« Les milliardaires africains doivent financer la recherche médicale en Afrique »

Professeur de microbiologie à Yaoundé, le Camerounais Yap Boum II esquisse des pistes pour que le continent « écrive sa propre histoire » scientifique.

D’après ses calculs, seules 30 % à 40 % des publications scientifiques ont un premier ou dernier auteur africain. Enseignant dans les facultés de médecine de Mbarara en Ouganda, de Virginie aux Etats-Unis et de Yaoundé-I au Cameroun, le professeur Yap Boum II, regrette que « 70 % de l’histoire du continent soit racontée par d’autres ».

A peine rentré d’un colloque scientifique au Rwanda où, une fois de plus, il a milité pour que « la recherche médicale se fasse en Afrique par les chercheurs africains », le représentant régional d’Epicentre, la branche « recherche et épidémiologie » de Médecins sans frontières (MSF), nous reçoit dans son bureau, dans les locaux de l’ONG à Yaoundé. Là, il détaille au Monde Afrique les pistes qui pourraient permettre au continent « d’écrire sa propre histoire scientifique et de mettre en place des solutions pratiques pour améliorer la vie des patients africains ».

Pourquoi n’y a-t-il pas plus de recherche médicale en Afrique ?

 

Yap Boum II Il y a dix ans, lors de ma première conférence en Tanzanie, un auditeur m’a dit : « Les Occidentaux ont l’argent, nous avons les maladies. » Par cette formule, il expliquait qu’on ne doit pas se sentir inférieur. Si un chercheur fait 10 000 km pour venir dans votre village, cela signifie qu’il y a chez vous quelque chose qui l’intéresse.

Nous devons prendre conscience de cela pour oser dire à un potentiel partenaire que si son intérêt porte sur le VIH, le nôtre est focalisé sur la tuberculose. Alors il nous faut trouver un moyen de traiter les deux. Sinon, nous ne prenons pas le partenariat. Nous avons ce pouvoir. Surtout si nous nous organisons.

L’argent reste le « nerf de la guerre »…

 

Il faut effectivement que nous trouvions l’argent, mais c’est possible, car l’Afrique n’a jamais eu autant de milliardaires qu’aujourd’hui. Or les milliardaires africains doivent financer la recherche médicale sur le continent, pour que nous puissions avancer sur les sujets qui répondent à nos problématiques. Et nous pouvons aussi mener ces recherches nous-mêmes en demandant à la Fondation Bill et Melinda Gates de nous financer, nous, chercheurs africains, plutôt que d’envoyer des chercheurs du Nord travailler ici.

Le premier financeur de la recherche dans le monde aujourd’hui, c’est Bill Gates. Aliko Dangote, l’homme le plus riche d’Afrique, peut faire la même chose avec le continent. Certains, comme le milliardaire Strive Masiyiwa, au Zimbabwe, finance des recherches sur les maladies négligées.

C’est aux Africains d’investir sur des problèmes qui sont les leurs. On ne peut pas se plaindre de ne pas nous-mêmes conduire l’agenda si on ne trouve pas des financements pour le faire.

Mais les milliardaires ne suffisent pas : l’argent privé ne peut pas supplanter l’argent public…

 

L’idée est de voir comment aller davantage vers les philanthropes, les hommes d’affaires, car les Africains sont généreux. Tout en ayant un message sur l’intérêt d’investir dans la recherche pour avoir un impact social. Il nous faut aussi aller vers les entreprises, car beaucoup ont ce qu’elles appellent la responsabilité sociale des entreprises (RSE) qui leur permet d’investir une partie de leurs bénéfices pour la communauté dans laquelle elles vivent.

Lire aussi « Ma thèse en 180 secondes », l’Afrique monte en puissance

Il y a donc des philanthropes, des entreprises et le gouvernement. C’est dans ce partenariat public-privé qu’on pourra trouver des fonds. Et la recherche, ce n’est pas forcément un million de dollars. Ça peut être un laboratoire, du matériel, de la logistique, des subventions pour les chercheurs, des téléphones, des moyens de transport…

La société civile aussi peut contribuer. Si on va dans un village où plusieurs habitants souffrent de l’ulcère de Buruli, on peut leur demander s’ils peuvent se cotiser pour qu’on comprenne ce qui se passe. Si c’est un problème pour eux et qu’ils pensent trouver une solution, ils le feront. C’est quelque chose qu’on devrait faire davantage. C’est une question de confiance. Il faudrait que la communauté, les politiques, les entreprises, les philanthropes africains aient confiance dans leurs chercheurs.

Comment faire confiance aux chercheurs quand beaucoup quittent l’Afrique pour l’Europe ou les Etats-Unis ?

