Au lendemain du coup de tonnerre, la presse et les supporteurs sont très sévères avec Mo Salah et ses partenaires.
Au coup de sifflet final, la vie s’est arrêtée. En une seconde, les cris, les chants, les danses, qui avaient commencé sous un soleil de plomb en début d’après-midi, ont brutalement cessé. Dans la nuit bouillante, une chape de silence s’est abattue sur le stade du Caire et ses 77 000 supporteurs pétrifiés. Il était 22 h 52, et l’Egypte venait de perdre sa Coupe d’Afrique. Sa Coupe !
Moins de dix minutes plus tôt, sur une contre-attaque parfaitement menée, Thembinkosi Lorch trompait le gardien égyptien Mohamed El Shenawy. Mais ils étaient où les « pharaons » ? Ces joueurs qui avaient suscité les espoirs de tout un peuple en enchaînant trois victoires sans encaisser de but lors des phases de poule ?
Démission et limogeage
Dans le silence de la nuit, certains se sont pris le visage entre les mains ; d’autres se sont effondrés à terre. Mo Salah, héros national, a traversé le terrain la tête basse et s’est engouffré dans les vestiaires sous les insultes et les quolibets.
Il a été transparent pendant ce match. Lui, l’homme admiré pour son humilité et sa générosité a-t-il fait preuve de trop de suffisance face aux Sud-Africains ? Après deux défaites au premier tour, les Bafana Bafana, qui affronteront le Nigeria en quart de finale, faisaient figure de miraculés en se qualifiant en 8e de finale au bénéfice d’une place de meilleur troisième. « Mo Salah n’était vraiment pas au mieux de sa forme, déplore Ahmed Hesham, un supporteur égyptien à la sortie du stade. Avec Liverpool, il brille et il gagne la Ligue des Champions. Mais avec l’équipe égyptienne, on dirait qu’il a peur de se blesser. Ma déception est immense, il me faudra du temps pour m’en remettre. » Omar Addin, un Cairote d’une trentaine d’années, rappelle qu’il « n’était pas prévu de quitter la compétition aussi rapidement ». Et d’ajouter, encore incrédule : « Je ne comprends pas ce qui s’est passé. Ce que je sais, c’est que les Egyptiens n’ont plus d’espoir, qu’ils n’ont plus rien à quoi se raccrocher. La prochaine grande compétition est dans trois ans, il va falloir être très patient. »
Le séisme a fortement ébranlé la Fédération égyptienne de football. Hani Abou Rida, président de la EFA, a présenté sa démission et limogé toute l’équipe technique de la sélection nationale. « Une obligation morale », selon un communiqué, « après avoir déçu les Egyptiens ». Le sélectionneur mexicain Javier Aguirre avait fait son mea culpa quelques heures auparavant, se disant « responsable du résultat » au terme « d’une nuit triste ».
« Vous nous avez fait honte ! »
Au lendemain de la défaite, la presse égyptienne n’était pas tendre avec l’équipe des Pharaons. « Vous nous avez fait honte ! », s’emporte le quotidien étatique Al-Akhbar, qui dénonce « les absurdités » du sélectionneur et « l’incapacité des joueurs », avec une photo de la star Mohamed Salah au bord des larmes. « Le sélectionneur Javier Aguirre doit être considéré comme le premier responsable de cette sortie humiliante », selon le grand quotidien gouvernemental Al-Ahram, qui déplore la sélection de joueurs n’ayant pas le niveau international.
Pour le journal égyptien Al-Wafd, organe du parti politique du même nom, proche du gouvernement, la chute de l’Egypte « est un désastre qui devait arriver à un moment donné », estimant que ni les joueurs ni l’équipe technique des Pharaons n’étaient au niveau pour un couronnement lors de cette édition de la CAN. Le journaliste Amir Farag rappelle que les trois victoires des Pharaons en phase de qualification étaient plus que décevantes.
« C’est un véritable désastre, un scandale qui ne peut être ignoré », martèle le journaliste, qui accuse tout d’abord l’EFA qui n’a pas su tirer les leçons de la déroute égyptienne à la Coupe du Monde en Russie en 2018. Il jette ensuite le blâme sur l’entraîneur mexicain Javier Aguirre qui n’a pas su développer un véritable jeu au sein de la sélection, ni offensif ni défensif. Enfin, l’attaquant-vedette Mohamed Saleh, « présent-absent » durant la compétitition, a déçu. Le site de la chaîne Sada El-Balad estime lui aussi que « Mohamed Salah a été hors contrôle », passant « 10 jours de congés en camp d’entraînement sans se rendre compte qu’il était en mission nationale ».
Le soutien apporté par Mo Salah et ses coéquipiers à Amr Warda, écarté par l’EFA puis réintégré sous leurs pressions après des accusations de harcèlement sexuel, laisse aussi un petit goût amer. « Au lieu de s’unir pour améliorer leurs performances faibles et médiocres pendant le tournoi, les joueurs se sont unis pour soutenir leur collègue qui a fait du tort à tous (…) », estime ainsi le journaliste d’Al-Wafd dans une critique par ailleurs très partagée sur les réseaux sociaux, où les Pharaons sont désignés sous le quolibet « l’équipe des harceleurs ».
Certains supporteurs placent dorénavant leurs espoirs sur d’autres équipes. Chaimaa El Matrabi est marocco-égyptienne. « Après l’élimination du Maroc vendredi, c’est l’Egypte qui sort de la compétition, regrette-t-elle en quittant les tribunes du stade du Caire. Je vais me consoler en supportant l’Algérie… ». Car avec ou sans la puissance invitante, la compétition continue. Ce dimanche, deux rendez-vous de poids : Madagascar, une des belles surprises de la compétition, sera opposé à la RDC et l’Algérie à la Guinée.
Pierre Lepidi (envoyé Spécial, Le Caire (Egypte) et Hélène Sallon
Source : Le Monde
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