Marocains et musulmans de naissance, ils se sont convertis au catholicisme (TÉMOIGNAGES)

RELIGION – Le Maroc est connu pour être riche d’un dialogue inter-religieux où musulmans, juifs et chrétiens, mosquées, synagogues et églises se côtoient. La visite du pape François, attendu les 30 et 31 mars prochain à Rabat, ira dans le sens de cette notion de vivre-ensemble. En témoigne la messe géante ouverte à toutes les confessions qui aura lieu au complexe sportif Prince Moulay Abdallah dans la capitale. Un peu plus tôt, à la Tour Hassan, le pape rencontrera ses fidèles catholiques en compagnie du roi Mohammed VI. Ils sont principalement originaires d’Afrique subsaharienne ou d’Europe. Mais parmi eux, on trouve aussi quelques Marocains. Musulmans de naissance du fait de leur nationalité, ils ont choisi de suivre une autre voie spirituelle.

 

La plupart des Marocains convertis font partie de la communauté chrétienne protestante du royaume qui compterait environ 10.000 fidèles, toutes nationalités confondues. Dans l’Église catholique, une communauté qui rassemblerait près de 20.000 personnes dans tout le royaume, ils ne seraient que 6 ou 7 Marocains, hommes et femmes confondus, nous raconte Zakaria*, un Marocain d’une quarantaine d’années, confirmé dans l’Église catholique en 2010. “Ils sont très peu. Leurs personnalités, parcours et circonstances varient énormément, donc il est difficile de dessiner un portrait du Marocain catholique ‘typique’”, souligne-t-il. L’archevêque de Rabat, Mgr Cristóbal López Romero, confiait ne les avoir, pour sa part, jamais rencontrés. “La plupart ont été baptisés à l’étranger et sont venus ensuite chez nous”, racontait-il lors de la conférence de presse tenue début mars en préparation de la visite du pape François, avouant qu’il était parfois difficile pour eux de vivre pleinement leur foi au Maroc.

A quelques jours de l’arrivée du chef de l’Église catholique, le HuffPost Maroc a donné la parole à deux Marocains convertis au catholicisme – qui ont demandé à conserver l’anonymat. Comment vit-on sa foi en tant que Marocain converti? Sont-ils réellement libres d’exercer leur nouvelle religion?

Parcours spirituel

 

Pour Zakaria et Youssef*, le cheminement vers le catholicisme s’est construit pendant plusieurs années. Zakaria vivait sa foi chrétienne depuis longtemps avant sa confirmation. “Ce n’était pas une conversion soudaine, mais un parcours de mûrissement spirituel qui est passé par plusieurs étapes, dit-il. Je suis d’abord chrétien avant d’être catholique. La vie sacramentelle du catholicisme et sa théologie particulière répondent à mes besoins spirituels mieux que d’autres traditions chrétiennes, et non chrétiennes, que je respecte, et qui ont aussi nourri certains aspects de ma foi”. Il y a 9 ans, il se fait confirmer par l’Église -dans un pays occidental où il faisait ses études-, deuxième sacrement sur le chemin de la foi chrétienne. Par ce geste, “le lien des baptisés avec l’Église est rendu plus parfait”.

Youssef est catholique depuis maintenant 25 ans. “Beaucoup de choses m’ont poussé à me poser certaines questions: comment être en harmonie avec moi-même, avec l’autre, avec Dieu, sans contradiction. Comment être entier aussi, et c’est ça le sens de la paix pour moi”, nous raconte-t-il. Un jour, dans le Coran, il lit un passage à propos de Jésus-Christ, considéré par les chrétiens comme le fils unique de Dieu et comme le messie. “C’est quelqu’un qui m’a attiré. Ce que j’ai lu m’a poussé à vouloir plus le connaître”. A l’époque, difficile de se renseigner. Internet n’existe pas et la liberté de conscience et religieuse n’est pas réellement appliquée au Maroc. Youssef commande l’Évangile depuis l’extérieur et le reçoit par la poste. Aujourd’hui, “j’ai trouvé la paix que je cherchais. Vivre dans la spiritualité à partir du discours de Jésus-Christ m’a vraiment éclairé et cela m’a donné l’occasion de trouver le sens de la vie, et de l’Autre”, assure-t-il.

Chemin de croix

 

Si Youssef a trouvé la paix intérieure, son parcours de catholique au Maroc n’a pas vraiment été facile. “Les autorités ont découvert que j’avais reçu les Évangiles et les livres pour mes recherches personnelles. Elles sont venues me chercher à la maison pour une enquête”, nous confie-t-il. Il ne parlera pas en détail de ce qui s’est passé, les souvenirs étant trop difficiles à raconter. Mais c’est à ce moment-là que sa famille a appris sa conversion. “Ma famille et mes amis m’ont rejeté. Comme si j’étais un traître. Cela m’a fait beaucoup de peine parce que, tout ce que je cherchais, c’était la paix. On dit ‘Assalamu alaykum’ (‘que la paix soit sur vous’), et c’est tout ce que je voulais”. Aujourd’hui, il va rarement à la messe. Et quand il y va, ce n’est généralement pas dans la même ville.