 

La fuite des cerveaux est un problème global en Afrique. Mais il faut donner des moyens à ces chercheurs de revenir. Il faut leur offrir des laboratoires où ils peuvent travailler, des salaires décents. J’ai une amie au Nigeria qui vivait aux Etats-Unis. Elle est rentrée et l’Université d’Ibadan qui lui a donné un espace avec quelques machines. Ce qui montre une certaine volonté.

 

Lire aussi Ma thèse en 180 secondes : la Burkinabée Geneviève Zabré convainc avec les vertus médicinales de l’acacia

L’autre partie concerne les chercheurs. Un bon chercheur qui travaille aux Etats-Unis, en France, en Allemagne ou ailleurs doit pouvoir mettre en place des collaborations. Si je travaille dans un laboratoire aux Etats-Unis, je devrais mettre en place des projets pour mon pays. Au lieu que ce soit un Américain qui vienne mener des recherches au Cameroun, il serait plus intéressant que ce soit moi, scientifique camerounais, qui le fasse, car je connais les deux environnements.

Et comment les chercheurs africains peuvent-ils aussi contribuer à augmenter leur notoriété ?

 

Je vais faire une différence entre la recherche et la communication sur la recherche. Prenons l’exemple du Cameroun, où tous les étudiants font de la recherche dans les facultés de médecine ou de santé publique, mais dont les résultats n’apparaissent nulle part. Ce n’est pas tant la recherche qui est absente que ses résultats. La langue est sans doute un frein qui empêche l’accès à des publications révisées par des pairs, clé d’une audience à l’échelle nationale et internationale, mais ce silence est aussi la faute des chercheurs. Avons-nous suffisamment, nous, chercheurs, prouvé aux politiques que la recherche est un investissement ?

Si j’étais ministre de la santé, choisirais-je de financer la recherche ou de construire un hôpital ? Le choix est vite fait… Sauf si on prouve au ministre que l’argent investi dans la recherche permettra de prévenir des maladies, de diminuer les hospitalisations et les achats de médicaments. En lui donnant ces éléments, on lui permet de réfléchir différemment. Malheureusement, nous les chercheurs, nous parlons entre nous, dans nos conférences, colloques, et nous adressons trop peu souvent aux politiques.

Le plan d’action de Lagos recommande aux Etats africains de consacrer au moins 1 % de leur PIB à la recherche. Pourquoi n’est-ce pas toujours respecté ?

 

D’abord, nous savons que les budgets des Etats sont serrés et les besoins, énormes. Mais par-delà ce problème, est-ce que les chercheurs ont manifesté pour réclamer « leur 1 % » ? Non. Pourtant, à la fin de l’année, les chercheurs africains des pays où cette règle n’est pas respectée devraient s’insurger. Comme les scientifiques l’ont fait en France pour demander aux politiques de respecter leurs engagements.

Si nous observons que « notre 1 % » n’est pas respecté, nous devons descendre dans la rue, le faire savoir sur les médias sociaux, avoir une page dans Le Monde, le Cameroon Tribune… dans tous les médias pour revendiquer ce dû.

Dans le cas du Cameroun par exemple, on a l’impression que les chercheurs se sont résignés…

 

J’ai envie de dire que ce n’est pas uniquement le problème des chercheurs. C’est un problème national. Beaucoup de gens se plaignent d’avoir un président depuis trente-six ans, mais on ne fait pas grand-chose. Peut-être que nous n’avons pas une culture de la contestation suffisante. Ce qui est un véritable souci car, quand nous ne sommes pas d’accord, nous devons le dire. Cela doit aller au-delà de notre intérêt individuel. Maintenant, pour le faire et avoir un impact, il faut une communauté. Est-ce que la communauté scientifique camerounaise ou africaine aujourd’hui est suffisamment soudée pour exister en tant que telle ?

Comment parler d’une voix commune sur le continent ?

 

Le principal problème des chercheurs africains actuellement est leur organisation. Nous avons créé en 2018 la Société camerounaise de microbiologie, une société savante qui a vocation à encore accueillir beaucoup de jeunes pour que nous créions un socle et que notre voix porte plus loin et plus fort.

Si, à un moment, toutes les sociétés savantes s’organisent et se coordonnent au niveau local, national, sous-régional et régional, l’impact sera différent. Quand une grande fondation comme la Fondation Dangote viendra faire une étude, nous pourrons lui dire : « Vous voulez faire une recherche, nous avons dix sites en Afrique », car le fait d’avoir ce maillage de terrain nous permettra de faire un meilleur usage des financements afin que tous les Africains accèdent à une santé de qualité.

Propos recueillis par Josiane Kouagheu

 

Sommaire de notre série « Carnet de santé »

Chaque mercredi, Le Monde Afrique propose une enquête, un reportage ou une analyse pour décrypter les avancées des soins et de la prévention sur le continent.

Source : Le Monde

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page