Trump et l’Afrique : « Finie la main tendue, l’Amérique d’abord ! »

Pour l’ancien diplomate Jeff Hawkins, le discours de John Bolton présente « une vision fondamentalement négative » des relations entre les Etats-Unis et le continent.

 

Tribune. Jeudi 13 décembre, le conseiller à la sécurité nationale des Etats-Unis, John Bolton, a annoncé une « nouvelle stratégie africaine » dans un discours au think tank Heritage Foundation. Si ce n’est pas la première fois que l’administration Trump communique sur le sujet, c’est certainement une première tentative d’élaborer une vraie stratégie vis-à-vis de l’Afrique.

L’administration Trump a enfin décidé de se pencher sérieusement sur les relations entre les Etats-Unis et le continent. C’est une très bonne nouvelle, car Donald Trump et ses conseillers ont longtemps ignoré l’Afrique. Le président américain n’y est jamais allé et aucun voyage présidentiel n’y est prévu, même si son épouse y a fait un court séjour touristique, seule, en octobre.

 

L’ex-secrétaire d’Etat Rex Tillerson n’a fait qu’un seul déplacement sur le continent, en mars ; un voyage qui n’a d’ailleurs pas été un franc succès. Son successeur n’y est jamais allé. Seule une petite poignée de chefs d’Etats africains ont été reçus à la Maison Blanche. Et le poste clé de sous-secrétaire d’Etat pour l’Afrique est resté vide pendant deux ans, jusqu’à la nomination récente d’un diplomate de carrière.

L’administration Trump n’a jamais clairement énoncé sa vision pour un engagement avec une région stratégique où la compétition est de plus en plus forte et les défis toujours aussi importants. On avait l’impression que l’Afrique n’existait pas pour Trump, sauf, comme le président a dit lui-même avec tant d’élégance, comme « pays de merde » à éviter.

Déception

Quand on a su que John Bolton allait se prononcer sur l’Afrique, on avait donc des raisons d’espérer. Surtout que, contrairement aux pratiques habituelles d’une Maison Blanche en général très chaotique, cette stratégie semble être le résultat d’un processus réfléchi.

Depuis son élection, le président américain est pris d’une frénésie d’idées – un mur entre le Mexique et les Etats-Unis, l’annulation du traité avec l’Iran, le lancement d’une guerre commerciale avec la Chine… Son gouvernement essaie de suivre, de justifier, de trouver les moyens de mettre en place les politiques annoncées. Mais cette fois, la stratégie a été clairement élaborée par les acteurs concernés au sein du gouvernement américain, sous la direction de la Maison Blanche et suivant les grandes lignes fixées par le chef de l’Etat.

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Or cette stratégie est une déception. Le discours de Bolton présente une vision fondamentalement négative des relations entre les Etats-Unis et les Etats africains. Cette « stratégie » aura très peu de chances de susciter un vrai partenariat et ne fera rien, ou très peu, pour devancer à l’avenir des concurrents russes et chinois très présents dans la région.

D’autres administrations américaines ont dans le passé mis en place de grandes initiatives, parfois visionnaires, pour ce continent. George W. Bush, par exemple, a proposé d’éradiquer le paludisme, maladie la plus meurtrière en Afrique, et a trouvé des milliards de dollars pour le faire. Barack Obama a fait venir des milliers de jeunes Africains aux Etats-Unis via la « Young African Leaders Initiative » et a cherché à augmenter sensiblement la production d’électricité sur le continent à travers son programme « Power Africa ». Ces présidents ne négligeaient pas les crises et les défis – terrorisme, corruption, pauvreté –, mais ils voulaient aussi donner de l’élan aux relations avec le continent, inspirer les Africains.

« America first »

 

John Bolton reste sur un tout autre registre. Il n’a pas choisi de parler du potentiel du continent, du bien que les Etats-Unis ont fait et pourraient faire pour les peuples de la région, d’échanges fructueux qu’on pourrait espérer. Au lieu de vouloir les inspirer, John Bolton met en garde les Africains contre un comportement qui va à l’encontre des intérêts américains.

Le premier volet de sa stratégie vise des relations économiques plus « équilibrées » avec les Etats de la région, à l’image de ce que Trump cherche à faire avec les Chinois ou les Mexicains. Finie la main tendue aux pays en difficulté ! Bolton a mis l’accent sur l’investissement privé et les accords de libre-échange bilatéraux. L’administration Trump avait déjà mis en place un élément important de cette approche avec la création de l’« US International Development Finance Corporation », qui encourage l’investissement dans les pays en voie de développement. Mais à part cela, peu d’éléments sont susceptibles d’inciter les Africains à considérer les Etats-Unis comme un partenaire commercial privilégié. Le discours de Bolton est plus un avertissement aux Africains sur les dangers de la présence chinoise et russe qu’un plaidoyer pour un engagement économique accru avec les Etats-Unis. Presque un retour à la guerre froide.

Comme les administrations précédentes, Bolton a souligné l’importance de la lutte contre le terrorisme en Afrique. Il en a parlé finalement assez peu. Ce qui laisse penser que la politique du Commandement des Etats-Unis pour l’Afrique (Africom) changera peu ou pas de tout.

Enfin, Bolton a annoncé des changements d’approche importants vis-à-vis de la coopération américaine. L’aide aux institutions internationales sera, a-t-il dit, plus contrôlée. Il a vertement critiqué les missions onusiennes de maintien de la paix, souvent inefficaces et chères, selon lui. Il a prévenu l’ONU que les Etats-Unis ne financeraient plus des missions sans fin. Quant à l’aide bilatérale, même humanitaire, celle-ci restera strictement définie par les intérêts américains. Il a menacé des pays africains qui reçoivent une aide « généreuse » et qui voteraient contre la position des Etats-Unis dans les forums internationaux ou ne respecteraient pas la volonté américaine. Autrement dit, « America first ».

Mise en garde

 

Il y a donc maintenant une stratégie américaine envers l’Afrique. Mais celle-ci est moins une stratégie d’engagement que de mise en garde. L’esprit du président Trump est bien présent, surtout quand Bolton demande « justesse et réciprocité » dans les accords avec l’Afrique. Mais cette stratégie porte aussi très clairement les traces de Bolton lui-même, hostile à l’assistance en général et à l’action des Nations unies. Dans ce contexte, on a du mal à voir comment cette stratégie relancera les relations entre un grand pays et un grand continent.

Jeff Hawkins

Jeff Hawkins est chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et maître de conférences à Sciences Po Paris. Il a notamment été ambassadeur des Etats-Unis en Centrafrique et consul général à Lagos, au Nigeria.

 

 

Source : Le Monde

 

 

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