Au Royaume-Uni, la double peine d’un ex-tradeur d’UBS

Sorti de prison en 2015, après plus de quatre ans derrière les barreaux, Kweku Adoboli pourrait être renvoyé au Ghana, son pays d’origine. Une double peine très pratiquée au Royaume Uni.

Le 17 septembre, Kweku Adoboli était prisonnier au centre de rétention de Harmondsworth, à proximité de l’aéroport de Heathrow. Le lendemain, le Ghanéen, qui avait été condamné à sept ans de prison pour fraude au Royaume-Uni, devait être mis dans un avion et expulsé vers son pays d’origine. Seule une procédure d’appel de dernière minute lui a finalement permis de rester sur le sol britannique, mais toujours derrière les barreaux du centre de rétention.

Une perte de 2,3 milliards de dollars

 

Simple cas routinier d’expulsion, comme le Royaume-Uni en pratique environ 12 000 par an ? Certes. Mais Kweku Adoboli n’est pas n’importe qui. En 2011, ce tradeur londonien de la banque suisse UBS fut au centre d’un des plus grands scandales financiers contemporains. Pendant trois ans, il avait caché de fausses transactions, jusqu’à accumuler une perte de 2,3 milliards de dollars (2 milliards d’euros). Lui-même ne s’était pas mis d’argent dans les poches – si l’on exclut ses bonus – mais il voulait impressionner sa direction, dormait quatre heures par nuit et vivait sous haute pression. Il avait mis au point un système de double comptabilité, contournant la surveillance de l’institution suisse. Pour sa défense, il affirmait, témoignages à l’appui, que ses responsables hiérarchiques directs étaient au courant de ses pratiques, et qu’ils avaient fermé les yeux tant que tout allait bien. Sans surprise, Kweku Adoboli avait été condamné à sept ans de prison. Finalement, après quatre ans et demi de bonne conduite, il en est sorti, en 2015.

Ce n’était pourtant que la première étape de sa sanction, avant son expulsion programmée. Car Kweku Adoboli n’est pas britannique. Son père, un diplomate travaillant pour les Nations unies, vient du Ghana. Lui a quitté ce pays à l’âge de 4 ans et a grandi à Jérusalem et à Damas, où son père était en mission, jusqu’à l’âge de 12 ans. Il fut ensuite envoyé en pensionnat en Angleterre, dans la campagne rugueuse du Yorkshire. Puis a passé le reste de sa vie au Royaume-Uni. Aujourd’hui âgé de 38 ans, il n’a quasiment aucun contact au Ghana.

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Depuis sa sortie de prison, Kweku Adoboli mène un travail très intéressant de sensibilisation aux risques dans les grandes institutions financières. Le message qu’il porte de salle de marchés en salle de marchés : « Personne ne se rend compte à quel point il est proche de la ligne rouge jusqu’à ce qu’il la franchisse. » Selon lui, l’atmosphère des institutions financières, fondée sur la tension et l’adrénaline, n’a pas changé, et les risques de dérapage demeurent. Mais qu’importe ce travail de prévention.

Expulsion des criminels étrangers durcie depuis 2014

 

Le cas de Kweku Adoboli met en lumière une réalité bien connue de la justice britannique : après avoir purgé leur peine, les criminels étrangers sont expulsés du territoire britannique. A partir de 2014, sous la direction de Theresa May, alors ministre de l’intérieur, le système s’est même durci, pour procéder à l’expulsion avant même qu’une personne condamnée ne puisse faire appel. Rapidement, les cas tragiques se sont multipliés. En 2017, la Cour suprême a cependant mis fin à ce renvoi automatique avant la procédure d’appel. Mais l’expulsion reste la norme une fois tous les recours épuisés.

Kweku Adoboli n’est pas le seul tradeur dans cette situation. Ainsi, Jay Merchant, l’un des courtiers impliqués dans le scandale de la manipulation du Libor – un taux d’intérêt qui sert de référence sur les marchés –, a récemment révélé qu’il venait d’être expulsé en Inde, son pays d’origine. Les circonstances sont cependant différentes, car c’est par stratégie qu’il a choisi cette solution. « J’ai volontairement renoncé à ma citoyenneté britannique et j’ai choisi d’être expulsé vers l’Inde, afin de mieux me battre contre l’erreur judiciaire qui a fait suite à l’enquête choquante sur le Libor », a-t-il confié au quotidien City A.M.

Kweku Adoboli ne peut en tout cas pas compter sur Oswald Grübel pour le prendre en pitié. L’ancien patron d’UBS avait dû démissionner quand le scandale avait éclaté. Le 1er octobre, il confiait : « Le procès a montré clairement qu’il avait fraudé la banque volontairement et intelligemment. Il doit maintenant en accepter les conséquences. »

Eric Albert

(Londres, correspondance)

Source : Le Monde (M Le Magazine du Monde)

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