Comment Alexandre Benalla s’est reconverti dans la diplomatie privée en Afrique

Il opère dans « le consulting », entre intermédiaires louches et autocrates africains, quitte à agacer son ancien employeur.

Le directeur du cabinet du président de la République a pris sa plume pour écrire à Alexandre Benalla. Dans une lettre datée du 22 décembre, Patrick Strzoda demande sans louvoyer à l’ancien chargé de mission à l’Elysée de lui « donner toutes informations pertinentes » sur « d’éventuelles missions personnelles et privées » qu’il aurait « exercées ou poursuivies comme consultant ». Le ton du courrier, consulté par Le Monde, est ferme.

« Nous ne pourrions laisser sans réaction l’existence de relations d’affaires en France ou à l’étranger avec des intérêts privés, tout à fait incompatibles avec vos fonctions (…) et que vous n’avez jamais révélées », précise M. Strzoda. « S’agissant de vos activités personnelles actuelles, nous vous demandons de veiller qu’elles soient conduites dans le strict respect des obligations de secret et des devoirs déontologiques liés à l’exercice de vos fonctions passées au sein du cabinet, poursuit-il. Bien entendu, nous vous interdisons de vous prévaloir d’une quelconque recommandation ou appui tacite de la présidence. »

A N’Djamena, où M. Benalla s’est rendu au début du mois, l’entourage d’Emmanuel Macron avait fait savoir que l’Elysée allait se pencher en interne sur les activités de l’ancien conseiller, pour vérifier qu’il n’avait jamais profité de son titre. « Pour information », M. Strzoda a aussi transmis une copie de la lettre au nouveau procureur de la République de Paris, Rémy Heitz ; charge à lui de voir s’il y a matière à ouvrir une enquête judiciaire.

Reçu par le président tchadien Idriss Déby

 

Ce même 22 décembre, Emmanuel Macron arrive dans la capitale tchadienne où il s’entretient longuement dans un salon de l’aéroport avec son homologue, Idriss Déby. La présidence sait que M. Benalla, démis de ses fonctions à l’Elysée en juillet puis mis en examen pour, notamment, « violences volontaires », « port prohibé et sans droit d’insignes réglementés par l’autorité publique » et « recel d’images issues d’un système de vidéoprotection », a fait un voyage à N’Djamena. L’ambassade de France est au courant, puis son déplacement est rendu public par la publication spécialisée La Lettre du continent le 12 décembre. L’ancien chargé de mission est contraint alors d’avertir lui-même l’Elysée.

A N’Djamena, le jeune homme de 27 ans a été reçu début décembre par le président Idriss Déby lui-même et par son frère, Oumar, qui, comme patron de la direction générale de la réserve stratégique, a la haute main sur les commandes d’équipements militaires du Tchad. Venu de Yaoundé, la capitale du Cameroun, par avion privé, M. Benalla est ensuite reparti vers Istanbul, en Turquie. Les nuitées au Hilton, elles, ont été réglées par un discret homme d’affaires franco-israélien, spécialiste de la diplomatie privée en Afrique pour le compte de gouvernements : Philippe Hababou Solomon.

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M. Solomon s’est piqué de former Alexandre Benalla. En octobre, avant le séjour au Tchad, tous deux se sont ainsi rendus, sans visa, au Congo-Brazzaville, pays pétrolier d’Afrique centrale dirigé depuis plus de trente ans par un autocrate ami de la France, Denis Sassou-Nguesso. Un rendez-vous que M. Benalla refuse de confirmer.

« Aujourd’hui je fais du consulting en Afrique »

 

Selon nos informations, le jet s’est posé directement à Oyo, le fief du clan présidentiel congolais, un village devenu une petite ville gâtée avec ses routes impeccables, son aéroport démesuré et son hôtel cinq étoiles. Les deux hommes ont logé à la résidence présidentielle réservée aux hôtes de marque et dîné avec le chef d’Etat congolais, ravi de recevoir ce « frère » franc-maçon comme lui, qui, se dit-il, peut être utile pour faire passer des messages à Emmanuel Macron.

« Aujourd’hui je fais du consulting. J’ai fait une dizaine de pays en Afrique », indique au Monde M. Benalla. En Afrique francophone plus précisément. Avant le Tchad, il s’est rendu avec son mentor franco-israélien Philippe Hababou Solomon au Cameroun, dirigé par Paul Biya, 85 ans dont trente-six à la tête de l’Etat. A Yaoundé, M. Benalla s’est retrouvé face au chef d’état-major puis dans le bureau du directeur du cabinet de Paul Biya. Ce dernier, tout comme le président Denis Sassou-Nguesso, nostalgique d’une politique africaine naguère plus arrangeante, s’est plaint de la froideur des conseillers Afrique d’Emmanuel Macron.

