ZLECA : une farce africaine

L’écrivain sénégalais Adama Gaye avait participé, alors jeune journaliste, à la naissance du fameux traité d’Abuja de 1991, mort-né en dépit de la promesse des fleurs… D’où sans doute ce pessimisme envers une ZLECAF pourtant différente de par sa démarche très technique et l’adhésion des dirigeants africains qui ont réussi à ratifier le traité une année après sa signature. Par ce point de vue à rebrousse-poil, Adama Gaye apporte sa pièce dans le dossier du débat africain avec force et arguments, inaugurant notre série d’été sur la ZLECAF. Pour ou contre ?

 

C’est une naissance par césarienne qui préfigure une mort lancinante. Malgré les applaudissements, l’histoire risque de ne retenir du dernier sommet de l’union africaine, du 7 au 9 juillet, à Niamey (Niger), que la précocité et la précarité du projet de zone commerciale continentale qui y est devenue opérationnelle.

Solennellement, les chefs d’Etat africains ont donc sorti du bain leur nouveau bébé en l’habillant des couleurs vives d’une Zone de libre échange continental (Zlecaf) sans s’imaginer qu’il a peu de chance de survivre à leur lubie du moment.

Sur le papier, il a fière allure. C’est un projet que nul ne peut brocarder a priori tant est noble son ambition d’augmenter le flux des échanges commerciaux intra-africains, par la réduction des barrières tarifaires et non-tarifaires, afin de donner à l’intégration économique africaine le coup de fouet salvateur. Enfin, devrait-on dire.

Adama Gaye avec le président Paul Kagamé du Rwanda. Archives.

 

S’opposer à tout ce qui participe de la mystique communautaire continentale relève même d’une certaine folie. Elle est ancrée dans le psyché africain. C’est un déterminant primordial dans cette Afrique en quête d’un dépassement de sa balkanisation. Son développement collectif, la stabilité africaine et la prospérité de ses peuples, avancent la plupart des esprits brillants, à la suite des chantres de l’unité panafricaine, tels Cheikh Anta Diop ou Kwame Nkrumah, passent par la matérialisation d’un tel impératif.

Autant dire que les architectes de la Zlecaf ont touché la corde sensible des populations africaines en l’initiant. Tous s’y retrouvent.

Mais un examen plus minutieux suscite un doute profond quant à sa viabilité. On peut d’abord se demander comment atteindre un objectif aussi qualitatif si la plupart des acteurs qui devraient le mettre en œuvre, en particulier les chefs d’état africains, restent attachés à la préservation de leur beffroi etatique. Combien d’entre-eux, une fois asséchée l’encre de la signature apposée sur le traité instituant la structure, sont susceptibles de passer à l’acte? Combien vont faire des abandons de souverainetés pour faciliter la libre circulation des personnes, biens et services? Ou abdiquer une partie de leur fiscalité au service du groupe? Peut-on réussir un projet aussi ambitieux au milieu d’une mer de pauvreté générale, l’intégration régionale n’a jamais pu s’enraciner entre pays pauvres n’ayant que misères et malheurs à se partager ! Et puis qui peut croire à une idée lancée loin des peuples qu’elle concerne au premier chef: faire l’intégration “avec” et non “pour” les peuples fut l’un des leitmotivs les plus marquants dans la promotion de l’intégration quand elle n’était pas encore autant sujette à caution comme maintenant.

Elle ne fait plus rêver, disons-le sans détour. On pourrait même penser qu’elle a fini sa période de grâce et englouti son pain blanc.

En Afrique plus particulièrement…Depuis plus de trente cinq ans de vécu et d’observation au plus haut niveau de la marche du continent, jamais je n’ai été aussi habité par le triste sentiment qu’il est pris en otage par des individus égoïstes, sans vision au delà de la théorie et du verbiage.

Il suffit de relever les cachoteries, l’officialisme et la volonté des décideurs politiques de n’en faire qu’à leur tête. Seules ne sont associées à leurs agapes, presque souterraines, que leurs excroissances médiatiques, financières, voire entrepreneuriales triées sur le volet, selon de louches accointances.

Quand ils présentent les projets d’intégration africaine, ils préfèrent le faire sur des médias occidentaux avec des interlocuteurs bien identifiés, par exemple à France24 ou Rfi. Le président de la commission de l’union africaine (ua), le Tchadien Moussa Faki, est insaisissable, agissant comme au vieux temps de la gouvernance verticale. Les autres dirigeants sont devenus, dans leurs États et ailleurs sur le continent non pas des leaders mais des…dealers. Pis, beaucoup parmi eux sont à la solde de sulfureux affairistes s’ils ne sont simplement au service de puissances étrangères. Ne parlons pas des diverses entités africaines -de la Bad, Africa50, Afreximbank, banques sous régionales, CEA, etc-, qui sont toutes sous la gouverne d’intérêts individuels, privés et sous la coupe des pouvoirs d’Etat. Avoir une posture indépendante mais juste est toxique à leurs yeux: on en devient pestiféré. C’est un recul dramatique sur le front du pluralisme des idées…Ce n’est plus le syndicat que dénonçait naguère l’alors Président Tanzanien, feu Julius Nyerere. L’Afrique est piratée désormais par une caste unie autour d’intérêts particuliers la faisant s’allier avec des forces exogènes similaires, si besoin, à seule fin de maintenir un status quo à leur profit.

