A Baltimore, Jenny Carrieri a loué trois panneaux publicitaires pour tenter d’obtenir des informations sur l’homme qui a tué sa jumelle en 1996.
On voit toutes sortes de messages sur les panneaux publicitaires qui jalonnent les autoroutes américaines et meublent les carrefours des centres-villes : des déclarations d’amour à Jésus-Christ, des photos d’avocats souriants spécialisés dans les accidents de la route, des vœux d’anniversaire à un parfait inconnu…
Les trois panneaux qui ont surgi il y a quelques jours dans plusieurs rues de Baltimore (Maryland) semblent, eux, tout droit sortis d’un film policier. Ce qui, d’ailleurs, n’a rien d’étonnant. Jenny Carrieri, la femme qui a acheté ces espaces, s’est directement inspirée du scénario de 3 Billboards. Les Panneaux de la vengeance, un thriller psychologique, acclamé par la critique, dans lequel l’actrice Frances McDormand se bat pour que soit élucidé le meurtre de sa fille. En installant à l’entrée de sa petite ville du Missouri trois panneaux publicitaires, dont le message constitue clairement une mise en cause de la police locale, la mère éplorée crée le chaos.
Comme l’héroïne du film, Jenny Carrieri, une quadra élégante et intarissable, est en quête de réponses et de justice. Le message inscrit sur les panneaux qu’elle loue pour 3 000 dollars par mois est clair et lapidaire : « Trouvez mon assassin, récompense 100 000 dollars. » La photo d’une jeune femme blonde, souriante, en veste noire et tee-shirt blanc complète l’injonction. Lors d’une nuit enneigée de mars 1996, la sœur jumelle de Jenny, Jody LeCornu, a été assassinée sur un parking d’un quartier nord de Baltimore, l’une des villes les plus violentes des Etats-Unis.
« Cette affaire m’obsède, elle me déchire, elle a détruit mon existence, compliqué ma vie personnelle. » Jenny Carrieri
La jeune femme sortait d’un bar, seule ; elle s’est arrêtée dans une épicerie pour acheter de la bière. Alors qu’elle avait regagné sa voiture, un homme s’est approché, lui a parlé quelques instants avant de lui tirer un coup de feu dans le dos. Elle est parvenue à rouler quelques dizaines de mètres avant de succomber. L’homme serait alors venu récupérer un objet dans la voiture de sa victime. Vingt-trois ans plus tard, Jenny Carrieri n’en sait toujours pas davantage. Et cette ignorance la mine.
« Cette affaire m’obsède, elle me déchire, elle a détruit mon existence, compliqué ma vie personnelle », confesse la mère de trois enfants, une main sur un gobelet de thé, l’autre sur son téléphone. Malgré des années de thérapie, sa quête fragilise toujours l’équilibre familial, mais elle reste déterminée à raconter son histoire au monde entier.
« Imaginez que cela touche quelqu’un qui connaîtrait une personne, qui saurait quelque chose sur le meurtre. » Comme pour justifier son obsession dévorante, elle explique : « Jody était une autre partie de moi. Elle était la forte, j’étais la trouillarde. Il faut que je trouve un moyen de guérir. » Adolescentes, les sœurs étaient passées par des phases de mal-être et d’alcoolisme, dont Jenny avait fini par se sortir.
Accentuer la pression
Pendant dix ans, jusqu’à sa mort, c’est leur père, procureur dans un comté voisin, qui a suivi les progrès de l’enquête, ou plutôt leur implacable absence. Un porte-parole de la police a reconnu récemment dans le Baltimore Sun qu’il était rare qu’un crime demeure à ce point inexpliqué. En 2006, la jumelle survivante a pris le relais, entreprenant un nombre incalculable de démarches auprès de la police, de la justice, allant jusqu’à recruter un détective privé et à contacter des prisonniers qui auraient pu avoir un lien avec l’affaire.
« Mon mari m’a dit d’arrêter de me mettre ainsi en danger. » Jenny Carrieri vient de consacrer à l’affaire « une partie de [son] héritage », portant la récompense promise à tout informateur à 100 000 dollars. Une association d’aide à la résolution des crimes, Metro Crime Stoppers, avait déjà collecté 32 000 dollars pour inciter d’éventuels témoins à parler. Sans succès.
« Plus le temps passe, plus les gens peuvent se sentir à l’aise pour parler de cette affaire. » Le porte-parole de la police de Baltimore
Chaque année, à la date anniversaire du crime, le 2 mars, l’orpheline de son double s’efforce d’attirer l’attention sur ce meurtre non résolu, mais toujours pas classé. « Il faut que je sois chaque fois plus créative. » Cette fois, le cinéma l’a inspirée. « Le personnage de Frances McDormand est si fort ! J’aimerais la rencontrer. »
Dans la vie, Jenny Carrieri n’a pas eu le droit de mettre la police en cause. Avec ses panneaux, elle espère quand même accentuer la pression sur une enquête qu’elle juge pleine de « silences et de contradictions ». Le porte-parole de la police de Baltimore a déclaré « toute aide bienvenue. Plus le temps passe, plus les gens peuvent se sentir à l’aise pour parler de cette affaire ». Quant aux 100 000 dollars de récompense, ils pourraient aider à délier les langues, veut croire Jenny Carrieri, un œil toujours rivé sur son téléphone. Au cas où.
Source : M Le Magazine du Monde – Le Monde
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