« Depuis son départ, M. Benalla n’a jamais été mandaté ou sollicité pour quelque conseil ou mission que ce soit. Les seules personnes habilitées appartiennent au pôle Afrique du cabinet diplomatique du président », répète-t-on du côté de l’Elysée. « Emmanuel Macron a toujours refusé qu’il y ait d’autres interlocuteurs que les acteurs institutionnels pour éviter les travers déjà connus de la République des intermédiaires », expliquait déjà l’Elysée au Monde lors du déplacement à N’Djamena.

Au Cameroun comme au Tchad, Alexandre Benalla s’est mêlé à une délégation composée de quatre Turcs cornaquée par M. Solomon pour le compte d’une société soudanaise de textile, Sur International, ainsi que Barer Holding, une joint-venture entre le Qatar et la Turquie. Objectif du voyage : négocier la vente d’uniformes pour les forces de sécurité camerounaises et tchadiennes et discuter d’investissements du Qatar.

« En apprentissage »

 

Comment Philippe Hababou Solomon, ancien conseiller spécial de l’ancien président sud-africain Jacob Zuma et qui loue aujourd’hui ses services au ministère des affaires étrangères et à celui de la défense de l’émirat du Golfe pour leur stratégie africaine, est-il entré en contact avec M. Benalla ? A 63 ans, cet homme d’affaires décomplexé qui s’enorgueillit d’avoir rétabli des relations diplomatiques tchadiennes avec le Qatar et même Israël, est un vieux routier qui n’a guère besoin d’aide ni de conseils.

« Une connaissance commune m’a contacté après le scandale. Je ne l’ai rencontré qu’en novembre. Je cherche à préparer une coopération privée franco-turque en Afrique. Je l’ai pris en apprentissage non pas parce que c’est Benalla, mais parce qu’il est brillant, explique M. Solomon. Il peut m’être d’une grande aide car il connaît les rouages d’un Etat. »

Depuis qu’il a été contraint de quitter l’Elysée, Alexandre Benalla navigue avec tout ce que Paris compte d’intermédiaires, toujours conviviaux, souvent opportunistes. M. Benalla le sait. « Il a voulu se servir de moi comme d’autres avant », expliquait-il cet été au Monde qui l’interrogeait sur sa relation avec l’homme d’affaires Vincent Miclet. Il s’est aussi lié avec l’ancien journaliste devenu lobbyiste controversé, Marc Francelet, qui a organisé ses interviews après que Le Monde a révélé, le 18 juillet, les violences qu’il avait commises le 1er-Mai à Paris muni d’un casque et d’un brassard de police.

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Trois rendez-vous avec Alexandre Djouhri

 

Alexandre Benalla aime aussi fréquenter le journaliste Charles Villeneuve, intermédiaire et communicant de crise informel qui, à son tour, a souhaité conseiller l’ex-chargé de mission. Il lui a présenté Jean-Pierre Elkabbach et lui a également longuement parlé d’un ami de trente ans : Alexandre Djouhri. A 59 ans, malade et sous contrôle judiciaire à Londres, l’intermédiaire attend son audience d’extradition réclamée par la justice française qui souhaite l’entendre pour le rôle qu’elle lui prête dans le financement de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007 avec de l’argent libyen.

« Cette rencontre a beaucoup agacé l’Elysée », s’amuse M. Benalla qui confirme trois rendez-vous avec lui après l’avoir dans un premier temps démenti quand Libération a révélé l’information. L’une de ces rencontres s’est tenue en novembre dans le très chic restaurant japonais Zuma à Londres, où vit désormais M. Benalla, avec sa femme et son bébé. « J’ai voulu le voir. Me faire mon avis. Je connais la loi. A ma connaissance son casier est vierge. Sulfureux pas sulfureux, je connais pas. Ce que je connais, c’est la loi. Il y a un certain racisme dans notre pays. Que ce soit lui ou moi, on est renvoyé à nos origines, une manière de dire que l’on n’est pas à notre place. » M. Benalla s’est aussi rapproché de Germain Djouhri, le fils d’Alexandre avec qui, autour d’une chicha, il aime échanger sur le monde des affaires où celui-ci évolue aussi, notamment en Russie.


« Je vais continuer ce que je fais, je ne vais pas m’arrêter, indique M. Benalla. Sauf si l’objectif final de ce début d’“affaire” est de me faire rentrer en France, de confisquer mes passeports et de m’interdire de voyager », ajoute, ironique et sûr de lui, le nouvel homme d’affaires, convaincu que certains conseillers à l’Elysée, « archétypes des technos qui ne supportent pas quelqu’un qui n’est pas issu de leur milieu » veulent lui nuire. Si l’Elysée jure qu’il n’a plus aucun contact avec Emmanuel Macron, M. Benalla se refuse à en dire davantage, nourrissant encore un peu plus le flou sur la réalité de ses contacts avec le président de la République.

 

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Simon Piel et Joan Tilouine
Source : Le Monde
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