« Ma thèse en 180 secondes », l’Afrique en pôle

Lors de la finale du concours, jeudi 27 septembre à Lausanne, la moitié des pays représentés étaient africains.

La salle Amphimax de l’université de Lausanne (Suisse) était comble, jeudi soir 27  septembre, pour la finale internationale de  » Ma thèse en 180 secondes « . Des curieux, de la famille, des amis, des collègues… près de 650 personnes s’étaient inscrites pour assister à la cinquième édition de ce concours de vulgarisation scientifique et écouter des doctorants francophones raconter en trois minutes leurs travaux de recherche.

Chacun des dix-huit pays participants – contre quinze un an plus tôt – était représenté par un doctorant : Belgique, Bénin, Bulgarie, Burkina Faso, Cameroun, Canada (Québec), République démocratique du Congo, Côte d’Ivoire, Egypte, France, Gabon, Liban, -Maroc, Madagascar, Roumanie, Sénégal, Suisse, Tunisie. Soit onze pays africains.  » Il est important d’élargir ce concours vers les pays du Sud « , explique Syma Mati, de l’Agence universitaire de la francophonie (AUF), partenaire pour la quatrième année d’affilée.

La soirée a permis de révéler à un public non initié la richesse des domaines de recherche sur plusieurs continents. Une diversité qui se retrouve dans le palmarès. Le jury, composé de représentants du monde universitaire et de journalistes, présidé par -Micheline Calmy-Rey, ancienne présidente de la Confédération suisse, a attribué le premier prix à Geneviève Zabré, du Burkina Faso, pour sa thèse  » Utilisation des plantes médicinales dans la lutte contre le méthane émis par les ruminants : cas des ovins « , soutenue à l’université Ouaga-I, à Ouagadougou. Le troisième prix du jury a récompensé la Roumaine Veronica-Diana Hagi (université Ovidius de Constanta) pour  » La biographie linguistique, un outil didactique polyvalent « .

L’écueil du financement

 

La France doit se contenter encore une fois de la deuxième place, mais décroche un doublé – deuxième prix du jury et prix du public pour Philippe Le Bouteiller, doctorant de l’université Grenoble-Alpes, et son  » approche eulérienne de Hamilton-Jacobi par une méthode Galerkin discontinue en milieu hétérogène anisotrope. Application à l’imagerie sismique « . En termes plus simples : comment faire pour voir, à l’intérieur de la Terre, le fabuleux voyage des ondes sismiques ;  » la carte Bison futé des embouteillages sismiques « , -résumait le doctorant dans son -exposé de trois minutes…

 » C’est bien de s’efforcer de parler bien, de dominer ce qu’on a à dire « , analyse Jacques Dubochet, Prix Nobel de chimie 2017 et professeur honoraire de l’université de -Lausanne. Lors de la préparation, certains participants étaient d’ailleurs coachés par des spécialistes de la communication.

Ce concours est comme un sas de décompression pour les jeunes chercheurs. Si la passion partagée des doctorants finalistes est évidente, ils ont aussi en commun les angoisses liées aux aléas de leur situation et des perspectives d’emploi, très disparates selon leurs pays d’origine.  » Le principal problème est le financement par les laboratoires de recherche. Les miens sont étrangers « , explique ainsi Mahery Andriamanantena, qui travaille, à l’université d’Antananarivo (Madagascar), sur la valorisation de la diversité des ressources végétales tinctoriales pour une application industrielle.  » C’est compliqué de trouver des fonds, confirme la Gabonaise Christy Achtone Nkollo-Kema Kema.  Mais c’est plus facile pour des femmes « , veut croire cette doctorante de l’université Omar-Bongo qui bénéficie d’une bourse de l’Agence nationale des parcs nationaux et d’aides du Fonds mondial pour la nature (WWF) pour ses travaux sur la conservation des lamantins.

Le doctorant belge Martin Delguste, de l’Université catholique de Louvain (UCL), s’estime de son côté  » chanceux  » : il a obtenu un financement du fonds national de recherche scientifique, touche plus de 1 900  euros net par mois et peut déjà envisager de poursuivre ses recherches sur le virus de l’herpès en postdoc. Le Français Philippe Le Bouteiller peut, lui, mener à temps plein sa thèse grâce au financement sur trois ans par un consortium d’industriels internationaux (Seiscope). Mais il constate qu’ » il n’y a pas beaucoup de financements de ce type en France « .

Engagés dans une thèse en trois à quatre ans – durée minimale fixée dans la plupart des pays –, nombre de candidats sont contraints de la prolonger quand ils occupent un emploi en parallèle.

Que se passera-t-il pour ces doctorants une fois leur titre en poche ?  » Après ma thèse, j’ai un rêve à réaliser : faire partager mon savoir à un public plus large, permettre l’expansion de la langue française en Egypte « , dit avec passion Hanan Hosny Abdel Razek. Professeure de littérature et d’art dramatique au lycée français d’Alexandrie, elle consacre sa thèse au poète et écrivain Jean Tardieu. Pour d’autres, il faudra peut-être chercher à l’étranger.  » A Madagascar, les entreprises n’emploient pas les docteurs « , regrette le Malgache Mahery Andriamanantena,alors qu’en Belgique beaucoup d’entreprises, par exemple dans le secteur biomédical, cherchent des docteurs pour la recherche et le développement.

Faire confiance aux doctorants

 

En France, comme dans la plupart des pays, les places dans la recherche universitaire sont rares.  » On est conscient de cela dès le début de notre thèse « , dit Philippe Le Bouteiller.  » En Suisse, un doctorant sur dix va rester dans le milieu académique « , note Denis Billotte, secrétaire général de la Conférence universitaire de Suisse occidentale (CUSO), qui finance et coordonne des activités doctorales et a coorganisé la finale de  » Ma thèse en 180 secondes  » cette année avec l’université de Lausanne.

Dans ce pays où la formation professionnelle reste très valorisée par les entreprises,  » nous devons renforcer la confiance dans les compétences développées par les docteurs « , poursuit ce chercheur, lui-même titulaire d’un doctorat. Des compétences qualifiantes pour de nombreuses fonctions dans le secteur privé, affirme-t-il : conduire des projets, affronter des échecs répétés sur la durée et trouver des solutions, communiquer, inventer de nouvelles questions…

Ingrid Seithumer

 

Source : Le Monde (Campus)

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