Réforme de la Ligue des champions : le Graal des droits TV

Si le projet de réforme de la C1 repose sur une hausse substantielle du montant des droits TV, les diffuseurs « classiques » auront du mal à suivre la surenchère.

 

C’est le produit premium qu’ils attendent tous. La compétition ultime. 224 matchs par saison – contre 96 actuellement – réunissant uniquement les meilleures équipes européennes. Les contours du projet de la nouvelle formule de la Ligue des champions sont encore en discussion, mais la finalité est déjà connue : plus de prestige, plus de rencontres, et surtout, plus d’argent. Les porteurs du projet – c’est à dire l’Association européenne des clubs (ECA) et son président Andrea Agnelli – misent ainsi sur une augmentation de 40 % des droits TV. Mais de nombreux doutes subsistent, liés à la nature même de cette compétition.

Cette nouvelle Ligue des champions serait « quasiment au niveau d’une Coupe du monde en termes d’attractivité, sauf qu’elle se disputerait presque toute l’année, tous les ans. Ca va être le Graal au niveau des recettes TV », avance Pierre Maes, ancien directeur des programmes de Canal+ Belgique, qui s’est ensuite spécialisé dans la négociation de droits télé du football comme consultant indépendant, et auteur de l’ouvrage Le Business des droits TV du foot (FYP éditions, mars 2019, 165 pages).

Bulle inflationniste

 

En France, les droits TV des deux coupes d’Europe (Ligue des champions et Ligue Europa) ont déjà atteint des montants astronomiques. Le groupe Altice de Patrick Drahi a ainsi dépensé 300 millions d’euros pour s’assurer l’exclusivité de ces prestigieuses compétitions jusqu’en 2021, soit dix fois plus que ce qu’avaient dépensé conjointement TF1 et Canal+ pour la période 2009-2012 (30 millions). Mais encore très loin des 1,368 milliard déboursés par BT Sport en Angleterre pour la période 2018-2021.

Si Pierre Maes met en garde dans son ouvrage contre la bulle inflationniste observée ces dernières années partout en Europe, il estime toutefois que si correction il y a, « elle n’affectera pas les produits les plus prestigieux comme la Ligue des champions ». L’impact d’une éventuelle baisse des droits TV se fera plutôt sentir sur les championnats et coupes nationales, comme déjà observé lors du dernier appel d’offres en Angleterre, mètre étalon et marché leader des droits TV des championnats européens.

Sky et BT Sports ont ainsi dépensé un peu plus de 5 milliards d’euros pour acheter 168 matchs de Premier League pour la période 2019/2022, mais pour 785 millions d’euros de moins que lors du présent accord conclu en 2015 et courant jusqu’à la fin de la saison. Un coup de tonnerre Outre-Manche.

Lassitude des téléspectateurs

 

« Dans l’absolu, oui, cette Ligue des champions serait un produit magnifique, avance Christophe Lepetit, directeur du Centre de droit et d’économie du sport (CDES) de Limoges. Mais il y a encore un côté romantique dans le football et le public et les médias aiment bien les épopées, comme on le voit cette année avec l’Ajax. Ils pourraient être amenés à se lasser si ce sont toujours les mêmes affiches. » La multiplication des matchs laisse augurer d’une multiplication des revenus, mais aussi craindre une érosion des audiences déjà constatée lors des phases de groupe de la plus prestigieuse des compétitions européennes.

Quels acteurs seraient donc susceptibles de prendre les risques nécessaires pour se positionner sur l’acquisition des droits TV de cette nouvelle compétition ? Pour Christophe Lepetit, « il sera difficile pour les acteurs classiques [chaînes à péage et opérateurs de télécommunication] de suivre cette course folle ». « La rentabilité directe pour l’achat de droits sportifs n’existe quasiment plus, avance Pierre Maes. Si Altice ou Canal+ achètent des droits, c’est pour vendre des abonnements. Mais c’est plus compliqué que prévu. »

Le paysage se recompose donc avec de nouveaux acteurs aux moyens bien supérieurs. Si les GAFA tardent à se positionner sur le marché des droits TV du football en dépit de leur puissance financière et de leurs importantes liquidités, l’irruption d’Amazon en Angleterre (40 matchs hors week-end diffusés en exclusivité), ainsi que les perspectives alléchantes que laisse augurer une Ligue des champions semi-fermée, pourraient éventuellement aiguiser certains appétits du côté de la Californie.

Le fléau du piratage

 

Pierre Maes cite également l’Arabie saoudite, pour qui la rentabilité n’est pas une priorité. Le royaume a créé en 2016 un fonds d’investissement souverain, Vision Fund, en partenariat avec le géant japonais SoftBank, avec pour objectif initial l’accélération des progrès dans le domaine de la technologie. Mais ce fonds lorgne désormais le football, avec de grosses ambitions, puisqu’il a proposé à la FIFA de financer, à hauteur de 25 milliards de dollars, de nouvelles compétitions internationales, notamment une Coupe du monde des clubs.

« Pourquoi ne pas penser une recentralisation des droits TV au niveau des institutions sportives ? », interroge de son côté Christophe Lepetit, qui imagine l’UEFA lancer sa propre chaîne, et invite à regarder le modèle de la NBA et de son « NBA League Pass », à 200 euros l’année pour voir l’ensemble des rencontres. Une offre modulable, segmentée, accessible financièrement et pratique à utiliser.

Dans tous les cas, l’urgence est grande pour les différents acteurs de repenser le modèle pour contrer le piratage, en progression constante ces dernières années en raison du coût des abonnements qui pèse de plus en plus sur les téléspectateurs. Et qui ne manquerait pas de toucher la Ligue des champions new look et donc, à terme, d’ébranler son modèle économique. Pierre Maes prend en exemple l’industrie du disque : « D’abord, ils ont nié le problème. Ils ont ensuite opté pour la répression, pendant une dizaine d’années. Avant de finalement conclure qu’il fallait repenser entièrement le business model avec les plateformes de streaming. »

Maxime Goldbaum

Source : Le Monde

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