En sa qualité de vice président de Tabital Pulaagu International, Diallo Daouda Samba nous a accordé une interview exclusive un an jour pour jour après la tenue des Journées Internationales de la Vache (18 -20 décembre 2017) à Nouakchott dont il était le président du comité de pilotage.
Ce haut cadre de l’administration publique mauritanienne qui a gravi tous les échelons de l’administration est aussi à l’aise dans les lieux de prises de décisions à Nouakchott qu’avec les éleveurs des différents hameaux qui constituent son village natal Maghama.
Très jeune Diallo Daouda Samba qui est engagé dans les associations culturelles Peuls considère que l’engagement politique en est le prolongement et qu’on ne peut les dissocier.
L’homme au bonnet bleu revient sur cet entretien aussi bien sur la JIV que sur la situation qui prévaut au Mali.
Il y’a de cela un an se tenait à Nouakchott, la Journée culturelle des Peuls, dite Journées Internationales de la Vache (JIV), qui était une rencontre des Peuls du monde entier. Pouvez-vous revenir sur cet événement ?
Je vous remercie de me donner l’occasion, un an après de remercier l’ensemble des parties prenantes qui ont contribué à la réussite de ce rendez-vous continental. Mes remerciements vont à l’endroit des autorités publiques mauritaniennes, particulièrement au président de la République son excellence Mohamed Ould Abdel Aziz et à l’ensemble du gouvernement.
Mais vous concèderez avec moi qu’il ne pourrait y avoir la réussite d’un tel événement sans l’implication de l’ensemble des Peuls de Mauritanie qui sont venus de toutes les régions du pays répondre à l’appel de Tabital Pulaagu International (TPI), qui est une association culturelle entre autres.
L’événement de Nouakchott était d’une ampleur inégalée, avec 23 délégations africaines et une quinzaine de la Diaspora qui pendant 3 jours ont fait de Nouakchott, la capitale du Pulaagu.
Quelles étaient les finalités de cette rencontre ?
Il était question ici, non seulement, de magnifier le Pulaagu trois jours durant mais aussi de s’interroger et trouver des pistes de solutions sur les préoccupations de Peuls au niveau économique, social et sécuritaire.
Vous savez, les Peuls sont de grands éleveurs qui traversent les frontières modernes, en transhumance, derrière leurs troupeaux, au gré des aléas climatiques à la recherche de pâturages et de points d’eaux. Cette absence de notion de frontières chez les éleveurs en transhumance transfrontalière entraine des conséquences juridiques souvent désastreuses.
C’est ainsi que nous réfléchissons sur la prévention des conflits qui pourraient en découler. Car aujourd’hui la gestion et le partage de l’espace vital et commercial dans la bande sahélo-saharienne est un défi pour les Etats modernes.
L’un des objectifs était de nous réunir et de discuter des défis auxquels la communauté Peuls est confrontée dans un espace mondialisé et ouvert. On y a évoqué la question de la transmission de nos cultures, de notre langue, de nos littératures et de nos valeurs dans un monde de plus en plus concurrentiel.
Nous avons organisé des conférences, des débats et des ateliers thématiques animées aussi bien au musée national qu’à l’ancienne maison des jeunes. Sans oublier les stands tenus aussi bien par nos braves femmes et les mouvements associatifs.
Quel bilan en tirez-vous ?
Vous savez qu’aucune œuvre humaine n’est parfaite ! Cependant le bilan est plus que satisfaisant, car nous avons réussi le pari du rassemblement et de la mobilisation des Peuls de Mauritanie, de 23 autres pays d’Afrique et de plusieurs pays de la diaspora. Plusieurs grandes personnalités Peuls ont effectué le déplacement et participé pour la première fois à ces journées malgré la distance entre leurs pays et le notre.
Par ailleurs, nous avons montré aux autorités l’apport considérable des Peuls, à travers leurs différentes activités, allant de l’agro-pastoralisme à la sauvegarde de l’écosystème en passant par la contribution économique et commerciale.
Cet apport culturel et social revêt de plus en plus un cachet économique.
C’est dans ce sens que nous avons organisé, en marge des festivités de la JIV, des rencontres entre hommes d’affaires et promoteurs. Nous en sommes au stade embryonnaire, mais nous espérons que cela se traduit de façon effective par des investissements.
Pourquoi on n’entend pas beaucoup le bureau de Tabital Pulaagu international sur la question des exactions commises sur les Peuls au Mali?
Permettez-moi d’abord de vous dire que le bureau est audible sur cette question.
La résolution définitive de cette question demeure notre préoccupation principale aujourd’hui.
Lors de notre dernière rencontre à Dakar le 3 novembre 2018, la question des exactions sommaires des Peuls du Mali était centrale.
Non seulement nous dénonçons ces exactions ciblées qui ont une connotation génocidaire, mieux nous travaillons en coulisses afin que cette épuration ethnique peul s’arrête.
Maintenant, permettez-moi de vous rappeler que l’Etat malien qui est garant de la sécurité sur l’ensemble de son territoire est défaillant. Cette défaillance est d’autant plus suspicieuse que les informations qui nous viennent de ces zones là ne sont pas rassurantes. Il ressort des informations recoupées qu’il y’a une connivence entre les groupes qui perpétuent les exactions et les forces armées maliennes. Car les groupes ethniques génocidaires exécutent leurs crimes au grand jour avec véhicules, mobylettes, armes et tenues reconnaissables et ils ne sont guère inquiétés par l’armée malienne, ni sa police ou sa gendarmerie et encore moins par sa justice.
