Malheureusement, mes camarades ne sont pas dans une situation d’accepter que j’ai eu raison.

ALAKHBAR_ Qui d’autres au sein de l’UFP contestent à vos côtés ?

Kadiata M. Diallo : Je ne peux pas dire que tel ou tel conteste. Je sais tout simplement que moi je conteste la situation.

 

 

Source : Alakhbar.info (Le 25 juillet 209)

 

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