Le consensus obtenu au sein de la toute nouvelle classe politique au moment de l’accession à l’indépendance, par le Président Mokhtar Ould Daddah, pour construire un Etat dans un contexte où tout s’y opposait, était fragile, mouvant. L’une de ces difficultés d’ordre interne, tient à la qualité même des bâtisseurs de ce consensus, issus pour la plupart d’entre eux, des groupes dominants des communautés dont ils sont issus et qu’ils prétendent représenter dans les jeux politiques complexes qui se nouent et se dénouent au gré des rapports de force changeants entre eux.
Chacun voulant marquer son territoire pour mieux assurer la prèservation de ses intérêts spécifiques dans le cadre d’un Etat en gestation, dominé par une puissance étrangere et revendiqué par un Etat voisin, le front culturel sera au coeur de la bataille puisque à travers lui se jouait dés le départ, la question de l’identité nationale. Au fur et à mesure que se consolide le socle de cet Etat nouveau, le consensus autour de l’ équilibre antérieur incarné par l’usage du français d’abord, puis de l’ arabe et du français comme langues de travail, c’ est à dire comme langues de contrôle de l’Etat et de ses démembrements, se fissure peu à peu. Le Président Mokhtar Ould Daddah, savait manier mieux que personne l’ art de l’ équilibre instable en raison sûrement de sa connaissance des » réalités profondes du pays » et par tempérament. Mais il avait de l’ Etat, la conception que nombre de ses pairs, sur le reste du continent, avaient hérité de l’ ancienne puissance coloniale: un Etat ( surpuissant), un Parti ( Unique), une Nation ( une et indivisible) une Culture ( dominante), une Langue ( unique, officielle).
Les toutes premières mesures de concrétisation de cette vision seront prises en matière scolaire, dans un premier temps pour assurer , l’intégration réelle de l’ arabe dans le système scolaire et administratif, jusqu’ alors sous hégémonie presque sans partage de la langue française, jusqu’ à la première moitié des années 60. D’abord prises pour corriger les distorsions linguistiques , ces mesures vont vite apparaître pour les cadres négro-africains, comme l’ expression pure et simple d’une inversion de vapeur en faveur de la fraction arabe de l’élite du pays, jusqu’alors sur la défensive il est vrai. Les » événements de 1966″ sont l’expression de la première grande crise de confiance entre les groupes sociaux dominants du pays, à travers leurs élites respectives. Les troubles occasionnés par les décisions du régime débouchent sur la naissance et la structuration doctrinale des nationalismes identitaires endogènes de type particulariste, plongeant leurs racines plus ou moins profondément dans des courants d’obédience plus large ( panarabisme, panafricanisme).
Il faut constater que les rédacteurs de la » lettre des 19 » insistent surtout sur les injustices que provoquent ces mesures non seulement pour les élèves mais aussi sur l’avenir des cadres négroafricains, et sur ce qui leur semblait lié à une volonté de domination éthnique, sans pour autant mettre en avant quelque revendication que ce soit s’agissant de leurs langues et cultures propres ( Pular, Olof, Soninkè). Sur le plan politique, ils s’exposaient à être traitès de Senghoristes, plus attachés à la défense d’une langue étrangere ( le français) que d’une langue nationale ( l’arabe). L’option du Président Mokhtar Ould Daddah est claire désormais: il faut » repersonnaliser l’homme mauritanien » et cette repersonnalisation passe par une arabisation- substitution à l’emprise jusqu’alors hègémonique du français sur fond d’ignorance par les protagonistes, de l’existence des autres langues nationales et des droits de leurs locuteurs. La querelle, devenue bataille des langues, s’installe donc, entre l’arabe et le français.
Le champ de confrontation est le milieu scolaire mais cet affrontement prend appui sur une option géopolitique du régime en place, en cette fin des années 60, et sur le surgissement d’une nouvelle réalité politique qui va profondément modifier la perspective dans laquelle se posait au pays, cette question nationale. L’option géopolitique est celle de la réorientation des rapports internationaux de la Mauritanie et ses consèquences internes dans la configuration du régime. La nouvelle réalité est la naissance d’un nouveau courant politique qui, en à peine 5 ans modifiera profondément la donne politico-idéologique du pays: le MND.
( A suivre)
Lo Gourmo Abdoul
07 novembre 2018
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Source : Via facebook
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