Le Burkina Faso, hôte et sujet d’inquiétude du sommet du G5 Sahel

Le pays, confronté à une crise sécuritaire d’une ampleur inédite, prend la présidence de la force spéciale antiterroriste regroupant cinq Etats de la région.

Depuis quelques jours, les couloirs de la salle des conférences du quartier huppé de Ouaga 2000 voient défiler un bataillon d’experts de haut rang et de diplomates sahéliens pressés. Autour, les forces de sécurité burkinabées font le guet. « On est conscient qu’on est une cible, mais pas le choix », glisse un policier, gilet pare-balles sur le dos. C’est ici, à Ouagadougou, capitale trois fois meurtrie par des attentats en trois ans, que se tient le cinquième sommet des chefs d’Etat du G5 Sahel, qui regroupe la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad.

 

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Ce mardi 5 février, le Burkina Faso prend officiellement la présidence de la Force conjointe, et ce alors que le pays est confronté à une crise sécuritaire d’une ampleur inédite. Certains ont encore en tête l’attentat du 2 mars 2018 contre l’ambassade de France et l’état-major des armées, en pleine réunion relative au G5 Sahel. « Cela nous a montré que les groupes pouvaient s’attaquer à des cibles d’envergure. La présidence burkinabée du G5 risque d’exposer encore plus le pays », s’inquiète une source sécuritaire. Officiellement pourtant, l’assurance est de mise. « Toutes les dispositions ont été prises pour sécuriser l’événement », assure-t-on au sein de l’organisation.

« Un nouveau départ »

 

Les enjeux du sommet sont de taille. Deux ans après son lancement, la Force conjointe du G5 Sahel peine toujours à se mettre en place et les groupes terroristes gagnent du terrain dans certaines zones. « Nous devrons donner une nouvelle impulsion à la force et entrer dans le temps de l’action, avec le redémarrage des opérations militaires. Ce sera un nouveau départ », promet Gilbert Zongo, le coordonnateur national des actions du G5 Sahel au Burkina.

 

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Il s’agit notamment de rebondir après la destruction du quartier général de la Force conjointe, frappé par un attentat-suicide le 29 juin 2018 à Sévaré, au Mali, suspendant de facto les opérations. « La Force conjointe a été touchée en son cœur, le poste de commandement a dû être transféré à Bamako, dans des locaux provisoires non adaptés. La relève des effectifs, fin octobre, a ralenti la reprise opérationnelle. L’affectation il y a quelques semaines d’une structure temporaire permettra sans doute de lancer une nouvelle dynamique, mais qui reste fragile », analyse Nicolas Desgrais, doctorant sur la coopération militaire au Sahel à l’université du Kent, au Royaume-Uni.

Depuis le 15 janvier, les opérations ont repris : trois ont été menées sur les fuseaux centre, ouest et est. « Et elles vont se poursuivre, affirme le nouveau commandant de la Force conjointe, le Mauritanien Hanana Ould Sidi. Nous sommes en train d’étudier les moyens les mieux adaptés, les plus pertinents, pour une coopération plus forte entre les forces armées et de sécurité nationales et la Force conjointe. »

Manque de financements

 

Mais sur le terrain, les soldats manquent toujours d’équipements de protection et de véhicules blindés. « De fortes lacunes en matière de formation et de capacités, l’absence de bases opérationnelles sûres et fortifiées et le manque de fonds persistent et ralentissent le déploiement et l’équipement des contingents », a pointé le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, dans un rapport remis au Conseil de sécurité le 12 novembre 2018.

Selon nos informations, la force spéciale, qui doit atteindre à terme une capacité de 5 000 militaires, serait opérationnelle à 75 %. Problème : avec des besoins estimés à 423 millions d’euros pour 2019, le G5 Sahel bute encore sur un manque de financements. Sur les 414 millions d’euros de contributions annoncées par la communauté internationale en février 2018, près de 160 millions n’ont toujours pas été versés. « Un nouveau dispositif permettant d’accélérer la mise à disposition des fonds est en place, le décaissement devrait se faire dans les semaines à venir », assure un expert. « Nous attendons que les partenaires tiennent leurs promesses », rappelle Gilbert Zongo.

Le secrétaire permanent du G5 Sahel, Maman Sambo Sidikou, tempère : « Je comprends l’impatience, mais on y arrive. Le terrorisme est un phénomène mondial, mais on demande aux pays sahéliens, dont nous connaissons les moyens limités, de faire le travail des autres. » Le diplomate nigérien rappelle qu’il n’y aura pas de sécurité sans développement : « Il faut que les populations sentent que les Etats sont à leurs côtés. C’est l’objectif de notre programme d’investissement prioritaire, dont la première phase doit débuter cette année : renforcer la sécurité alimentaire, l’accès à l’eau et la construction de nouvelles infrastructures. »

 

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« Maillon faible »

 

Il y a urgence. Au Burkina Faso, les forces de défense peinent à contenir la montée de la menace terroriste. Dans le nord, et plus récemment dans l’est et le sud-ouest du pays, les assauts se sont multipliés ces derniers mois. Depuis 2015, 324 attaques djihadistes ayant causé la mort de plus de 340 personnes ont déjà été recensées par l’ONG Armed Conflict Location and Event Data Project. Lundi, quatorze civils ont été tués à Kain, dans le nord.

« Ces attaques semblent indiquer que des groupes terroristes se sont établis […] au-delà des zones d’opérations principales des forces armées internationales et des pays membres du G5 Sahel », souligne Antonio Guterres dans son rapport de novembre. « La Force conjointe devra intervenir davantage sur toutes les zones frontalières des pays du G5. Les opérations dans l’est du Burkina, près de la frontière nigérienne, seront probablement renforcées », confie un expert du G5 Sahel.

 

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En coulisses, certains analystes s’interrogent : comment le Burkina Faso, nouveau « maillon faible » de la région, parviendra-t-il à ranimer cette force spéciale antiterroriste ? En ce début d’année, le pays encaisse déjà les coups : conflits intercommunautaires, attaque de la base militaire de Nassoumbou (le 28 janvier, dans le nord), démission du gouvernement et limogeage du chef d’état-major des armées ont marqué l’actualité. « Le Burkina ne sera pas seul, assure Gilbert Zongo. Nous sommes cinq pays solidaires et chacun essaie de s’engager comme il peut. Au contraire, je pense que cette présidence peut servir de tribune pour attirer l’attention sur les questions prioritaires et trouver les solutions. »

Sophie Douce

(Ouagadougou, correspondance)

 

 

Source : Le Monde

 

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