S’aligner ou être marginalisé devient l’alternative qui s’offre à l’individu refusant de s’adapter à la nouvelle normalité qui a fini d’étouffer les espoirs, fondés sur les atouts énormes d’un continent que l’on pensait bien parti pour jouer les premiers rôles dans ce nouveau siècle.

C’est plutôt une situation catastrophique qui la prend à la gorge. En vertu de quoi, progressivement capturée par des forces interlopes, devenue un terreau de moins en moins fertile à des initiatives endogènes, ouvertes à tous, donc démocratiques et populaires, l’Afrique patine.

Il y a même fort à parier que la Zlecaf, son nouveau-né, produit des rêves intégrationnistes, vient au monde dans le pire des contextes malgré les cris de joie qui l’accueillent.

N’oublions d’abord pas qu’il y a un reflux du régionalisme. Qu’il est loin le temps où cet idéal faisait florès. Partout. De l’Europe, avec son Traité de Maastricht en 1992, à l’Amérique, avec la naissance de l’Alena (Usa-Mexique-Canada) ou encore à travers le raffermissement de l’Asean autour des pays d’Asie du Sud Est. Désormais, énervés par la gouvernance conceptuelle égoïste des bureaucrates et politocrates, les peuples exigent davantage de gestion frappée de subsidiarite. L’Afrique ne saurait être en reste. Surtout qu’elle aussi a eu sa part d’échec et de rejet de projets intégrateurs. Rien qu’en Afrique de l’Ouest , plus de 200 organisations inter-Etatiques attendent leur rationalisation. Les communautés économiques régionales, de la Cemac, à l’Uma, à la Cedeao restent des tigres en papier. Aucun des États du continent ne se distingue par un cachet vertueux: la démocratie est en régression, la vénalité traverse les veines des autorités à tous les niveaux et les violences terrorisées autant que les pandémies prolifèrent. Les investisseurs restent dans l’expectative, ayant le sentiment que l’Afrique est une terre de promesses jamais accomplies…

Où trouver les moyens financiers pour construire les infrastructures physiques et sociales coûtant des milliers de milliards de dollars? Comment impliquer les populations de moins en moins convaincues du sérieux des projets venus de haut? Qui ne se souvient du lancement à Abuja en 1991 de la Communauté économique africaine (CEA), clone de l’actuelle Zlecaf? J’y étais et les discours alors étaient passionnés . On les croyait authentiques. Ce n’était que des propos de circonstance tenus par des…comédiens politiciens. Du toc. La Cea devait devenir une réalité en 2035. Jamais elle n’a dépassé l’étape de la gésine. Elle est sous terre, depuis !

La Zlecaf est vouée à la faillite. On ne peut faire un tel projet dans la cachoterie, entre copains et coquins officiels, encore moins sans générosité. S’imaginer qu’elle puisse être autre chose qu’une coquille vide, c’est être le plus optimiste des Pangloss sur terre: ceux qui sont chargés de l’animer sont incapables de répondre à une simple lettre; leur arrogance frise la folie; ils méprisent le commerce. Sans oublier les fonctionnaires impolis et égocentriques, égoïstes, des institutions africaines uniquement mus par leurs intérêts privés -et qui ont tué l’élan et l’enthousiasme ayant longtemps entretenu le mythe panafricaniste en le rendant attractif.

Ce sont ceux qui gouvernent ce continent et leurs plumitifs dans les institutions ou dans les groupes étroits qu’ils capacitent qui l’ont transformé en repoussoir, le projetant comme l’incarnation de l’immobilisme voire le recul de l’Afrique. Ses porte-voix les plus bruyants et officiels sont, de fait, loin d’être dignes de porter notre rêve d’unité. C’est en eux qu’on trouve les premiers traîtres à la cause qu’ils ont prétendu pousser ces derniers mois, avant de nous servir leur bébé, congénitalement sans espoir…

Je ne crois pas à la Zlecaf. Trop de médiocres et ripoux penchés sur son berceau l’ont mortellement infectée. Triste de voir une ambition collective s’effondrer du fait de ceux qui annihilent sa marche—-avant même ses premiers pas. Ce n’est pas cette farce, toute de réthorique, sous les traits d’une nouvelle institution qui donne envie de s’esclaffer, qui relancera donc l’idée panafricaniste…

*Adama GAYE, ancien Directeur de la Communication de la Cedeao, est auteur de: « Demain, la nouvelle Afrique », aux Editions l’Harmattan, à Paris.

Source : Financial Afrik

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