Un rapport d’experts très attendu qui propose un changement radical de la loi française pour redonner à l’Afrique une partie de son patrimoine d’œuvres d’art est remis vendredi à l’Elysée au président Emmanuel Macron qui va devoir juger de sa faisabilité.
Comment rendre à l’Afrique des milliers d’œuvres d’art arrivées sous la colonisation et conservées dans les musées français, dont celui du Quai Branly? C’est à ce casse-tête que propose de répondre le rapport des deux universitaires français et sénégalais, Bénédicte Savoy et Felwine Sarr.
Proposition majeure: un changement du code du patrimoine pour permettre des restitutions, quand des États africains sont demandeurs. En vertu du droit français actuel, ces œuvres ne peuvent quitter le territoire français.
Le rapport suggère un échéancier précis en trois phases et dresse un inventaire d’une partie des dizaines de milliers d’objets que les colons ont rapporté d’Afrique entre 1885 et 1960.
Le Président va devoir trancher un nœud gordien, reprenant ou atténuant des propositions radicales qui tirent les conséquences d’une ouverture qu’il avait appelée de ses vœux en novembre 2017 à Ouagadougou.
Il avait alors reconnu que l’Afrique avait droit à son patrimoine. Une démarche accueillie comme un acte de justice, mais aussi comme une boîte de Pandore, avec de multiples complexités et chausse-trappes potentiels.
Entre 85 à 90% du patrimoine africain serait hors du continent, principalement dans les musées européens, selon les experts. Un constat qui concerne aussi les puissances coloniales belge, britannique et allemande.
M. Macron avait évoqué à Ouagadougou “un délai de cinq ans” pour des restitutions temporaires ou définitives. Le rapport Savoy-Sarr penche vers des restitutions définitives.
Les deux chercheurs lui présenteront leurs conclusions dans l’après-midi en présence des ministres des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian et de la Culture Franck Riester.
“Il a vocation à être enrichi par des consultations supplémentaires dans lesquelles le ministère de la Culture aura toute sa place”, a-t-on indiqué dans l’entourage de la présidence.
“Pas un oui ou un non”
Le périmètre de la spoliation engloberait les biens pillés, volés, butins de guerre, mais aussi ceux, très nombreux, acquis à des prix dérisoires.
Le rapport cite l’exemple d’un objet acheté lors d’une mission ethnographique en 1931: “un masque de la région de Ségou (dans l’actuel Mali), exposé au Quai Branly, avait été payé 7 francs “l’équivalent d’une douzaine d’œufs”.
Au moins 90.000 objets d’art d’Afrique sub-sahariennes sont dans les collections publiques françaises. Plus des deux tiers des objets d’art ―70.000― se trouvent au Quai Branly, dont 46.000 “acquises” durant la période 1885-1960. Plus de vingt mille autres se trouvent dispersés dans de nombreux musées.
Selon une experte de l’art africain qui a requis l’anonymat, “il ne s’agit pas de donner un oui ou un non. Plus que de belles paroles, il y a des mesures à mettre en place dans une concertation étroite”.
En Afrique, outre le coût et les infrastructures de conservation manquantes, pourraient se poser des contestations territoriales, quand des œuvres appartenaient à des royaumes disparus.
Selon l’avocat spécialisé Yves-Bernard Debie, opposé aux restitutions, “ce rapport est inopérant”, car “aucun marchand d’art africain ancien n’a été consulté”.
Selon Maître Alexandre Giquello, de la maison de ventes Binoche et Giquello, spécialisée dans les collections d’art primitif, il est “inapplicable”: “90% des biens africains ont été achetés, offerts, échangés, troqués” et sont souvent détenus “d’absolue bonne foi”.
Les deux universitaires se sont défendus mercredi d’avoir rédigé un brûlot: “Nous avons été soucieux de faire ce travail de façon très méticuleuse, aucunement de façon polémique”.
Le Bénin, qui avait contribué à lancer le dossier avec sa réclamation des statues royales d’Abomey, s’est félicité que “la France soit allée au bout du processus”.
“Que les objets viennent et qu’ils repartent, ça ne nous pose pas problème mais nous voulons avoir accès à ces objets”, a réagi la directrice du musée des civilisations de Côte d’Ivoire, Silvie Memel Kassi. “Ce n’est pas un mal en soi qu’ils soient en France. Ils y ont été conservés et répertoriés. L’important est de travailler ensemble”.
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