Pour Zakaria, les choses ont été plus simples. “Je l’ai annoncé plus tard à des membres de ma famille quand la question s’est posée. Généralement nous n’en parlons pas beaucoup. J’ai grandi dans une famille qui n’est pas particulièrement religieuse. Les membres de ma famille qui savent que je suis de foi chrétienne respectent pleinement mes choix, et savent que je respecte les leurs”, souligne-t-il. Il va souvent à la messe et participe pleinement à la vie de l’Église. Mais ce n’est pas le cas pour tous les Marocains catholiques. “Je suis parfois interrogé par la police à l’entrée de telle ou telle église, pour des raisons sécuritaires, car on n’est pas habitué à voir des Marocains aller dans les églises tous les jours. Mais je connais plusieurs Marocains chrétiens et non chrétiens qui disent avoir été arbitrairement empêchés d’accéder aux églises par la police pour nul autre motif que celui d’être des citoyens marocains”, reconnaît-il.

Une pression politique ou religieuse?

 

Arrestations et interdictions d’accès aux églises sont alors une réalité pour les Marocains convertis. La contrainte va même jusqu’à l’interdiction du mariage ecclésial et des rites funéraires chrétiens, révèle Zakaria. “L’État marocain exerce d’énormes pressions sur les églises officielles pour qu’elles ne rendent pas service aux Marocains chrétiens dans ce sens”, assure-t-il.

Est-ce l’islam ou la loi qui justifient ces faits? “Dans le Coran, il n’y a pas de verset qui prévoit une sanction par rapport à l’apostasie puisqu’il y a un verset qu’on retient systématiquement et qui dit: ‘il n’y a pas de contrainte dans la religion’, souligne au HuffPost Maroc Mohammed El Mahdi Krabch, imam et juriste installé dans le sud-est de la France. “Le Coran l’emporte sur le hadith qui traite l’apostasie et ce dernier concerne un cas particulier: les espions à l’époque du prophète qui prennent la conversion comme stratégie d’infiltration au sein des musulmans. C’était au VIème siècle”, rappelle-t-il.

Pour l’imam, on ne peut pas contraindre quelqu’un d’embrasser la religion puisque c’est à la personne de s’engager librement et sans contrainte. “Il faut définir les gens en fonction de leur citoyenneté et non selon la religion. Cela est la caractéristique d’une société plurielle et tolérante”, estime-t-il. “La conviction intime de la personne est une démarche personnelle qui doit être sincère avec le seigneur d’où l’importance de la liberté de conscience. La contrainte crée forcément l’hypocrisie”. Cette liberté de conscience est garantie dans la Constitution marocaine. Dans les faits, un Marocain, musulman par défaut, qui se convertit à une autre religion ne devrait alors pas rencontrer de problème pour exercer sa religion librement.

Au niveau législatif, l’apostasie n’est pas un choix condamnable dans la loi marocaine. En 2015, l’ancien ministre de la Justice Mustapha Ramid rappelait qu’“aucun texte de loi ne condamne l’apostasie dans la mesure où le Maroc applique le principe de celui qui veut être pieux le soit et que celui qui ne le veut pas le soit”, rapportait TelQuel. Mustapha Ramid rappelait que seul le prosélytisme est puni par la loi. L’article 220 du Code pénal punit en effet d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois ans de prison “quiconque emploie des moyens de séduction dans le but d’ébranler la foi d’un musulman ou de le convertir à une autre religion, soit en exploitant sa faiblesse ou ses besoins, soit en utilisant à ces fins des établissements d’enseignement, de santé, des asiles ou des orphelinats”.

Pourtant, en avril 2018, un chrétien marocain se faisait interpeller à Rabat après une fouille suite à laquelle les autorités avaient découvert et confisqué des ‘livres’ qu’il avait en sa possession: un Évangile et quatre ouvrages religieux. Il avait été relâché 24 heures après son arrestation, n’ayant pas commis d’actes répréhensibles par la loi. Mais pour son avocat, c’était bien “un mobile religieux” qui avait justifié cette arrestation.

La visite du pape pour aborder la question?

 

La visite du pape, ces 30 et 31 mars, sera-t-elle l’occasion d’aborder la question de la liberté de conscience et religieuse, qui ne sont pas encore réellement acquises? Zakaria l’espère. “Nous ne cherchons pas de reconnaissance particulière, mais le droit de vivre notre foi en citoyens égaux à part entière. La liberté religieuse est indispensable pour l’épanouissement global de notre pays. Je crois que ça arrivera un jour ou l’autre. On verra si cette visite papale animera chez nos dirigeants la volonté politique nécessaire à cette fin, ou si elle se déroulera comme une simple parade de l’hospitalité marocaine”.

Youssef, lui, attend cette visite en tant que citoyen marocain et citoyen du monde. “J’espère que cette visite sera l’occasion d’aborder une volonté de travailler ensemble pour la paix et la prospérité de l’humanité. Chaque Marocain, quelle que soit sa religion, sa conviction, ses croyances, doit avoir la volonté de vivre dans cet amour de l’autre, pour l’autre, pour bâtir un monde de paix”.

*Les prénoms ont été modifiés 

Camille Bigo
HuffPost Maroc

Source : HuffPost Maroc

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