Cristiano Ronaldo dans les filets de #MeToo

Accusé de viol en 2009, le footballeur portugais de la Juventus se pensait tiré d’affaire en concluant un accord financier avec sa victime présumée. Aujourd’hui, celle-ci réclame justice, encouragée par le mouvement #MeToo. La star risque gros, bien plus que la fin de sa carrière

 

Que s’est-il passé le 13 juin 2009 dans l’appartement 57 306 du Palms Casino Resort? Cristiano Ronaldo a-t-il violé l’Américaine Kathryn Mayorga, ainsi que cette dernière le prétend? L’affaire, longtemps reléguée à quelques brèves de bas de page, ne quitte plus la une de la presse internationale. Elle menace même de prendre encore davantage d’ampleur: trois autres femmes ont contacté l’avocat Leslie Mark Stovall, à la suite du témoignage de sa cliente dans les colonnes de l’hebdomadaire Der Spiegel, pour reprocher au footballeur portugais des comportements similaires. Le football, subitement rattrapé par le mouvement #MeToo.

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Déjà, les avocats pénalistes et les spécialistes du système judiciaire américain rivalisent de théories pour évaluer ce que risque l’intéressé. Dans le Nevada, où seul le meurtre est considéré comme un crime plus grave, le viol est susceptible de conduire son auteur à la prison à vie, et pour autant qu’une plainte soit déposée à temps, un cas ne peut plus souffrir de prescription. Mais en attendant le fin mot de l’histoire, Cristiano Ronaldo subit déjà un lourd dégât d’image. Bien pire que celui causé par ses démêlés avec le fisc espagnol.

Conséquences immédiates

L’équipementier Nike – qui lui a offert un contrat à vie – s’est dit «profondément préoccupé par la situation». EA Sports, qui l’affiche sur la jaquette de la simulation de football «FIFA 19» fraîchement sortie, a un temps retiré son avatar du jeu. L’action de la Juventus ne cesse de plonger à la bourse de Milan (environ -25% depuis le 1er octobre) depuis que Kathryn Mayorga a livré au monde sa version des faits.

Transféré cet été du Real Madrid, Cristiano Ronaldo devait non seulement guider son nouveau club vers le succès, mais aussi incarner le renouveau de la Serie A, la première division italienne. Le rêve vire aujourd’hui au cauchemar. La Juventus, qui ne veut ni tuer sa poule aux œufs d’or ni cautionner les faits graves qui lui sont reprochés, s’est fendue d’un tweet de soutien un peu à côté de la plaque: «Cristiano Ronaldo a montré son grand professionnalisme et son dévouement au cours des derniers mois, ce qui est très apprécié par tout le monde à la Juventus. Les faits incriminés remontant à presque dix ans ne changent pas cette opinion.» Les supporters sont moins précautionneux: les accusations de viol transcendent toute mauvaise foi partisane. Pas question de défendre l’homme avant de savoir ce qu’il s’est vraiment passé le 13 juin 2009.

Les faits reprochés sont graves, et les documents réunis par Der Spiegel accablants. Cela a déjà poussé la police de Las Vegas à rouvrir son enquête. Ces dernières semaines, elle a entendu à plusieurs reprises Kathryn Mayorga. En attendant d’écouter Cristiano Ronaldo. Le moment se présentera, assure un porte-parole. Même si l’intéressé, bien épaulé par une défense format Ligue des champions, a tout fait pour ne jamais en arriver là.

Le prix du silence

En 2010, il a payé pour que Kathryn Mayorga se taise: 375 000 dollars, une somme âprement négociée par les deux parties, représentant l’équivalent du salaire hebdomadaire perçu à l’époque par l’attaquant, qui dispute alors sa première saison au Real Madrid. C’est le prix du silence d’une femme inconnue, celui de la tranquillité d’un footballeur célèbre.

Aussi, quand le fameux contrat atterrit, via la plateforme de lanceurs d’alerte Football Leaks, sur le bureau de Der Spiegel et que le magazine publie – sous le titre «Le secret de Cristiano Ronaldo» – le tout premier article sur l’affaire, la société Gestifute de son agent Jorge Mendes se contente, en guise de riposte, de crier à la «fiction journalistique». Quelques jours et quelques buts plus tard, le scandale est mort-né.

Et puis l’affaire Harvey Weinstein éclate. Sur son ordinateur, Kathryn Mayorga passe beaucoup de temps à lire les témoignages de ces femmes qui parlent des agressions qu’elles ont subies, notamment pour éviter à d’autres de connaître le même sort. Ils font écho à sa propre histoire. Sa rencontre avec l’avocat Leslie Mark Stovall finit de la convaincre de briser le silence qu’elle a monnayé des années auparavant car l’accord passé est, selon ce professionnel expérimenté, nul et non avenu, compte tenu de l’état psychologique dans lequel se trouvait la jeune femme au moment où elle l’a accepté.

Démenti formel

 

Le témoignage qu’elle a fini par offrir à Der Spiegel est édifiant. Elle y raconte un début de soirée sans anicroche entre une star de passage à Sin City pour les vacances et un jeune mannequin jouant les appâts à clients pour les bars. Flirt. Echange de numéros de téléphone. Rendez-vous dans une suite où d’autres jeunes gens prolongent la fête. Puis dérapage, jusqu’à un rapport anal non protégé, et imposé.

Cristiano Ronaldo a vivement démenti cette version des faits dans un message publié sur Twitter: «Le viol est un crime abominable qui va à l’encontre de tout ce que je suis et de ce que je crois.» Mais dans un document interne à son équipe de défense, que Der Spiegel s’est procuré, le Portugais reconnaîtrait que pendant l’acte, la jeune femme avait répété «Non!» et «Stop!» à «plusieurs reprises».

Aujourd’hui, c’est lui qui aimerait pouvoir arrêter la machine infernale.

 

Lionel Pittet

Chronologie

13 juin 2009 Kathryn Mayorga et Cristiano Ronaldo ont une relation sexuelle dans un hôtel de Las Vegas. L’Américaine, 25 ans à l’époque, porte aussitôt plainte pour viol.

12 janvier 2010 Kathryn Mayorga et son avocat rencontrent l’équipe de défense de Cristiano Ronaldo, qui n’est pas présent en personne. Un accord de conciliation est signé. La jeune femme accepte de garder le silence, en échange de 375 000 dollars.

Printemps 2017 «Der Spiegel» révèle l’affaire sans identifier Kathryn Mayorga, qui choisit alors de ne pas répondre aux sollicitations du magazine allemand.

Octobre 2017 L’affaire Harvey Weinstein éclate. Le mouvement #MeToo naît de la tempête: avec l’effet d’entraînement, des centaines de femmes du monde entier commencent à témoigner d’agressions subies.

29 septembre 2018 «Der Spiegel» publie la version des faits de Kathryn Mayorga qui, encouragée par un nouvel avocat, veut faire connaître la vérité, notamment inquiète qu’elle n’ait peut-être pas été la seule victime du footballeur.

Octobre 2018 Tandis que les médias, les sponsors et la justice américaine commencent à prendre l’affaire très au sérieux, l’avocat Leslie Mark Stovall affirme avoir été contacté par trois autres femmes accusant Cristiano Ronaldo de faits similaires.

 

Source : Le Temps (Suisse)

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