Cette défaillance étatique dont je fais état n’est pas seulement le constat d’un Peul solidaire à ses semblables, mais c’est quasiment le même constat qui ressort des rapports de la FIDH et de Human Right Watch qui pour résumer leurs propos notent de façon claire, l’inadéquation des réponses du gouvernement malien, l’absence de protection des civils par les forces de sécurité et une totale absence de justice pour les violences communautaires.
Il y’a aujourd’hui une sous-traitance de la sécurité par l’Etat malien aux chasseurs Dogons pour leur permettre de porter des armes et de tuer les peuls rencontrés dans zone (Mopti et Ségou) sans distinction aucune (hommes, femmes et enfants). C’est le caractère communautaire de ses exactions qui se nourrit d’amalgame qui en fait un génocide du 21e siècle. On ne peut au nom d’une lutte contre le terrorisme se complaire à des amalgames douteux en vue de s’adonner impunément à des exactions de masse, des exécutions extrajudiciaires contre une ethnie soit elle musulmane à 100%.
Qu’un chef terroriste soit Peul, Dogon ou Touareg, Mossi ou Arabe, cela n’engage que sa personne. La communauté à laquelle il est issu ne peut être tenue responsable de ses agissements.
La réalité est que les Peuls se font massacrer au Mali non pas parce qu’ils sont des terroristes mais juste parce qu’ils sont Peuls.
Pas ou peu de chefs d’Etats africains dénoncent ces exactions, cela veut-il dire que les Peuls ne comptent pas ?
Il est bien évident que nous aurions aimer entendre davantage des voix se faire entendre, pas parce qu’il s’agit des Peuls mais parce que il s’agit de crime, d’exactions extrajudiciaires, de génocide. Maintenant, nous sommes conscients que les règles de non ingérence et de diplomatie exigent une forme de retenue d’un chef d’état tiers dans les problèmes internes à un pays.
Cependant, nous avons suivi avec beaucoup d’intérêts le président de la République Islamique de Mauritanie son excellence M. Mohamed Ould Abdel Aziz, lors de son interview avec le journal Le Monde Afrique qui a insisté sur la nécessité que les autorités maliennes se mettent à table et discutent des problèmes auxquels sont confrontés les Peuls.
Vous savez, que cette position est d’autant plus salutaire que lors de notre dernière rencontre de Dakar, il était question de rencontrer l’ensemble des présidents des pays membres du G5 Sahel afin que la question des Peuls du Mali soit partie intégrante de leur calendrier d’action, car le Mali qui est déjà fragile ne peut se permettre d’ouvrir d’autres fronts communautaires aux conséquences désastreuses. Donc, nous ne pouvons que saluer cette invitation du président mauritanien son excellence M. Mohamed Ould Abdel Aziz faites aux autorités maliennes, et nous l’incitons à s’engager davantage dans la résolution de ce conflit.
D’autant plus qu’on ne sait jamais les conséquences que ces exactions peuvent avoir dans une sous-région en proie à différentes menaces. En tous les cas nous saisissons cette main tendue tout en invitant les autres chefs d’Etat à en faire autant. Il faut que l’opinion publique nationale et internationale sache que les Peuls, d’où qu’ils se situent, n’aspirent qu’à vivre paisiblement avec leurs concitoyens respectifs afin de contribuer au rayonnement culturel, social, économique et politique de leurs pays.
Quel est votre message de fin ?
Je lance un appel solennel aux chefs d’Etats de la sous région et du monde, à toutes les institutions sous régionales et internationales et aux chancelleries aussi bien dans l’espace de la CEDEAO que du G5 Sahel afin d’interpeller le président malien Ibrahima Boubakar Keita pour mettre fin au génocide dont sont victimes les Peuls au Mali depuis plus de deux ans sous le regard des forces de Barkhanes et de la Minusma et des forces armées maliennes et de sécurité (FAMAS).
La bande sahélo-saharienne ne peut se permettre de regarder germer une nouvelle poudrière, dont les répercussions peuvent avoir lieu dans les 23 autres pays où vivent des Peuls. L’Etat malien doit sans délai désarmer les chasseurs Dogons et poursuivre les responsables des exactions qui malheureusement sont entretenus par l’armée malienne.
Nous ne pouvons tolérer les amalgames entretenus entre la communauté Peul et l’existence d’un groupe terroriste dont le chef Amadou Koufa est un Peul. Nous sommes à 100% musulmans et nous dénonçons ce que fait Amadou Koufa et sa bande qui non seulement porte préjudice aux Peuls mais aussi à l’Islam.
Cette position est mienne, mais elle est partagée par le bureau de Tabital Pulaagu International.
Nous aurions aimé ne pas avoir à traiter de ce problème mais c’est une réalité macabre à laquelle il faut faire face avant qu’il ne soit trop tard.
C’est une urgence et nous ne pouvons pas nous payer le luxe de laisser se perpétrer sous nos yeux un nouveau génocide sur notre continent. Donc, nous invitons encore une fois les chefs d’Etats africains à emboiter le pas au président mauritanien M. Mohamed Ould Abdel Aziz qui appelle à un dialogue entre les différentes parties. Qu’il trouve en nous des interlocuteurs obstinément engagés dans la résolution de ce génocide.
Propos recueillis par Diallo Amadou
Kassataya
26/12/2018
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