La volte-face de Donald Trump en Syrie

Donald Trump a pris sa décision sans consulter ses alliés. Les Kurdes se sentent trahis.

 

Mission accomplie en Syrie a claironné Donald Trump via Twitter, mercredi. Le président américain a dans le même temps annoncé la défaite complète de l’Etat islamique (EI) et, en conséquence, le retrait total et presque immédiat des troupes américaines en Syrie. A Raqqa, dont les djihadistes avaient fait leur capitale, on accueille la nouvelle avec la plus grande circonspection: un attentat revendiqué par l’EI a endeuillé la ville mardi.

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La décision américaine constitue un virage à 180 degrés qui a créé la surprise, y compris à l’intérieur du camp républicain et même au sein du gouvernement. Les alliés de Washington sont aussi pris de court, à commencer par les Kurdes qui considèrent cette volte-face comme un coup de poignard dans le dos. Plus généralement, ce changement de cap bouscule la configuration militaire et politique de toute la région. Qui occupera le terrain laissé libre par les Américains? Beaucoup craignent que ce ne soit la Russie et le régime de Bachar el-Assad ou, pire, la Turquie.

Les conquêtes territoriales de l’EI en Syrie d’abord puis en Irak ont entraîné la réaction américaine en 2014. Washington crée alors au mois d’août de la même année la coalition arabo-occidentale en Irak et en Syrie ou coalition contre l’Etat islamique. Dans ce cadre, les Etats-Unis déploient quelque 2000 hommes en Syrie, presque exclusivement dans des régions contrôlées par les milices kurdes. Militaires français et britanniques complètent un dispositif au sol dont le but affiché était d’appuyer les Kurdes dans leur combat contre l’EI.

Les Kurdes trahis

 

Les succès ont suivi, après la libération de Mossoul en juillet 2017, celle de Raqqa en octobre 2017 et, pour finir, en fin de semaine dernière, la prise de Hajin au sud de Deir ez-Zor, une des dernières places fortes de l’EI. Ironiquement, cette récente victoire, annoncée avec fierté par les Kurdes, a peut-être accéléré la décision américaine: elle permet au président Donald Trump d’affirmer que le but est atteint avec la défaite de l’EI.

Parallèlement à la lutte contre le terrorisme, la présence américaine en Syrie a permis de protéger les alliés kurdes contre une intervention turque et d’endiguer les influences russe et, surtout, iranienne. Plus globalement, ce déploiement militaire a défendu les intérêts saoudiens et israéliens, en droite ligne avec la politique élaborée par Donald Trump. Ainsi, pour beaucoup, cette présence était appelée à s’inscrire dans la durée.

Les Kurdes sont en première ligne: sans la protection américaine, la menace turque se rapproche dangereusement. Les responsables des Forces démocratiques syriennes (les FDS, une coalition formée de milices kurdes et arabes) se sentent absolument trahis, car toute leur politique s’écroule si le président turc, Recep Tayyip Erdogan, déclenche une guerre contre les Kurdes. Pas plus tard que lundi, ce dernier a déclaré avoir l’aval de Donald Trump pour intervenir en Syrie. Peut-être était-il dans la confidence? Comme l’explique un responsable kurde, «une nouvelle guerre en Syrie est imminente».

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«Une erreur colossale»

 

Pour Marco Rubio, le sénateur républicain de Floride, la décision du retrait constitue «une erreur colossale qui aura des conséquences lourdes dans les mois et les années qui viennent. L’Etat islamique a certes été frappé mais il n’a pas encore été défait et il n’y aura plus personne dans la région pour combattre ce groupe. L’autre raison pour laquelle c’est une immense erreur, c’est que ça laisse le champ entièrement libre à la Russie et même à l’Iran.»

Mais les Etats-Unis aussi pourraient avoir à subir les conséquences de la décision de Donald Trump. En modifiant drastiquement sa politique sans consulter aucun de ses alliés, ni même prendre avis auprès de sa hiérarchie militaire, Donald Trump décrédibilise les Etats-Unis sur la scène internationale. Qui voudra encore d’une alliance militaire avec Washington au vu de la manière dont les Kurdes auront été lâchés? De même, les alliés traditionnels pourraient se montrer réticents à l’avenir lorsqu’il s’agira d’entrer dans une coalition menée par les Etats-Unis.

Boris Mabillard

Source : Le Temps (Suisse)

 

 

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