Les œufs riment-ils avec «dangereux» ?

LA SCIENCE DANS SES MOTS / Le Journal de l’Association médicale américaine (JAMA) a publié la semaine dernière une étude portant sur 29 000 personnes suivies pendant plus de 17 ans en moyenne, et qui concluait que pour chaque moitié d’œuf consommée quotidiennement, le risque mortalité causée par des maladies cardio-vasculaires augmente d’environ 6 %. Les résultats de l’étude suggèrent que cet effet s’explique par le cholestérol contenu dans les œufs. Voici ce qu’avait à en dire le statisticien Kevin McConway, de l’Open University.

«C’est une bonne étude, menée de façon prudent et qui utilise des méthodes statistiques appropriées. Les résultats s’appuient sur un vaste échantillons. Mais elle n’est même pas proche de répondre à toutes les questions entourant le liens entre les œufs, le cholestérol et les taux de mortalité.

«Un problème fondamental qu’ont toutes les études de ce type est qu’elles ne peuvent pas déterminer qu’est-ce qui cause quoi, seulement donner des indices. C’est parce que, par exemple, il y a de nombreuses différences entre les gens qui mangent beaucoup d’œuf et ceux qui en consomment moins. Ces différences-là peuvent être ce qui explique les taux de mortalité des gens qui mangent beaucoup d’œufs, et n’avoir rien à voir avec les œufs eux-mêmes. Les auteurs de l’étude mentionnent que cela a été un problème dans plusieurs travaux antérieurs, et que cela pourrait la raison pour laquelle ils ont obtenu des résultats contradictoires. Ces auteurs ont fait des efforts considérables pour mesurer l’effet de ces autres différences, mais ils admettent, avec raison, que leur nouvelle étude n’est pas complètement immunisée à ces problèmes (nommés facteurs confondant résiduels), et qu’il est impossible de conclure sur la base de leur article que manger des œufs, ou consommer plus de cholestérol, est à l’origine de l’augmentation du risque de décès cardio-vasculaires et des décès toutes causes confondues qu’ils ont observée.

«Il est aussi important de souligner que les associations qu’ils ont découvertes ne sont pas très fortes, de manière générale — les auteurs eux-mêmes les décrivent comme «modestes». Par exemple, ils rapportent que chaque demi-œuf consommé quotidiennement en moyenne accroît le risque de décès de toutes causes de moins de 2%. Ce qui demande des explications supplémentaires. D’abord, l’augmentation concerne le risque de mort sur la période maximale de suivi, qui était de plus de 30 ans. Imaginez 100 personnes dans les cohortes étudiées ici. Elles n’ont pas toutes été suivies pendant 30 ans, mais un calcul approximatif à partir des chiffres de l’étude indique qu’environ 38 d’entre elles seraient décédée sur une période de 30 ans. (Et c’est sans doute même une sous-estimation parce que 30 ans est une longue période et que les sujets de l’étude n’étaient pas jeunes.) Alors si toutes ces personnes avaient mangé une moitié d’œuf de plus par jour pendant 30 ans, le nombre de décès aurait été de 40 au lieu de 38. Oui, c’est une augmentation, et on ne peut même pas être certain que ce sont les œufs ou le cholestérol qui sont en cause.

«De même, une moitié d’œuf par jour peut sembler une petite quantité, mais le fait est que c’est la consommation moyenne aux États-Unis, alors si tout le monde en prenait une moitié de plus quotidiennement, cela doublerait la consommation actuelle.

«Et il y a une couple d’autres raisons d’interpréter ces résultats avec prudence — toutes deux mentionnées clairement par les auteurs eux-mêmes. La première, c’est que [l’étude en question est une méta-analyse qui a pris les données de 6 études antérieures et qui les a rassemblées], que la consommation d’œufs n’a pas été mesurée de la même manière dans toutes ces études et que, plus important, elle n’a été mesurée qu’une seule fois. Les gens peuvent avoir changé leurs habitudes alimentaires de bien des manières au cours du suivi, qui s’est étiré en moyenne pendant 17,5 ans, et jusqu’à un maximum de 30 ans. (Il faut garder à l’esprit que les lignes directrices américaines sur la consommation d’œufs ont changé pendant cette période, et que cela a pu influencer certains des participants à ces études.) Alors ces résultats sont informatifs, à certains égards, sur les États-Unis, mais les choses sont différentes dans d’autres pays, qui ont des patterns différents d’alimentation et de maladie.

«Rien de tout cela n’implique que c’est une mauvaise étude — au contraire, elle est très bonne statistiquement, du moins à mes yeux. Mais cela renforce l’idée que c’est là un champs de recherche difficile et qu’aucune étude ne va à elle seule tout régler. La meilleure manière de procéder est de regarder systématiquement plusieurs études différentes menées dans différents contextes (pays, durée, etc.). Cela va éventuellement être fait.»

Ce texte est d’abord paru sur le site du Science Media Centre britannique. Traduit et reproduit avec permission.

«La science dans ses mots» est une tribune où des scientifiques de toutes les disciplines peuvent prendre la parole, que ce soit dans des lettres ouvertes ou des extraits de livres.

Kevin McConway
Professeur émérite de statistique appliquée, Open University
Source : Le Quotidien
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