De la Courneuve aux beaux quartiers

Originaire de Seine-Saint-Denis, Cyril Tchanon réussit haut la main un master à Assas et devient avocat. Un parcours exemplaire, loin des clichés sur la banlieue.

Cyril Tchanon, 28  ans, reçoit dans le cabinet de droit social dans lequel il travaille depuis un an. Il raconte avec naturel le parcours qui l’a conduit de la cité de La Courneuve (Seine-Saint-Denis), où il est né, à larue Copernic, dans le 16e arrondissement de Paris, où il exerce aujourd’hui son métier d’avocat. Un parcours exemplaire et brillant, qui fait dire à ses -anciens professeurs que l’ascenseur social marche toujours dans les banlieues parisiennes.

Dans la famille de Cyril, la réussite scolaire n’est pas un sujet : ses deux sœurs et lui ont été encadrés par des parents pour qui la liberté de choisir sa vie était essentielle. Son père, ouvrier métallurgiste, et sa mère, aide-soignante, ont guidé leurs enfants de façon que, le moment venu, ils volent de leurs propres ailes. Le plus loin possible, de préférence.  » L’important pour eux, c’était que nous puissions choisir notre métier, quel qu’il soit. La “réussite sociale” n’était pas présentée comme ça ; ils voulaient que l’on fasse de notre mieux pour être heureux et libres plus tard « , raconte le docteur en droit social.

De ses années lycée, Cyril garde un souvenir joyeux, loin des clichés à la fois glauques et violents qui collent à la porte des établissements de banlieue. Au lycée Henri-Wallon d’Aubervilliers, Cyril a laissé le souvenir d’un élève timide et discret. La 1re est une année charnière, où l’on doit commencer à se projeter au-delà du lycée. Pour cela, Aude Van Kerckhove, professeure d’histoire, et son collègue Bertrand Skiro, professeur de littérature, mettent en place une classe à -méthodologie renforcée pour leurs élèves d’ES (économique et social), qui adhèrent au projet. Entre travail préparatoire l’été, revue de presse en classe et tutorat pour chacun, les élèves travaillent plus, mais acquièrent une aisance intellectuelle qui les enthousiasme.

 » Je me souviens d’un débat sur l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne, raconte Cyril Tchanon. Nous nous sommes passionnés pour le sujet, il y avait les pour et les contre de chaque côté de la table. Les débats continuaient longtemps après les cours. «  Cette classe spéciale a permis à ces élèves de se renforcer dans toutes les matières. Grâce à cela, 88  % des élèves d’ES ont eu leur bac, un très bon résultat pour le lycée.

Détermination sans faille

Depuis quinze ans qu’elle exerce à Aubervilliers, Aude Van Kerckhove a eu le temps de se faire une idée de ce qui permet à ce fameux -ascenseur social de fonctionner. Cette passionnée raconte :  » Ils n’arrivent pas en 1re nus et analphabètes. Nous ne sommes pas des magiciens qui les transformons en philosophes en herbe : il y a déjà tout cela, en eux. Leur double culture, pour la plupart de nos élèves, est une force. Mais, ce qui fait vraiment la différence, c’est le climat familial : ceux qui bénéficient d’une stabilité au sein de leur famille s’en sortent beaucoup mieux. «  Pour que l’école puisse jouer son rôle de tremplin, il faut une ambiance familiale apaisée. La mère de Cyril, originaire du Bénin, élève ses enfants avec force et amour.  » Elle donne autant qu’elle reçoit. C’est quelqu’un d’extraordinaire « , salue la professeure d’histoire.

Puis Cyril entre à l’université de droit à Paris-XIII, jusqu’au master  2. Des années fac où Cyril découvre une ambiance d’émulation, mais aussi un milieu plus codifié et plus bourgeois. Premier de son master, il traverse le périphérique et est -admis en thèse à Paris-II-Panthéon Assas, la fac des beaux quartiers, où s’arrête en général l’ascenseur -social. Là encore, il marque les -esprits par sa personnalité et son obstination à réussir. Son directeur de thèse, Patrick Morvan, admet que  » Cyril est le seul de – ses – doctorants à avoir ces origines sociales modestes. Il sort de l’ordinaire pour cela aussi, mais surtout par le parcours qui est le sien, toujours arc-bouté sur son objectif : finir sa thèse et devenir avocat « .

La faculté d’adaptation du jeune homme lui ouvre toutes les portes, et les différences de milieux -sociaux s’effacent devant son intelligence et sa gentillesse. Il fera sa thèse à la dure, entre un cabinet où il travaille en alternance avec un avocat plutôt caractériel, et son travail au laboratoire de droit social. Il encaisse les coups sans perdre de vue son but. Le jour de sa soutenance de thèse sont réunis sous les ors de Paris-II ses parents, ses amis d’enfance, ses sœurs, ses amis élèves avocats, ses professeurs de -lycée. Un melting-pot qui n’étonne personne.  » Cyril reste lui-même en toutes circonstances, il ne se transforme pas d’un environnement à l’autre « , souligne Laurène Raby, sa compagne, elle aussi avocate.

 » Je fais le grand écart quand je passe de mon cabinet d’avocats à ma cité d’enfance, mais ce sont des détails : mes amis là-bas sont aussi intéressés par la vie que ceux que j’ai pu fréquenter en droit. La seule chose qui fait vraiment la différence, c’est que, depuis que je côtoie un milieu plus privilégié, j’ai rencontré des gens qui n’aiment pas le foot. Là d’où je viens, c’est impossible ! « , plaisante celui qui dit s’émerveiller quand il rentre chez lui le soir :  » Le parquet, les moulures, le quartier : jamais je n’aurais pensé vivre dans un endroit comme ça. «  Sa vision de l’ascenseur social est claire :  » C’est plus difficile parce que, en banlieue, nous n’avons pas de filet. Si on tombe, c’est fini. Mais, je le vois autour de moi, on réussit malgré tout. « 

 

 

Ondine Debré

 

Source : Universités & Grandes Ecoles (Le Monde)

 

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