Dialogue politique : Biram Dah Abeid en meneur isolé

Au lendemain de la confirmation par le Conseil Constitutionnel de la victoire de Mohamed Ould Ghazouani à l‘élection présidentielle du 22 juin 2019, la crise post-électorale qui s’implémentait depuis le 23 juin 2019 risque-t-elle de se dissiper dans les jours à venir ?

 

Biram Dah Abeid, arrivé deuxième de cette présidentielle avec 18% des suffrages exprimés, dont il conteste la sincérité, a appelé dès les premières heures de la contestation au calme et au dialogue.

Le champion de la lutte contre l’esclavage, connu pour sa radicalité (dans le discours anti-esclavage et politique), s’inscrit très tôt dans un réalisme politique (qui surprend certains observateurs) dont le soubassement est le dialogue politique avec les autorités en place. Il est suivi dans cette entreprise par les trois autres candidats à savoir, Sidi Mohamed Ould Boubabar, Kane Hamidou Baba et Mohamed Ould Maouloud.

Ces quatre opposants mettent en place une stratégie commune et un dispositif technique commun vis à vis du pouvoir dont le fondement est le rejet des résultats de cette élection.  Ils s’engagent à n’entamer de discussion que dans ce cadre commun et rejettent toute rencontre parallèle en solo.

 

 

De la démarche commune à une entreprise solitaire ?

Depuis le début de la contestation de l’élection de Mohamed Ould Ghazouani dont l’investiture est prévue le 2 aout 2019, l’opposition s’est engagée dans une dynamique commune, afin de peser considérablement sur les potentielles négociations politiques.

Nul doute que de toute l’opposition, le grand vainqueur de cette élection n’est autre que Biram Dah Abeid qui en cinq ans gagne 10 points de plus (8% à l’élection présidentielle de 2014 et 18% à celle de 2019) malgré son alliance avec le parti nationaliste arabe SAWAB. Les observateurs de la scène politique mauritanienne s’inquiétaient d’un potentiel isolement de Biram Dah Abeid pour en faire l’unique interlocuteur avec le gouvernement (en se fondant sur ses résultats) au détriment de ses alliés conjoncturels que sont les autres partis de l’opposition avec lesquels il a cheminé depuis la période pré-électorale à la crise post-électorale naissante.

 

Le gouvernement, en choisissant d’envoyer son ministre de la fonction publique porte parole du gouvernement par intérim et président du directoire du parti UPR à Biram Dah Abeid pour entamer un dialogue, fait un coup double.

Il isole Biram Dah Abeid des autres opposants et en même temps, il redore son blason en montrant sa disponibilité à répondre aux sollicitations de l’opposition dans un contexte qui lui est peu favorable.

L’opposition, particulièrement celle qui a porté la candidature de Kane Hamidou Baba est vent debout contre ce début de dialogue entre Biram Dah Abeid et le pouvoir.

Quelques minutes après la sortie de Biram Dah Abeid, tour à tour, le porte parole et le directeur de cabinet du candidat Kane Hamidou Baba porté par la CVE, ont affirmé n’être pas engagé par le dialogue car n’étant pas sollicité.

Ainsi les premières fissures de cette alliance conjoncturelle entre Biram Dah Abeid et Kane Hamidou Baba arrivé quatrième de cette élection présidentielle avec 8% des voix hypothéqueraient-elle la jonction de la lutte Hratine et celle des Négro-mauritaniens, considéré comme la hantise du pouvoir en place.

En acceptant de rencontrer en solo l’émissaire du gouvernement, Biram Dah Abeid s’engage seul dans les prémices d’un dialogue avec, il faut le dire, un gouvernement dont il ne reste que 20 jours.

Que faut-il attendre du dialogue avec un gouvernement qui en 10 ans, comme le dénonce Biram Dah Abeid et les autres opposants, n’a pas respecté les termes des différents dialogues politiques qu’il a engagé ?

Cette rencontre risque de faire exploser en plein vol cette stratégie commune isolant Biram Dah Abeid de l’opposition traditionnelle. Maitre des horloges politiques depuis un certain temps, Biram Dah Abeid ne risque-t-il pas de se transformer en marchant de sable dans ce désert politique ?

Mohamed Ould Ghazouani et son équipe qui prendront le pouvoir le 2 août 2019, n’étant pas partie prenante de ce dialogue, vont ils s’engager à respecter les termes d’un probable accord ?

Biram Dah Abeid est il prêt à reconnaître la légitimité du président nouvellement élu ? Et si oui à quel prix ?

 

 

Une stratégie à double tranchant

Biram Dah Abeid comme au poker joue son va-tout avec le risque soit de s’ériger en fin stratège politique ou de devenir le Ponce Pilate de l’opposition.

S’il réussit son pari, il ringardise la « vieille garde politique » et s’offre un boulevard pour les prochaines échéances.

Si par contre il échoue, il perdra une base électorale séduite par son discours de rupture et son refus de compromis ou de compromission avec le pouvoir en place.

D’autant que la singularité de Biram Dah Abeid résidait dans son refus catégorique de négocier avec un pouvoir qu’il n’a jamais reconnu. Ce coté tranchant et clivant qu’il a cultivé a fait de lui le champion d’une nouvelle génération politique qui prône une rupture totale avec ce qu’ils appellent le système politique en place.

 

Enfin, engager un dialogue sur la libération des militants détenus suite aux manifestations, le passif humanitaire, la question de l’état civil est certes salutaires, mais il traduit un aveu d’échec et la reconnaissance implicite de Mohamed Ould Ghazouani. Les arrestations dont il est question font suite à la contestation de la sincérité des résultats de l’élection présidentielle, donc la seule et vraie revendication de l’opposition devrait être l’organisation d’une nouvelle élection présidentielle avec comme préalable la refonte de la CENI, du fichier électoral…

Le reste des revendications est en réalité un programme politique ou un projet de société dont l’effectivité n’est pas conditionnée au dialogue mais plutôt à un volonté politique des gouvernants.

Kassataya 

10/07/2019

 

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