« La ruée actuelle vers l’Afrique se lit d’abord dans les statistiques du commerce »

Chronique. Loin du « grand débat national », Emmanuel Macron a sillonné l’Afrique de l’Est cette semaine, de Djibouti au Kenya, en passant par l’Ethiopie. Certains noteront qu’il s’agit de son premier long périple à l’étranger depuis l’explosion de la crise des « gilets jaunes ». D’autres, qu’il effectue là son dixième voyage en Afrique depuis son élection. D’autres, encore, qu’il a choisi, avec l’Ethiopie et le Kenya, deux destinations jamais visitées depuis cinquante ans par un président français. Il s’y est rendu escorté d’une délégation d’entreprises tricolores, priées de s’intéresser à cette zone non francophone, où elles font figure de Petit Poucet.

 

Quel que soit l’angle retenu, le signal est clair : l’Afrique compte pour la France. Toute l’Afrique et pas seulement ses anciennes colonies. Rien de surprenant dans cet activisme, à l’heure où le continent suscite une vague d’intérêt planétaire. De la Chine à la Russie, de l’Inde à la Turquie, du Brésil à l’Indonésie, toute une série de grands pays émergents confortent leurs positions dans cette région du monde autrefois dominée par l’Europe et les Etats-Unis.


« Le nouveau partage de l’Afrique », résumait en couverture, le 8 mars, l’hebdomadaire britannique The Economist. Une allusion à la compétition que se sont livrées les grandes puissances à l’époque coloniale, puis lors de la guerre froide. La ruée actuelle est d’un autre ordre et se lit d’abord dans les statistiques du commerce. La Chine est devenue le premier partenaire commercial de l’Afrique dès 2009. Depuis le début du millénaire, ses échanges avec ce continent ont été multipliés par près de vingt.

Mais il n’y a pas que le géant asiatique. Les importations africaines depuis l’Indonésie, la Russie, la Turquie ont crû respectivement de 107 %, 142 % et 192 % entre 2006 et 2016, selon la Brookings Institution. Dans le même intervalle, celles en provenance des Etats-Unis n’augmentaient que de 7 %… Washington n’est d’ailleurs plus que le troisième partenaire commercial de l’Afrique, devancé par l’Inde. Quant à la France, elle s’est retrouvée reléguée, en une décennie, de la troisième à la septième place.

Economie, stratégie et diplomatie

 

L’investissement direct étranger (IDE) vient encore majoritairement des Etats-Unis, de Grande-Bretagne et de France, mais le stock de ces trois pays fait du surplace, tandis que Pékin progresse à pas de géant. Ses IDE en Afrique sont passés de 16 à 40 milliards de dollars (14 à 35,5 milliards d’euros) entre 2011 et 2016. Ports, voies ferrées, zones industrielles : dans les pays visités par Emmanuel Macron, les chantiers pilotés par les entreprises des pays émergents ont poussé, ces dernières années, comme les champignons après la pluie.

La mobilisation n’est pas seulement économique. Elle est aussi stratégique et diplomatique. Témoin, le foisonnement des bases militaires à Djibouti, où le contingent historique des Français est désormais concurrencé par celui des Américains, des Japonais, des Chinois surtout, et bientôt des Saoudiens.

« Cette ardeur des pays émergents pour l’Afrique a pris l’Occident au dépourvu »

Faut-il encore souligner, comme The Economist, qu’entre 2010 et 2016 plus de 320 ambassades étrangères ont ouvert sur le continent. La Turquie en a inauguré 26 à elle seule. Quant à l’Inde, elle a annoncé en 2018 prévoir 18 nouvelles missions diplomatiques. Cette ardeur pour l’Afrique a pris l’Occident au dépourvu. Elle a dessillé les yeux de ceux pour qui le continent rimait seulement avec élections truquées, guerres, épidémies et racket fiscal.

Les problèmes existent toujours, mais le potentiel est là. En 2018, sur les dix économies ayant enregistré la croissance la plus rapide dans le monde, six étaient africaines. En même temps que sa population croît – 2,5 milliards d’habitants attendus en 2050 –, une nouvelle classe de consommateurs émerge. L’urbanisation est galopante. Le marché du mobile explose. Enfin, l’Afrique reste une terre à équiper, dans les infrastructures de transport, le traitement des eaux, l’électricité ou l’industrie agroalimentaire. Dotée d’atouts historiques, la France a une carte à jouer. Et un partenariat à réinventer avec ce futur géant démographique dont le destin lui est irrémédiablement lié.

Marie de Vergès

Source : Le Monde

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