Point de trêve en cette nouvelle année 2019 pour les Peuls au Mali, les exactions continuent de plus belles. En cette nuit du 1er au 2 janvier 2019, un village Peul a été décimé. Pas moins de 37 meurtres et une vingtaine de blessés sans compter les portés disparus. Telle est la situation qui prévaut depuis 2012 avec un pic des assassinats ciblés durant l’année 2017 et 2018.
Victimes d’une chasse aux sorcières, qui se nourrit de la supposée prédisposition de ces derniers à rallier la cause djihadiste, les Peuls du Mali, particulièrement ceux vivant au Centre du pays, subissent des assauts meurtriers qui rappellent les pages sombres de l’histoire d’un continent qui n’arrive pas encore à domestiquer les contradictions comme cela se ferait dans un Etat démocratique.
Que ces expéditions macabres soient l’œuvre de Dogons, de Dozos ou autres groupes d’attaques ou d’autodéfense, la réalité est que ceux qui se font tuer sont des Peuls !
La réalité est que se sont les Peuls qui sont des victimes. Et affirmer cela n’est pas une forme de victimisation outrancière, non ! C’est juste une façon d’alerter avant d’arriver au point de non retour.
Au delà de la présupposée lutte contre le terrorisme et de la volonté d’entretenir des amalgames douteux entre le chef djihadiste Amadou Koufa (qui est Peul) et le reste de cette population paisible, il y a d’autres considérations et préjugés ancrés dans l’inconscient de certaines populations faisant des Peuls leur bouc émissaire.
Par ailleurs, à cela, il faut ajouter comme facteurs d’exacerbation des conflits communautaires, autant les questions économiques, politiques, sociales et écologiques. La non convocation de ces différents facteurs dans l’étude de cette question risque de fausser l’analyse qui en découle.
Une défaillance étatique sans précédent
Que reste-t-il du Mali et de ses institutions en dehors de la capitale et de quelques grandes villes ? La réponse est, absolument rien !
Le Mali en tant qu’État moderne est fantomatique, le Mali en tant nation est disloqué plus que jamais !
De crises en crises, les institutions maliennes de sécurité laissent place à des milices privées ou communautaires d’autodéfense. À chaque fois que l’autorité de l’Etat est malmenée, il se replie laissant l’espace à différents groupes, qu’ils soient djihadistes ou d’autodéfense.
Face à l’incapacité de l’Etat à répondre aux doléances de tous, de micros structures s’organisent autour des communautés pour défendre les leurs.
L’absence d’un des éléments constitutifs d’un État, à savoir le pouvoir de coercition, c’est à dire l’usage de la violence légitime, qui contribue à la garantie sécuritaire des citoyens, finira, si l’Etat ne se rebiffe pas, à saper les bases du vivre ensemble.
Il y a aujourd’hui au Mali un transfert du pouvoir sécuritaire à des milices sous le regard, au moins impuissant et au mieux complice, de l’Etat, de son armée, de sa police et de sa gendarmerie, ou de ce qui en reste.
Une impunité qui couve sur une forme de complicité
L’impunité dont jouissent les groupes qui s’adonnent à des exécutions sommaires, que certains qualifient de génocide, interroge aussi bien sur le rôle des institutions étatiques et de ceux qui les contrôlent.
Malgré les promesses de l’état malien, aucune enquête n’est menée, aucun auteur identifié, aucun commanditaire inquiété.
Des exactions en masses par dizaine, il y’en a par intermittence mais des coupables jamais !
Cette injustice contribue à creuser le fossé béant existant déjà entre les populations Peuls et l’Etat malien.
La responsabilité de l’Etat est engagée par son inaction. Une inaction qui nourrit les rumeurs d’une complicité de l’Etat et ses démembrements.
En parallèle de cette responsabilité première de l’Etat, il y a ce silence assourdissant de l’élite intellectuelle malienne dans son ensemble.
Face au crépitement des balles de kalachnikovs, face à la violence des coups de machettes, on entend à peine les gémissements et les vociférations des intellectuels maliens ou de sa société civile.
Génocide ou pas il faut sévir !
Les exactions extrajudiciaires, la découverte de charniers et autres crimes de masses qui ont lieu au Centre du Mali, permet à certains de faire état d’un génocide en gestation. L’emploi de ce qualificatif est souvent sujet à polémique dressant les uns contre les autres, ne permettant plus un débat serein sur le fond de la question.
Sans rentrer dans l’interprétation juridique qui permettrait ou non de retenir ce qualificatif et les conséquences qui en découlent, on peut au moins s’accorder sur un fait, sur une réalité, celle d’exactions ciblées.
Oui il y’a des exactions de masse et des exactions ciblées. La cible de ces exactions est un groupe ethnolinguistique – à savoir les Peuls-, et l’appartenance ou la supposée appartenance à ce groupe, vous expose au meurtre. D’autant qu’on entretient sciemment des amalgames entre les terroristes qui sévissent dans cette zone du Centre du Mali et le groupe ethnolinguistique des Peuls afin de justifier ces meurtres de masse.
Le Mali, qui jadis a connu ces violences communautaires et son lot de revendications identitaires au Nord, ne doit pas laisser germer les bases d’un autre conflit communautaire au Centre.
Confronté à des problèmes multiformes, le Mali est par ailleurs enclavé dans une zones géographique – la bande sahélo-saharienne – qui fait face à des défis énormes. Le fait qu’il partage pas moins de 7 420 Km de frontières avec sept pays limitrophes exige une réponse collective, allant de la bonne volonté de l’Etat malien en passant par le G5 Sahel, la CEDEAO, l’Union africaine et les autres mécanismes traditionnelles de règlements des conflits.
On doit en profiter pour mettre à l’épreuve nos institutions sous régionales afin de légitimer leurs existences.
Diallo Saidou Dit Thierno
Kassataya
04/01/2019
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