Diaspora Rouen : MFOUTOU Jean-Alexis, écrivain franco-congolais engagé ( deuxième partie)

Très tôt dans le cadre de son cursus universitaire Jean-Alexis MFOUTOU a engagé des réflexions sur l’importance de la langue française dans l’enseignement dans les pays africains anciennement colonisés par la France. Son ouvrage sur l’histoire du français au Congo-Brazzaville présente la langue de l’ancien colonisateur comme un parler qui, au contact des langues bantoues locales et dans l’épreuve de la culture congolaise, devient parole. C’est le même combat qu’il entreprend pour défendre les langues maternelles dans ces ex-colonies avec notamment deux ouvrages publiés en 2009 sur le français et les langues endogènes au Congo-Brazzaville et la grammaire et lexique Munukutuba. C’est son dernier roman « J’étais celle qui dérangeait « qu’il vient de publier par L’Harmattan qui traduit la problématique culturelle soulevée par la mondialisation. Il est aujourd’hui l’auteur de plus d’une vingtaine d’ouvrages.

 

La langue française facteur d’intégration des étrangers africains en France

 

C’est son dernier roman « J’étais celle qui dérangeait » qui semble le mieux traduire l’aventure des étudiants africains en France. L’auteur raconte l’histoire d’une jeune fille appelée Pensée née Afrique où elle a grandi et fait ses études. Son rêve est de parler le français comme le président de la France, son idole. Finalement elle obtient son Bac avec succès avant d’obtenir une bourse d’études pour la France où elle termine ses études d’avocate. Et très vite elle réalise son rêve en militant dans le parti politique de son idole. Elue députée le monde s’ouvre à elle jusqu’au moment où elle se rend compte qu’elle devra payer son élection d’un rejet de ceux-là mêmes qui l’avaient élue parce qu’elle était d’origine africaine.

Un roman d’actualité qui relance les problèmes de discrimination des français d’origine étrangère particulièrement africaine dans la politique.

 Ces préjugés négatifs décrits dans ce roman montrent bien en réalité qu’il reste beaucoup de chemins à parcourir pour l’identité nationale devenue ces dernières années un fond de commerce politique pour les populistes français et une équation difficile à résoudre pour la droite et la gauche française. Jean-Alexis est convaincu que le français permet aux immigrés d’exister socialement et d’être présents dans la réalité quotidienne. Elle permet d’éviter l’exclusion. C’est l’usage de la langue française qui, entre autres et au milieu de toutes ces femmes et tous ces hommes auxquels l’auteur ressemble désormais, permet de se fondre dans la masse, dans le décor, dans le paysage. C’est ce que dit à ce sujet l’héroïne du roman « […] je parlais la même langue – cette langue que j’avais choisie comme une autre langue maternelle, un peu comme si je m’étais choisi de nouvelles origines ».

Education à la parole

 Cela ne fait aucun doute la question de l’importance pour un africain de parler le français n’est plus à démontrer d’où l’éducation à la parole autrement précisé par son héroïne le fait de parler telle ou telle langue, quelle qu’elle soit – et pour n’importe quel peuple, c’est l’éducation de ce va-et-vient nécessaire entre les individus, c’est l’éducation de l’échange, de l’interaction, de la communication entre les individus appelés à dépasser le tumulte de la mer, la sonorité du vent. L’éducation de la parole fait de l’homme un homme parlant à d’autres hommes. La parole est ouverture.

L’Afrique à l’épreuve de la mondialisation

La mondialisation dans tous les domaines avance à grands pas. Et les africains n’y échapperont pas. Mais comment doivent-ils s’y prendre. Encore une fois c’est Pensée qui tente d’apporter la réponse : « […] C’est un besoin de société que nous trouvions une distance moyenne qui nous permette de vivre ensemble. Cette distance moyenne fera que l’amitié de personnes très différentes s’épanouisse néanmoins – parce qu’elle poussera les individus les uns vers les autres. Comment conjuguer autrement cultures communautaires et mondialisation ? ». Cette question relance entre autre la nécessité d’enseigner les langues maternelles en Afrique.

Pas de développement sans l’enseignement des langues nationales

Auteur de l’ouvrage publié en 2009 par L’Harmattan sur  la grammaire et lexique Munukutuba Jean-Alexis montre toute la richesse de la langue bantu parlée en Afrique centrale sur fond de faits culturels relatifs à la vie quotidienne. C’est un livre de référence pour tous les linguistes africains. Cela ne fait aucun doute que toutes les langues africaines doivent être enseignées. Ce qui veut dire que l’enseignement doit être repensé. Pour le professeur MFOUTOU cet enseignement doit explorer cette maison qu’est le monde avec tout ce que celui-ci contient comme les sources, les poissons, les oiseaux, les cultures, les langues, etc. Le savoir est universel.

Les langues africaines doivent être enseignées non seulement en Afrique mais aussi en dehors du continent.

 Depuis deux ans MFOUTOU enseigne à l’Université de Rouen, en présentiel et à distance, des cours de Kituba une langue bantu parlée en République démocratique du Congo, au Congo-Brazzaville et en Angola. Le public est français, chinois, espagnol, vietnamien, polonais, camerounais, sénégalais, etc… Et le professeur trouve que ce public est émerveillé de découvrir le fonctionnement d’une langue à classes, stupéfait de voir comment cette langue n’a pas d’opposition de genre.  Les étudiants sont également fascinés d’observer ainsi autant de choses qui sont dans le monde. Ils veulent connaître cette langue, et ils s’y donnent avec soin. Ils veulent connaître ce qui est caché dans le ventre de cette langue. Pour le linguiste franco-congolais enseigner les langues africaines en Afrique et partout dans le monde, c’est lever la barrière qui s’abat sur les langues et les cultures africaines. Une façon de mettre l’universel à l’épreuve.

L’Aventure ambigüe

 

« Lorsque je serai ici, je serai là-bas quand même. Lorsque je serai là-bas, je serai ici quand même ». Une boutade qui résume toute la difficulté de l’écrivain franco-congolais de choisir entre son pays d’origine le pays de ses ancêtres et son pays d’adoption le pays de sa femme et de ses enfants. Autrement dit sa culture et son histoire sont là pour le dire mieux que lui. Aujourd’hui. il ne peut plus accorder une importance préférentielle à tel ou tel pays.  Cette identité hybride devra reposer sur un équilibre, une synthèse non sur un éclatement, une pulvérisation voire une défragmentation. Choisir ce serait perdre les deux cultures ce qui reviendrait à se renier soi-même.

Propos recueillis par Bakala Kane

 

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