La Mauritanie nie la réalité de l’esclavage

La campagne pour les élections législatives du 1er septembre a débuté. Le candidat de l’opposition et célèbre militant anti-esclavagiste Biram Dah Abeid a été arrêté et écroué.

Le militant anti-esclavagiste Biram Dah Abeid a été arrêté le 7 août, puis incarcéré depuis le 13 août, suite à une plainte pour injures et calomnies de la part d’un journaliste. Des accusations « aberrantes » estime Fatimata Mbaye, avocate et présidente de l’Association mauritanienne des droits humains (AMDH).

Pour elle, il ne fait nul doute que les autorités mauritaniennes veulent mettre à l’écart le célèbre opposant. « Biram Dah Abeid devrait être présenté au juge le 23 août, mais même s’il est condamné à une peine de prison avec sursis, cela l’empêchera de se présenter aux élections législatives du 1er septembre, et l’écartera aussi certainement du scrutin présidentiel du printemps 2019 », déplore-t-elle.

Prix des droits de l’homme de l’ONU en 2013

 

Biram Dah Abeid est l’une des bêtes noires de la Mauritanie dirigée par l’ex-général putschiste Ould Aziz depuis 2008. L’opposant a fondé il y a dix ans l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA). Il a reçu en 2013 le prix des droits de l’homme de l’ONU pour son combat, qui lui a déjà valu plusieurs séjours en prison. Son ONG n’ayant jamais été autorisée, il s’était associé à un petit parti d’opposition pour pouvoir candidater aux élections.

Trois militants anti-esclavagistes en grève de la faim en Mauritanie

Abdellahi el Housein Mesoud, un autre membre de l’IRA, a également été arrêté et deux journalistes ont été placés sous contrôle judiciaire pour avoir relayé un article critique. Amnesty International a appelé le 15 août à leur libération et s’est inquiété du climat répressif pré-électoral.

« La méthode Poutine »

 

De son côté, le comité contre la torture des Nations unies s’est dit « préoccupé », le 6 août, par le fait que de « nombreux défenseurs des droits humains, principalement des défenseurs antiesclavagistes ont été arrêtés arbitrairement, et même parfois soumis à la torture, pour être ultérieurement poursuivis sur la base de chefs d’inculpation à la formulation vague ». Le comité trouve de plus « inquiétant » que certains parmi eux, bien qu’ils aient purgé leurs peines, restent en détention administrative pour des raisons de sécurité et sans pouvoir informer leurs proches du lieu où ils sont incarcérés.

« Tous les moyens sont bons pour museler l’opposition », dénonce Fatimata Mbaye qui redoute que la Mauritanie « expérimente la méthode Poutine ». Selon elle, le président Aziz n’entend en rien céder le pouvoir comme en attestent les affiches Oui pour Aziz distribuées dans le pays. Ne pouvant plus se représenter après un coup d’État et deux mandats, il pourrait placer un de ses proches à la tête de l’État pour garder en sous-main le pouvoir.

 

« Tant que le président Aziz sera au pouvoir, l’IRA ne sera pas reconnue et la réalité de l’esclavage, dans sa version archaïque, qui se transmet à la naissance par la mère, sera niée en Mauritanie, estime Fatimata Mbaye. Les autorités expliquent que l’esclavage n’existe plus et que seules persistent les séquelles d’une pratique ancienne. »

L’opposition muselée

 

Les lois criminalisant l’esclavage, devenu crime contre l’humanité en 2015, ont surtout vocation à nourrir la bonne image du pays sur la scène internationale. L’avocate en veut pour preuve le maigre bilan des trois tribunaux spéciaux en charge des crimes d’esclavage, créés en 2014.

« Les tribunaux ont prononcé six condamnations à cinq ans de détention, alors que le crime est passible de trente ans de prison, précise-t-elle. Et tous les condamnés ont été blanchis en appel après quelques mois de détention. Les associations, telles l’IRA ou SOS esclaves ou nous-mêmes à l’AMDH, sommes empêchés de faire notre travail d’information sur le terrain. »

L’an dernier, Biram Dah Abeid avait déposé une double plainte auprès des Nations unies et de la commission juridique de l’Union africaine concernant la persistance de l’esclavage en Mauritanie.

Marie Verdier
Source : La Croix (France)

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