Dubaï, ses malls monumentaux, ses gratte-ciel vertigineux et ses princesses qui s’échappent

Haya Bint Al-Hussein, l’épouse de l’émir de Dubaï qui a fui au Royaume Uni, est la troisième membre de la dynastie à se rebeller contre l’ordre familial.

 

Au mois d’octobre 2018, dans une interview au magazine Emirates Women, la princesse Haya Bint Al-Hussein, épouse de l’émir de Dubaï, s’extasiait sur la chance qu’elle avait de partager la vie du grand homme.

De toutes les célébrités qu’elle a croisées dans son existence, affirmait-elle, celle qui l’a le plus impressionnée reste son mari, Mohammed Ben Rachid Al-Maktoum, 69 ans, le PDG de la ville-monde, fameuse pour ses malls monumentaux et ses gratte-ciel vertigineux. « Je suis chaque jour stupéfaite par ce qu’il accomplit », confiait la fille du défunt roi Hussein de Jordanie, alors âgée de 44 ans. Photos des deux altesses royales à l’appui, la publication se pâmait sur ce « couple parfait », « qui à l’évidence est toujours très amoureux ».

On devrait se méfier des évidences. Au mois de juin, lors des courses de chevaux d’Ascot, rendez-vous obligé de la « haute » britannique, la princesse aux cheveux miel et au sourire enjoué n’était pas au bras de son mari. Ces deux passionnés d’équitation se plaisaient jusque-là à apparaître ensemble à cet événement hippique et mondain, lui en complet veston et haut de forme, elle en capeline et toilettes colorées.

Quelques jours plus tard, on apprenait que la première dame de Dubaï – ou du moins la plus visible d’entre elles, puisque cheikh Mohammed a la bagatelle de six épouses – avait claqué la porte du palais familial. D’abord signalée en Allemagne, où elle aurait demandé l’asile politique, Haya Bint Al-Hussein s’est finalement réfugiée à Londres, avec bagages et enfants, ainsi qu’avec la ferme intention de divorcer de son monarque de mari.

Lasse d’une existence dorée mais oisive

 

Pour une citoyenne des Emirats arabes unis (EAU), la démarche est drôlement osée. Dans cette fédération de sept principautés, dont Dubaï est la plus célèbre, la procédure de séparation, gouvernée par la loi islamique, s’apparente à un parcours d’obstacles pour les femmes. La garde des enfants, ou du moins leur tutelle juridique, est généralement confiée aux hommes. Le régime est encore plus contraignant pour une membre de la famille royale, honneur des mâles et de la dynastie oblige. Rien ne doit ternir le prestige du pater familias et l’aura glamour de son micro-Etat.

Avant Haya, deux autres princesses de Dubaï se sont rebellées contre ce système, mais avec moins de succès. A l’été 2000, à l’âge de 17 ans, Shamsa Al-Maktoum, l’une des vingt-trois enfants de l’émir Mohammed, qu’il a eue avec une femme algérienne, s’est fait la belle pendant quelques semaines. La famille résidait alors dans sa villégiature de la campagne anglaise, où le premier des Maktoum possède d’immenses haras. Rattrapée dans une rue de Cambridge par des employés de son père, l’adolescente fut ramenée de force à Dubaï, où elle mène depuis une vie de quasi-recluse.

Dix-huit ans plus tard, en février 2018, à l’âge de 32 ans, sa sœur cadette, Latifa, a fui à son tour la férule paternelle. Lasse d’une existence dorée mais oisive, frustrée de ne pouvoir voyager à l’étranger ou étudier la médecine comme elle en rêvait, la jeune femme a embarqué sur un yacht privé, à destination de l’Inde. Son échappée belle a pris fin au large de Bombay, lorsque le navire a été arraisonné par des militaires indiens, qui l’ont remise ensuite à des émissaires de cheikh Mohammed.

« Personne ne peut vous mettre dans une cage »

 

Comme Shamsa, Latifa Al-Maktoum n’est pas réapparue en public depuis son retour forcé à Dubaï, à une exception près : une séance photo, avec l’ancienne présidente irlandaise Mary Robinson, orchestrée la veille de Noël par les autorités, dans le but de contrer les accusations de séquestration formulées par les défenseurs de la renégate.

Une opération de com’, facilitée à l’époque par la princesse Haya Bint Al-Hussein, proche de l’ex-Haute Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU. Devant les médias, cette dernière avait affirmé que Latifa souffrait de problèmes psychologiques, mais qu’elle était en sécurité et qu’il s’agissait d’une « histoire familiale ».

Désormais loin de Dubaï, l’épouse de cheikh Mohammed, une femme de tête, diplômée d’Oxford, active dans l’humanitaire et cavalière émérite, pourrait-elle faire des révélations sur cette affaire ? C’est ce qu’espèrent des organisations de défense des droits de l’homme.

La militante Radha Sterling, directrice de l’ONG Detained in Dubaï, assure même que la raison de la fuite de Haya réside dans le fait qu’elle aurait récemment découvert que Latifa a bel et bien souffert de mauvais traitements, infligés par son père. « En toute probabilité, la princesse Haya est à la fois une victime et un témoin », a déclaré Radha Sterling.

Lire aussi Latifa, la princesse émiratie introuvable après avoir tenté de fuir sa « prison dorée »

Qu’en dit le pacha de Dubaï ? Il a d’abord tenté de reconquérir sa belle, en se rendant outre-Rhin, où elle s’était initialement installée, mais les négociations ont tourné court. Cheikh Mohammed, qui se pique de poésie, a alors composé une volée de vers assassins, qu’il a publiée sur Instagram.

« Toi, la traîtresse, tu as trahi la plus précieuse des confiances, se lamente le souverain, dans le style grandiloquent qu’il affectionne. Le temps du mensonge est terminé/Peu importe ce que nous avons été et ce que tu es/Ta place n’est plus avec moi/Cela m’est égal que tu vives ou que tu meurs ».

L’indomptable princesse l’avait pourtant prévenu. A la fin de l’interview qu’elle avait donnée au magazine Emirates Women, après une longue apologie de son mari, elle avait eu cette phrase prémonitoire. « Rappelez-vous, disait-elle, que nous sommes tous nés libres et que personne ne peut vous mettre dans une cage, si ce n’est vous-même. »

Benjamin Barthe

(Beyrouth, correspondant)

Source : Le Monde

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