Tamara Lanier accuse Harvard de détenir illégalement et de tirer profit de photos d’esclaves dont elle se dit la descendante. Un procès qui illustre comment les universités sont rattrapées par le passé esclavagiste des États-Unis.
Aux États-Unis, les universités font une nouvelle fois face à la mémoire de l’esclavage. Tamara Lanier, Afro-Américaine, a attaqué mercredi 20 mars en justice la prestigieuse université de Harvard, qu’elle accuse de détenir illégalement des photos de deux esclaves dont elle assure être la descendante, et d’en tirer profit.
Au centre de la polémique, des daguerréotypes [premier procédé photographique produisant des images sans négatif sur une surface d’argent] de 1850 redécouverts en 1976 et conservés dans un musée de Harvard. Ce sont les premières photographies d’esclaves afro-américains connues. On y voit, torse nu et sous plusieurs angles, 13 esclaves de Caroline du Sud. Parmi eux, un homme, Renty, et sa fille Delia, dont la plaignante dit être la descendante.
C’est un biologiste helvético-américain de Harvard, Louis Agassiz (1807-1873), dont les théories sur la soi-disant infériorité raciale des Noirs ont servi de justification à l’esclavage, qui est à l’origine de ces clichés déshumanisants. L’homme était à l’époque un scientifique à la renommée mondiale. Mais ses travaux sont aujourd’hui complètement invalidés. Il s’opposait en effet à la théorie de l’évolution de Darwin et souscrivait au polygénisme, théorie selon laquelle les races humaines proviendraient de souches différentes.
« Exploitation honteuse »
Les photos qu’il a commandées ont d’ailleurs été publiées un mois plus tard dans un article intitulé « La diversité de l’origine des races humaines ». « Pour Agassiz, Renty et Delia n’étaient rien de plus que des spécimens de recherche », peut-on lire dans la plainte de 24 pages, qui accuse l’universitaire d’avoir forcé les deux sujets à « participer à un exercice dégradant, visant à prouver leur propre statut de sous-humain ».
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Pour Tamara Lanier, Louis Agassiz n’avait aucun droit légal sur ces photos prises sans le consentement des deux sujets. Il ne pouvait donc en transmettre la propriété à Harvard, qu’elle accuse d’avoir à son tour « exploité honteusement » ces clichés, notamment lors d’une conférence, en 2017. Elle s’insurge aussi contre le coût « significatif » des droits de reproduction des images demandés par l’université, ou contre le prix d’un livre, 40 dollars, sur lequel son ancêtre Renty figure en couverture.
Tamara Lanier annonce avoir entendu parler de celui qu’elle appelle « Papa Renty » depuis toute petite grâce à l’histoire orale de sa famille, transmise par sa mère. Elle affirme qu’il est son arrière-arrière-arrière grand-père, selon une généalogie qu’elle dit avoir vérifiée auprès d’un spécialiste reconnu. Elle assure avoir contacté Harvard plusieurs fois depuis 2011 afin de récupérer ces photos, sans succès.
« Renty a le droit de posséder son image »
Tamara Lanier s’est donc tournée vers la justice pour réclamer à l’établissement qu’il reconnaisse sa filiation avec Renty, qu’il lui restitue les photos dont elle estime être la seule propriétaire, et qu’il lui paye des dédommagements. « Renty a le droit de posséder son image, affirme Benjamin Crump, l’avocat de la plaignante. Il a été un esclave pendant 169 ans, mais, avec ce procès, nous avons voulu nous assurer qu’il ne l’était plus. »
Tamara Lanier demande aussi à Harvard de reconnaître sa responsabilité dans l’humiliation de Renty et de Delia, et d’admettre sa « complicité » dans la « perpétuation et la justification de l’esclavage ». « Pendant des années, les maîtres esclavagistes de Papa Renty ont profité de sa souffrance. Il est temps qu’Harvard cesse de faire de même avec notre famille », a-t-elle affirmé au quotidien USA Today.
Ces dernières années, les universités américaines tentent de faire face à leurs responsabilités dans l’histoire de l’esclavage. En 2016, l’ancienne présidente d’Harvard Drew Faust a affirmé que l’université était « directement complice » de l’esclavage jusqu’à son abolition dans l’État du Massachusetts en 1783. Elle a ajouté que l’établissement était ensuite resté « indirectement impliqué à travers des liens financiers et autres » dans l’esclavage dans le sud du pays.
Pour Tamara Lanier, ces déclarations ne suffisent pas. Elle rappelle qu’une rue de Cambridge, ville où se trouve Harvard, porte toujours le nom du biologiste raciste, tout comme le théâtre de l’établissement, nommé « Agassiz House ». Si ce procès ébranle le monde universitaire, la plaignante espère qu’il réveillera le pays tout entier : « C’est une affaire importante, car elle va tester le climat moral de ce pays et le forcer à faire face à sa longue histoire de racisme. »
Pour l’heure, le porte-parole de l’université de Harvard, Jonathan Swain, s’est refusé à tout commentaire.
Source : France 24
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